1. Diagnostic sur l'état du stock de coquilles Saint-Jacques (Pecten maximus) de la baie de Seine.
La baie de Seine est divisée en deux grandes zones administratives, à l'intérieur desquelles la gestion et les réglementations des pêches sont différentes : la partie dite « Extérieur baie de Seine » se situe au-delà de la limite des eaux territoriales françaises et est de ce fait soumise aux seules réglementations européennes pour l'ensemble des flottilles de pêche européennes (y compris par les flottilles britanniques qui exploitent la zone depuis le début des années 2010), et à l'ouverture de pêche annuelle fixée par Arrêté Ministériel pour les ressortissants français. La zone dite « Baie de Seine » correspond au gisement classé situé à l'intérieur des eaux territoriales françaises : elle est interdite à la pêche pour les ressortissants européens autres que français (à l'exception de droits de pêche historiques pour la Belgique et les Pays-Bas, mais non revendiqués). La réglementation imposée par l'administration française, en accord avec les organisations professionnelles, y est beaucoup plus stricte, tant en ce qui concerne l'accès aux zones de pêche (limitation de l'effort de pêche), qu'en ce qui concerne les caractéristiques des navires autorisés et leurs engins déployés.
Nous proposerons ci-après à titre d'illustration des éléments de diagnostic réalisés pour le gisement classé de la baie de Seine lors de la dernière campagne de prospection de juillet 2023, ainsi qu'une analyse de la tendance de l'état du stock à long terme en baie de Seine.
Depuis presque 10 ans (2014), les indices de pré-recrutement (âge 1) en baie de Seine sont excellents. Cette tendance a été confirmée lors de la campagne COMOR 2023, puisque l'indice pour les juvéniles (classe 2022) est le plus élevé (1091.69) jamais observé de toute la série historique (Figure 6).
Figure 6 : Évolution des indices d'abondance par groupe d'âge dans la Baie de Seine de 2000 à 2023.
De la même manière, les indices d'abondance des autres classes d'âge, tant du recrutement (coquilles Saint-Jacques de 2 ans) que du reliquat de pêche (constitué des coquilles adultes de 3 ans et plus ayant déjà subi au minimum une saison complète de pêche), sont également très bons, confirmant la bonne santé du stock. La biomasse totale disponible (Figure 7) a été estimée en 2023 à 72614 tonnes. Le niveau aujourd'hui atteint par cette biomasse en Baie de Seine est sans équivalent dans la série historique, bien que cette espèce demeure fortement exploitée par les flottilles professionnelles. Elle est près de 2 fois supérieure à la moyenne de la période 2013-2022 (39867 tonnes), et de 7,5 fois plus élevée que la moyenne calculée entre 1998 et 2012 (9608 tonnes).
Figure 7 : Biomasse exploitable pour le gisement classé de la baie de Seine de 2000 à 2023.
En termes de densités, la densité moyenne en baie de Seine tous âges confondus est de 0.58 coquilles/m², la densité la plus élevée observée est de 2.26 coquilles/m². Cela représente un effectif de 359 millions d'individus adultes pour un total tous âges confondus de 727 millions de coquilles.
En juillet 2023, la répartition sur le fond de cette biomasse (Figures 8 et 9) était relativement homogène entre les 3 zones (Ouest, Centrale et Est avec respectivement 30175 t, 20167 t et 22272 t d'ouest en est), 42% de cette biomasse étant toutefois concentrée dans la partie située à l'Ouest de la baie.
Figure 8 : Répartition des indices d'abondance des coquilles Saint-Jacques adultes en baie de Seine observée à l'issue de COMOR2023.
Figure 9 : Distribution géographique de la biomasse exploitable en baie de Seine observée à l'issue de COMOR2023.
L'utilisation du modèle d'évaluation de stock CMSY++, qui utilise en données d'entrée une série de captures annuelles calibrée par la série des indices d'abondance issus des campagnes COMOR, montre que le stock de coquilles Saint-jacques de la baie de Seine est en bon état écologique, avec à la fois une biomasse 2023 supérieure à la biomasse de référence Bmsy, et une mortalité globale par pêche inférieure à la mortalité par pêche au MSY Fmsy (Figure 10).
Figure 10 : Matrice de Kobe calculée par CMSY++ pour le stock de coquilles Saint-Jacques de la baie de Seine. La trajectoire de l'état du stock montre que l'on est passé d'un stock fortement surexploité en 2000 à un stock en bon état aujourd'hui.
2. Utilisation des données des campagnes COMOR dans un cadre de recherche : Connectivité entre stocks et dispersion larvaire.
