Résultats majeurs obtenus

En préambule, il est rappelé que PIRATA (https://www.pmel.noaa.gov/gtmba/pmel-theme/atlantic-ocean-pirata) est un programme qui a déjà 27 ans, qui est bien établi et, après des évaluations internationales par le « Climate and Ocean: Variability, Predictability and Change Program » (CLIVAR) et l' « Ocean Observations Panel for Climate » (OOPC) en 2006, est reconnu comme le réseau de base pour les observations en Atlantique tropical, composante du Tropical Atlantic Observing System (TAOS). PIRATA constitue la référence pour les mesures climatiques en Atlantique tropical via les observations sur le long terme des « Essential Climate and Ocean Variables » (ECOV) définies par le « Global Ocean Observing System » (GOOS). PIRATA fournit des données essentielles pour de nombreuses et diverses applications, dont l'analyse de la variabilité climatique des échelles de temps intra-saisonnières à décadales, de la dynamique équatoriale, du bilan de température et de salinité au sein de la couche de mélange, des flux air-mer, la validation de modèles numériques, l'assimilation de données, et les prévisions météorologiques et climatiques. Les données fournies en temps réel sont prises en compte de façon opérationnelles dans la plupart des Centres Opérationnels de prévisions météorologiques et océaniques du monde.

Les données du réseau PIRATA sont mises à disposition gratuitement à la communauté scientifique internationale, et il est donc impossible d'établir un bilan exaustif de leur utilisation et du nombre de publications utilisant ces données. Ces dernières sont en effet utilisées tant pour des aspects opérationnels (météo et océano), pour leur intégration dans les produits et analyses (climatologies), pour la validation de mesures satellitaires et de produits issus de ces mesures¿ et elles sont également souvent assimilées aux mesures du réseau tropical global (avec celles des océans Pacifique TAO et Indien RAMA) sans que PIRATA soit explicitement mentionné. Les principaux résultats résumés ci-dessous sont donc établis au vu des informations reçues ou récupérées par les membres du PIRATA SSG, qui met à jour régulièrement la liste de publications (voir : http://www.aoml.noaa.gov/phod/pne/pdf/PIRATA_references.pdf), et consistent en une réactualisation aussi exhaustive que possible des précédents dossiers. Ces résultats ont notamment été détaillés dans un article paru en 2019 dédié au bilan et aux perspectives de PIRATA (Bourlès et al., 2019) et dans un article dédié à la description du Tropical Atlantic Observing System (Foltz et al., 2019). Ici sont uniquement présentés des résultats obtenus ces dernières années par des scientifiques de la communauté française, associés au SNO PIRATA (https://www.brest.ird.fr/pirata/index_fr.php) qui ont contribué aux 393 publications de rang A (comptabilisées à l'automne 2023).

1: Bilans au sein de la couche de mélange :

Des études portant sur le bilan de chaleur basées sur les observations au sein de la couche de mélange ont conclu que le mélange vertical turbulent jouait un rôle fondamental dans le refroidissement saisonnier à l'Est de l'Atlantique Equatorial, confirmant ainsi les résultats d'études basées sur des modèles numériques (Giordani & Caniaux, 2011; Jouanno et al., 2011; Giordani et al., 2013; Planton et al., 2018). Dans la partie ouest de la Langue d'Eau Froide (Atlantic Cold Tongue ; ACT), vers 20°W, l'advection zonale s'ajoute au mélange turbulent pour refroidir la température des eaux de surface (Giordani et al., 2013; Hummels et al., 2014; Jouanno et al., 2011). Plusieurs études récentes se concentrent sur les processus régissant le mélange turbulent dans la région de l'ACT, où les variations de la profondeur de la thermocline et du cisaillement vertical du courant sont significatives, même à des échelles en-deçà des variations saisonnières. Il est d'ailleurs de plus en plus évident que les variations intersaisonnières des flux de surface et des courants influent sur le cycle saisonnier, notamment à travers les ondes tropicales d'instabilité (TIW) et les ondes de Rossby forcées par le vent (Hummels et al., 2013; Jouanno et al., 2013). En dehors de la bande équatoriale (2°S-2°N), l'impact du mélange vertical sur le refroidissement de surface est nettement moindre (Hummels et al., 2013).

Plus récemment, Hummels et al. (2020- Surface cooling caused by rare but intense near- inertial wave induced mixing in the tropical Atlantic, Nat. Com.) se sont intéressés à la réponse directe de la couche de mélange aux ondes quasi-inertielles (NIW), reconnaissables à leurs vitesses horizontales caractéristiques, polarisées circulairement, et au cisaillement vertical qui en résulte à la base de la couche de mélange (Figure 1). Basées sur des mesures de turbulence, les auteurs montrent l'existence d'un flux thermique vertical élevé à travers la base de la couche mélangée lors du passage d'une onde quasi-inertielle, refroidissant la couche mélangée. Malgré leur nature locale intermittente, les NIW se produisent préférentiellement pendant l'été boréal, probablement associés au passage d'ondes atmosphériques africaines d'est, impactant sur l'évolution saisonnière de la température de surface de la mer et la productivité biologique dans l'Atlantique Nord tropical.

