Cette présentation reprend les grandes lignes de l'article de synthèse qui conclue le numéro spécial de Deep Sea Research « The Mozambique Channel: Mesoscale Dynamics and Biological Production ». On renvoie ici aux articles eux-mêmes pour les détails concernant ces résultats.
Dans le canal du Mozambique, la circulation océanique est dominée par les structures méso-échelles. Les travaux récents décrivent la formation au nord et dans le centre du canal de larges tourbillons anticycloniques qui migrent vers le pôle le long des côtes du Mozambique. Dans ce schéma, les tourbillons cycloniques sont moins nombreux, de plus faible amplitude et résultent essentiellement de l'évolution des structures anticycloniques dans le canal. Les mesures effectuées pendant les campagnes MESOP ont permis de faire évoluer ce schéma, (1) en identifiant in-situ des cyclones de forte amplitude - voir ci-dessous la figure 8 de Ternon et al, 2014 - et (2) en confirmant certains aspects décrits par les récents modèles régionaux de circulation à haute résolution (ROMS et HYCOM, Halo et al., 2014), notamment la forte composante cyclonique de la circulation dans la canal (les cyclones seraient plus nombreux que les anticyclones, en général de plus faible amplitude). D'autre part, les observations et la modélisation (y compris la modélisation biogéochimique - José et al., 2014) montrent l'importance de la zone de formation et de la maturation des tourbillons dans leur influence sur les écosystèmes du canal. Cela est illustré par les observations qui ont été effectuées en des secteurs très différents du canal du Mozambique en 2009 (un dipôle anticyclone/cyclone stable depuis plusieurs semaines au sud-ouest du canal) et en 2010 (un ensemble plus dynamique de structures cycloniques et anticycloniques au centre et à l'est du canal).
Les mesures effectuées en 2009 et 2010 ont été analysés en fonction d`une typologie des zones échantillonnées réparties en cinq classes (cyclone, anticyclone, divergence, front et côte), à partir d'une analyse statistique basée sur l'anomalie de hauteur d'eau et la vitesse géostrophique (déduites des données d'altimétrie) et la bathymétrie (Lamont et al., 2014). Appliquée à l'analyse des données hydrographiques, cette approche a montré que, dans la couche d'eau échantillonnée (0-1000m), les cyclones sont formés d'Eau Subtropicale de Surface plus salée et pus froide que l'Eau Tropicale de Surface que l'on trouve dans les cellules anticycloniques, ce qui témoigne des conditions d'upwelling attendues u centre des cyclones (Lamont et al., 2014). Les conditions hydrographiques sont beaucoup plus variables à la côte et dans les zones de front. L'analyse des profils de fluorimétrie (CTD) montre que la chlorophylle est essentiellement concentrée en profondeur (80 à 120m) comme c'est souvent le cas en zone tropicale. Le maximum profond de chlorophylle (Fmax) est moins profond et de plus forte intensité dans les cyclones. L'analyse de la distribution des pigments phytoplanctoniques (en surface et au niveau du Fmax) a été utilisée pour décrire l'adaptation des principales communautés présentes à l'éclairement et aux nutriments accessibles : algues procaryotes bactériennes en surface ; flagellées de petite taille et diatomées (dans le zones de front et de divergence) au niveau du Fmax (Barlow et al, 2014). La concentration en chlorophylle totale était deux fois plus élevée dans les cyclones que dans les anticyclones en (2008 et) 2009 alors que la situation était inverse en 2010 (à relier en 2010 à la localisation des stations de prélèvement en bordure de structure, et à la configuration différente du champ de tourbillons entre les campagnes). Aux stations les plus côtières, la biomasse de phytoplancton a présenté une très forte variabilité, avec des valeurs variant des plus faibles aux plus élevées mesurées dans le canal (Barlow et al., 2014). Ces observations - ainsi que les résultats de la modélisation couplée physique-biogéochimie (José et al., 2014) - illustrent la grande complexité des processus de production primaire dans le canal du Mozambique, liée en grande partie à la turbulence à méso-échelle. Dans ce contexte, différents processus sont envisagés : la production primaire liée à la remontée d'eau (upwelling) au centre des tourbillons cycloniques correspondant au schéma « classique » et mis en évidence par exemple en 2009 (mais pas en 2010 - ce qui illustre la complexité de la dynamique des tourbillons) ; la production primaire côtière exportée vers le large en bordure des tourbillons quand ceux-ci frôlent les zones côtières productives ; ou encore, la fertilisation de la zone côtière lorsqu'un dipôle (C-AC) stationne à proximité de la côte et provoque un upwelling sur le talus continental en exportant vers le large l'eau de la côte le long du corridor situé entre les deux structures (situation de la campagne 2009, décrite par Roberts et al. (2014) à partir de données collectées en 2005 dans un dipôle similaire). Le déplacement quasi permanent de tels dipôles le long des côtes du Mozambique laisse envisager un rôle majeur de ces processus couplés (upwelling à la côte + exportation vers le large) pour la productivité biologique dans le canal du Mozambique.