Les travaux sur la connectivité entre différents stocks de coquilles Saint-Jacques de la Manche étaient inscrits dans l'action 4 du projet ANR-COMANCHE. Ils se sont largement appuyés sur les données issues de la série historique des campagnes COMOR et COSB. L'objectif de cette action de recherche était d'acquérir une connaissance fine des schémas de dispersion et des échanges larvaires entre les différents stocks adultes de coquille Saint-Jacques en Manche, prérequis indispensable à toute gestion spatialisée de la pêcherie. Dans un premier temps, un modèle couplé biologie-physique de dispersion a été développé afin d'établir la sensibilité du modèle aux différents paramètres biologiques pris en compte, en particulier la date de ponte, la durée de vie larvaire, le comportement migratoire des larves et l'hétérogénéité spatiale de la distribution du stock de géniteurs. Il a été alors appliqué sur l'exemple des deux principaux stocks de l'espèce, en baie de Seine et en baie de Saint-Brieuc (Nicolle et al., 2013[1]). En fonction du stock considéré, la variabilité intra et inter-annuelle du transport larvaire dépend du rôle relatif de la circulation de marée, majeure en baie de Saint Brieuc, et de la circulation induite par le vent, dominante en baie de Seine. La température joue pour sa part un rôle non négligeable en contrôlant tout à la fois la date de ponte et la durée de vie des larves, donc partiellement la distance moyenne de dispersion. A l'échelle de chacun des stocks, les secteurs clefs pour la persistance locale des populations ont été identifiés. Leur rôle s'explique par des spécificités locales de l'hydrodynamisme et de leur contribution à l'effort de reproduction. A titre d'exemple, il s'agit en baie de Saint Brieuc du secteur nord-est de la baie au large d'Erquy.
Dans un second temps, le modèle lagrangien développé a été appliqué aux 18 stocks de coquilles identifiés en Mer Celtique et en Manche à partir de différentes sources (i.e. données VMS, campagnes scientifiques, dires d'expert) (Thiébaut et al., 2015[2] ; Nicolle et al., 2016[3]). La contribution de chacun des stocks à l'effort de reproduction régionale a été estimée à partir des données de débarquement fournies par le CIEM. A cette échelle, l'importance relative des processus locaux (i.e. rétention larvaire locale) et des processus régionaux (i.e. flux allochtones) dans le maintien des populations est extrêmement variable d'un stock à l'autre en fonction de leur taille et de l'hydrodynamisme. Trois unités fonctionnelles majeures, objet d'échanges larvaires importants et réguliers, ont été mises en évidence : (i) la Manche orientale avec le stock clef de la baie de Seine, (ii) le golfe normand-breton et la côte nord-bretonne, et (iii) les côtes sud-ouest de l'Angleterre (Figure 7). La rade de Brest apparaît isolé des autres stocks. Un faible stock au nord de Cherbourg assure la liaison entre les bassins occidental et oriental de la Manche le long des côtes françaises.
Figure 11 : Carte de connectivité moyenne entre différents gisements de coquilles Saint-Jacques en Manche, permettant de définir 3 unités potentielles de gestion.
Ces différents résultats ont constitué une première étape indispensable à la compréhension de la dynamique régionale de l'espèce et à la prise en considération de cette dimension dans la gestion des stocks. Par ailleurs, le modèle mis au point permettra le cas échéant de répondre à différentes questions de gestion telles que le développement de cantonnements de pêche, populaires en Grande Bretagne, l'efficacité des ensemencements dans le renforcement des stocks ou les interactions avec les implantations d'EMR. Il constitue enfin une opportunité d'appréhender la dynamique des stocks à une échelle pan-européenne incluant en particulier les îles britanniques et l'Irlande.
Enfin, il est à noter que cette distribution des populations de coquilles Saint-Jacques Pecten maximus en trois entités relativement distinctes dans la Manche a été confirmée par la suite par des études génétiques menées sur les différents gisements (Handal et al., 2020 [4]).
[1] Nicolle A., Dumas F., Foveau A., Foucher E. and E. Thiébaut, 2013. Modelling larval dispersal of the king scallop (Pecten maximus) in the English Channel: examples from the bay of Saint-Brieuc and the bay of Seine. Ocean Dynamics, Volume 63, Issue 6, 661-678. http://link.springer.com/article/10.1007%2Fs10236-013-0617-1
[2] Thiébaut E., Nicolle A., Ogor J., Dumas F. and Foucher E., 2015. Modelling larval dispersal of Pecten maximus in the English Channel: a tool for spatial management of stocks. Book of abstracts, 20th International Pectinid Workshop, 22nd - 28th April 2015, Galway (Ireland), ISBN 978-0-9932622-0-3, 133-134.
[3] Nicolle A., Moitié R., Ogor J., Dumas F., Foveau A., Foucher E. and Thiébaut E., 2016. Modelling larval dispersal of Pecten maximus in the English Channel: a tool for the spatial management of the stocks. ICES Journal of Marine Science, doi:10.1093/icesjms/fsw207.
[4] Handal W., Szostek C., Hold N., Andrello M., Thiébaut E., Harney E., Lefebvre G., Borcier E., Jolivet A., Nicolle A., Boyé A., Foucher E., Boudry P., Charrier G., 2020. New insights on the population genetic structure of the great scallop (Pecten maximus) in the English Channel, coupling microsatellite data and demogenetic simulations. Aquatic Conservation-marine And Freshwater Ecosystems, 30(10), 1841-1853. Publisher's official version : https://doi.org/10.1002/aqc.3316 , Open Access version : https://archimer.ifremer.fr/doc/00648/76025/