Les campagnes PELMED ont une double valorisation avec d'une part l'utilisation des données à des fin d'expertise et d'autre part leur valorisation sur l'aspect recherche.
1. Expertise
Les indices d'abondance et de biomasse PELMED sont utilisés pour réaliser les évaluations des stock de la sardine et de l'anchois. Chaque mille nautique parcouru sur les radiales se voit affecté un chalutage de référence en fonction de la distance, de la strate (surface, pélagique ou près du fond), de la profondeur du fond et enfin de la forme de l'écho. Cela va permettre de répartir l'énergie associée à cet écho entre les différentes espèces retrouvées dans le chalut. Cette valeur d'énergie est ensuite transformée en biomasse en tenant compte de la taille des poissons mesurés dans le chalut, l'énergie réfléchie par les poissons variant avec leur taille. Ces biomasses associées à certains paramètres biologiques récoltés pendant la campagne (structure en taille et âge, condition) ainsi qu'à une analyse descriptive de la pêcherie (en termes de capture et d'effort) permettent de réaliser l'évaluation des stocks de la sardine (grâce à un « 2-stage biomass model ») et de l'anchois (statistical catch-at-age model) à la Commission Générale des Pêches pour la Méditerranée (CGPM) et de fournir des conseils de gestion des stocks exploités.
Figure 3. Séries temporelles de biomasses de 3 principales espèces de poissons petits pélagiques dans le golfe du Lion.
2. Recherche
De 2012 à 2016, le projet EcoPelGol (Écosystèmes Pélagiques du Golfe du Lion, 2012-2016, financé par France Filière Pêche) s'est attaché à mieux comprendre les fluctuations des populations de petits pélagiques du Golfe du Lion. Ce projet reposait essentiellement sur le traitement des données acquises pendant les campagnes PELMED et n'a pu exister que grâce à l'accumulation de données réalisées depuis plus de 20 ans maintenant (intérêt des observatoires à long-terme). Des étudiants en master et en thèse ont ainsi profité depuis plusieurs années de cette grande base de données pour réaliser leurs études. De nombreuses publications découlent des données de campagne PELMED avec une accentuation ces dernières années du nombre de publications associées. Nous avons choisi ici de présenter quelques exemples de résultats obtenus grâce à ces données. Ceci n'est absolument pas exhaustif, mais la liste complète de publications est disponible plus bas.
- Changements démographiques et biologiques des populations de petits pélagiques au cours des 20 dernières années
Alors que la biomasse d'anchois et de sardines a considérablement chuté ces dernières années, entraînant avec elle une crise de la pêcherie, leur abondance (c.a.d. le nombre de poissons) s'est maintenue voire a augmenté pour la sardine. Nous avons donc autant ou plus de poissons mais moins de biomasse. Dans le même temps, les échantillons prélevés au cours des chalutages durant les campagnes PELMED ont permis de montrer un changement important de la structure en taille ces dernières années, les sardines et les anchois étant beaucoup plus petits depuis 2008 qu'avant (Van Beveren et al. 2014). Cette diminution de la taille résulte pour la sardine à la fois d'une baisse de la croissance et d'une perte des individus les plus âgés (perte des classes d'âge > 2 ans), alors que seule la croissance semble en cause pour l'anchois (Van Beveren et al. 2014).
Figure 4. Proportion de la population de sardines dans chaque classe d'âge de 1993 à 2012. Plus la teinte est claire plus les individus sont jeunes (Van Berven et al. 2014)
Associée à ces changements, une forte diminution de la condition corporelle (réserves de l'individu, souvent associées à son taux de gras) a été observée chez les 2 espèces (Van Beveren et al. 2014). Les poissons bien que nombreux sont donc plus petits et moins gras qu'auparavant, expliquant en partie la diminution de l'effort de pêche (nombre de bateaux ou de jours de pêche) et des captures. Enfin, nous avons pu montrer que les individus les plus touchés par cette chute de condition étaient les individus les plus âgés, fournissant une première piste pour expliquer le déséquilibre démographique observé (Brosset et al. 2015).
Figure 5. Indices de condition corporelle pour les 3 espèces. Adapté de Van Berven et al 2014.
Figure 6. Condition corporelle en fonction de l'âge dans 3 période (période de mauvaise, moyenne et bonne condition). La période actuelle correspond à la période de mauvaise condition (Brosset et al 2015)
Ces premières études ont donc mis en évidence une possible surmortalité adulte des sardines et un changement environnemental potentiel, source d'une croissance plus faible et d'une moins bonne condition. Ainsi, les prélèvements réalisés sur les campagnes PELMED depuis les années 90 ont permis une étude alliant contenus stomacaux et isotopes stables comparant l'alimentation actuelle des sardines, anchois et sprats avec celle d'années antérieures au déclin. Celle-ci a montré une augmentation du recouvrement de la niche trophique entre espèces (i.e. possible compétition plus forte), ainsi qu'une diminution de la taille des proies consommées (Brosset et al. 2016). Ceci conforte l'hypothèse d'un apport énergétique plus faible via l'alimentation de ces espèces, expliquant au moins en partie la diminution des réserves lipidiques de ces espèces. Malgré cette diminution d'énergie disponible, les sardines et anchois semblent avoir maintenu (voire augmenté) leur investissement reproducteur en diminuant la taille à première maturité et en augmentant le rapport gonado-somatique (Brosset et al. 2016). En d'autres termes, les poissons commencent à se reproduire plus jeunes et développent des gonades toujours aussi grosses proportionnellement à leur taille. Ces 2 espèces semblent donc favoriser leur reproduction par rapport aux autres traits d'histoire de vie. Ceci pourrait se faire au détriment de leur croissance et de leur survie. Afin d'étudier plus avant la surmortalité adulte chez les sardines, nous avons évalué sur un an et plus de 1000 sardines la présence d'agents pathogènes pouvant les affaiblir voire les tuer. Aucun virus n'a pu être détecté (ni par PCR ni par culture virale), aucun macro-parasite non plus. En ce qui concerne les bactéries, seuls des vibrios ainsi que des Tenacibaculum ont été observés mais en faible prévalence et sans aucune lésion d'organe associée. Enfin, une étude visant à quantifier la pression de prédation exercée par le thon rouge sur les espèces de petits pélagiques a pu montrer que les thons rouges consommaient une part infime des populations (< 2%) du Golfe du Lion et ce sans sélectivité de taille particulière, ils ne peuvent donc pas être tenus responsables de la chute de biomasse ou de la disparition des individus âgés (Van Berven et al 2017).