Trois méthodes ont été utilisées pour estimer la biomasse des communautés zooplanctoniques pendant les campagnes MESOP 2009 & 2010. Des échantillons de méso-zooplancton ont été collectés à différents niveaux de profondeur entre 0-200m à l'aide d'un échantillonneur Multinet (mailles de 200µm). Le biovolume des échantillons a été calculé (méthode TSV = total settled volume) et les échantillons ont été utilisés pour l'identification au microscope des espèces collectées. Des sous échantillons ont été analysés au Zooscan Hydroptic pour estimer le biovolume par classe de taille. Enfin, le profileur acoustique TAPS a été utilisé (en association avec le Multinet) pour estimer des profils verticaux de distribution des organismes par classe de taille. Les trois méthodes se sont révélées être complémentaires, les particules les plus fines étant mieux échantillonnées par le TAPS (Huggett, 2014 ; Lebourges-Dhaussy et al., 2014).
En moyenne, les biovolumes mesurés dans les cyclones étaient doubles de ceux estimés dans les anticyclones (voir la figure 8 de Huggett, 2014 présentée ci-dessous). Des valeurs intermédiaires ont été mesurées dans les zones de front et les divergences. En zone côtières, les biovolumes mesurés ont été très variables (les plus fortes valeurs y ayant été observées) suivant ainsi la répartition du phytoplancton. D'une manière générale, les biovolumes les plus élevés ont été trouvés dans les 80m sous la surface, et les valeurs étaient généralement plus fortes pour les échantillons collectés de nuit (migration verticale jour-nuit du zooplancton). Peu de différences ont été mises en évidence entre les différents sites prospectés en termes de composition spécifique, suggérant ainsi que les variations des biovolumes étaient essentiellement liées à des effets de dilution (Huggett, 2014). Les mesures effectuées par le TAPS sur la totalité du spectre de taille ont confirmé les différences entre les campagnes 2009 et 2010 mises en évidence sur le phytoplancton (abondance plus forte dans les cyclones en 2009 et moins forte en 2010), qui sont reliées à la configuration particulière du champ de tourbillons échantillonné en 2010 (Lebourges-Dhaussy, 2014).
Ces mêmes différences ont été observés par acoustique (sondeur multi-fréquence EK60) sur la distribution du micronecton qui constitue la faune fourrage pour les prédateurs supérieurs (Béhagle et al., 2014). Ces organismes subissent donc les mêmes contraintes imposées par la turbulence méso-échelle dans le canal du Mozambique que le phyto- et le zooplancton, celles-ci dépendant fortement de l'histoire des tourbillons échantillonnés. Au contraire, la distribution du micronecton collecté par chalutage méso-pélagique - ou à partir de l'analyse des contenus stomacaux sur des poissons pélagiques pêchés dans la zone - au sein des différentes structures ne présente pas de relation statistiquement significative avec la nature de ces structures selon la classification utilisée (Potier et al., 2014). Ce résultat s'explique par les contraintes liées aux méthodes d'échantillonnage (sélectivité du chalut méso-pélagique ou alimentation opportuniste des prédateurs supérieurs utilisés pour la seconde approche). Ces échantillonnages ont cependant fourni des informations sur la diversité spécifique du micronecton qui ne sont pas accessibles par les méthodes acoustiques (Potier et al., 2014). Les analyses isotopiques effectuées sur des tissus prélevés sur des échantillons de micronecton ou bien collectés sur les poissons pélagiques capturés ne mettent pas non plus en évidence de relation significative avec les structures méso-échelle (Ménard et al., 2014). Ce résultat s'explique par le caractère intégrateur de la méthode isotopique utilisée sur des organismes susceptibles (par leur capacité de déplacement) d'occuper successivement différents types de structures méso-échelle. On a noté cependant la prépondérance de valeurs moyennes de d13C témoignant d'échanges entre les zones côtières et le milieu hauturier que suggèrent également les différents processus de production primaire exposés plus haut (Ménard et al., 2014).
Des opérations de pêches scientifiques menées en parallèle des campagnes océanographiques (notamment en 2010) n'ont pas indiqué de relation forte entre les aires de répartition de ces animaux (thons) et les structures méso-échelles (Potier et al., 2013) ce qui s'explique par les très grandes capacités de déplacement de ces animaux et par le caractère largement opportuniste de leur mode d'alimentation. Les espadons ont été capturés préférentiellement au niveau des zones de front où se trouvent généralement leurs proies favorites (Sthenoteuthis oualianiensis) - (Potier et al., 2014).
Les oiseaux marins observés sur la zone ont été en très large proportion des espèces tropicales (sternes « sooty terns » à 85% et frégates), quelques espèces sub-antarctiques ayant également été notées (Jaquemet et al., 2014). Si le mode d'alimentation semble pour certaines espèces contraindre leur répartition en foncton des structures méso-échelles (voir la figure 3 de Jaquemet et al, 2014 présentée ci-dessous), il convient de relever que l'analyse statistique des observations révèle que seule une faible partie de la variance (8%) est expliquée par les structures méso-échelle (les variables environnementales les plus significatives dans le modèle étant la chlorophylle et la température de surface). Les capacités de vol (distance à la côte) et de pêche (accessibilité des proies) des différentes espèces constituent des contraintes fortes de leur répartition spatiale dans le canal du Mozambique.