Il semble donc que les populations de sardines et d'anchois soient affectées par un changement de la communauté planctonique qui serait constituée d'espèces moins énergétiques qu'auparavant, engendrant une baisse de l'énergie disponible pour les petits pélagiques. Face à ce changement les sardines et anchois maintiendraient un investissement reproducteur fort en lien avec une croissance plus faible et pouvant aller jusqu'à affecter leur survie (Saraux et al 2019). Ainsi, il est nécessaire de mieux comprendre les changements observés dans les compartiments planctoniques, et un développement de la campagne PELMED en ce sens est en cours.
Figure 7. Schémas sur les principaux drivers de la dynamique des populations de petits pélagiques. Les facteurs significatifs apparaissent en gras, tandis que les moins importants apparaissent en gris et en italique (Saraux et al 2019).
- Cartographie spatio-temporelle des espèces de petits pélagiques
Les données acoustiques acquises pendant les campagnes PELMED ont permis d'étudier la distribution spatiale des petits pélagiques de 2003 à 2012 (Saraux et al. 2014). Ainsi, nous avons montré que ces espèces n'étaient pas distribuées uniformément dans le Golfe et que l'on pouvait détecter des zones de densité importante. Les espèces étant très mobiles, une grande variabilité temporelle est associée à ces zones et aux cartographies de ces espèces en général d'une année sur l'autre. Néanmoins, certaines tendances semblent persister dans le temps. Notamment, les sardines et les sprats sont plus côtiers que les anchois. Il a également été possible de distinguer différents types de zones : des zones récurrentes où les biomasses sont chaque année importantes, des zones occasionnelles qui voient leur fréquentation varier beaucoup selon les années et enfin des zones défavorables où les individus ne se rendent quasiment jamais. Ceci offre des informations potentiellement importantes pour la gestion spatiale du Golfe que ce soit dans des optiques d'aires marines protégées ou de gestion spatiale des pêcheries. Des études en cours s'attachent également à essayer de comprendre quels paramètres abiotiques (température, salinité, courants, etc.) permettent d'expliquer ces habitats et de déterminer si ceux-ci sont différents à l'échelle locale du Golfe du Lion par rapport à ceux déterminés à l'échelle de toute la Méditerranée (étude réalisée sur les campagnes MEDIAS dans leur ensemble dont PELMED, Giannoulaki et al. 2011 et 2013).
Figure 8. Classification des différentes zones (récurrentes, occasionnelles et défavorables) (Saraux et al. 2014).
- Changements synchrones dans l'environnement et la communauté de petits poissons pélagiques du Golfe du Lion
Récemment, la thèse de Guillaume Feuilloley (décembre 2020) a permis de déterminer si des changements ont pu avoir lieu dans la communauté planctonique au cours des deux dernières décennies, aussi bien en terme de densité que de taille ou de composition taxonomique, qui pourraient expliquer les changements de régime alimentaire de la sardine et de l'anchois et leur baisse de condition. Cette thèse s'est focalisée sur la variabilité de différents facteurs environnementaux clefs pour la dynamique de la communauté planctonique. Les résultats indiquent que les conditions environnementales ont largement changé dans le Golfe du Lion, avec un changement majeur au milieu des années 2000, affectant la concentration de Chlorophylle (avec un changement de régime en 2007), mais aussi la SST, les upwelling, les fronts thermiques, le débit du Rhône (et en particulier les apports de nutriments N et P) ainsi que la convection profonde hivernale. Ces changements environnementaux ont pu affecter la production de plancton et, par conséquent, la communauté des petits poissons pélagiques, qui a montré des patterns de variation similaires (Feuilloley et al. 2020).
Figure 9. Tendances communes des DFAs (Dynamic Factor Analysis) réalisées sur les variables environnementales (rouge) et sur les variables biologiques (noir) (Feuilloley et al. 2020).
Le projet DEFIPEL (DEveloppement d'une approche de gestion intégrée de la Filière petits PELagiques, financé par France Filière Pêche), actuellement en cours (2019-2023), vise à consolider la viabilité de la pêcherie des petits poissons pélagiques française en proposant une série d'indicateurs sur l'état de l'écosystème, de la ressource et de la filière, et des scénarios d'adaptation co-construits avec l'ensemble des acteurs. Ce projet repose partiellement sur le traitement des données hydrologiques et biologiques acquises pendant les campagnes PELMED et vise à combler les manques de connaissances sur les habitats et l'écologie des petits pélagiques en Méditerranée et ce afin de mieux cerner les impacts de l'environnement et des activités anthropiques.