Pour évaluer les processus à l'origine de la variabilité de la SST, ils analysent le bilan thermique de la couche mélangée. Cela nécessite des observations des flux de chaleur air-mer, des vitesses et températures horizontales de l'océan supérieur, et des estimations des processus d'échange vertical à la base de la couche mélangée. Les mouillages PIRATA sont des lieux privilégiés pour les études du bilan thermique de la couche mélangée, car la plupart des observations requises sont facilement disponibles.

Figure 1: Onde quasi inertielle près de 11.5°N, 23°W en septembre 2015. Données du profileur de courant acoustique Doppler monté sur le navire (vmADCP), de haut en bas : (a) vecteurs de courant surface vmADCP, (b) vitesse zonale, (c) vitesse méridienne, et (d) cisaillement vertical au carré (Sh²). D'après Hummels et al., 2020.

2: Circulation équatoriale :

La variabilité régionale du climat dans l'Atlantique tropical, aux échelles interannuelles à décennales, est fortement liée aux changements du système de courants tropicaux, avec des impacts climatiques tels que des précipitations ou des sécheresses anormales sur les continents (Bourlès et al., 2019 ; Foltz et al., 2019). En outre, l'apport d'oxygène dissous dans la couche supérieure de l'océan Atlantique tropical est étroitement lié aux bandes de courants zonaux (Brandt et al., 2008 ; Brandt et al., 2012 ; Burmeister et al., 2020) et en particulier au sous-courant équatorial (EUC) et à ses variations à long terme, avec des implications potentielles pour les écosystèmes marins régionaux (Brandt et al., 2021). L'EUC, qui s'écoule vers l'est entre 70 et 200 m de profondeur, forme l'un des courants tropicaux les plus puissants, avec des vitesses maximales pouvant atteindre 1 m.s^-1 et une variabilité maximale à l'échelle saisonnière (Brandt et al., 2014 ; Johns et al., 2014). Dans l'Atlantique équatorial intermédiaire et profond, la variabilité sur des échelles de temps plus longues est principalement régie par des courants zonaux alternatifs, empilés verticalement (jets profonds équatoriaux - EDJ ; Johnson et Zhang, 2003).

Alors que la variabilité de la composante zonale de la vitesse sur l'équateur se concentre sur les échelles de temps saisonnières à interannuelles (Brandt et al., 2016 - Figure 2 - ; Claus et al., 2016 ; Kopte et al., 2018), les fluctuations de la vitesse méridienne dominent la période intrasaisonnière (20 à 50 jours) en raison de la présence et du passage d'ondes d'instabilité tropicales se propageant vers l'ouest (TIW ; Grodsky et al., 2005 ; Bunge et al., 2007 ; Wenegrat et McPhaden, 2015 ; Tuchen et al., 2018 ; Specht et al., 2021). En général, la variabilité intrasaisonnière dans le centre de l'Atlantique équatorial est principalement attribuée aux TIW dans l'océan supérieur (Athie et Marin, 2008), tandis que la variabilité intrasaisonnière dans l'océan profond est associée à la signature des ondes équatoriales de Yanai (Ascani et al., 2015 ; Tuchen et al., 2018, Körner et al., 2022). L'interaction observée et modélisée entre les ondes équatoriales intrasaisonnières et les EDJ s'est avérée maintenir la circulation équatoriale profonde (Greatbatch et al., 2018 ; Bastin et al., 2020), soulignant l'importance de la variabilité intrasaisonnière pour la dynamique de l'océan équatorial.

Figure 2 : Moyennes mensuelles (carrés) du transport de l'EUC 30-300-m à 23°W, 10°W, et 0° à partir d'observations effectuées d'octobre 2007 à juin 2011 (Johns et al. 2014, bleu) et la sortie du modèle TRATL01 dérivée pour l'ensemble de la période 1995-2007 (rouge) ainsi que pour quatre sous-ensembles successifs de 3 ans de la série temporelle (gris). Les lignes continues épaisses représentent les cycles saisonniers moyens dérivés des ajustements harmoniques annuels et semestriels des observations (bleu) et des simulations (rouge). D'après Brandt et al., 2016.

Ces conclusions sont largement basées ou étayées par un ensemble de données unique et en constante augmentation d'observations de la vitesse du courant dans le centre de l'océan Atlantique équatorial. Depuis 2001, les vitesses de courant ont été mesurées presque continuellement dans le cadre du programme PIRATA, qui entretient régulièrement un observatoire situé à 0°N-23°W (Bourlès et al., 2019). L'importance de ce jeu de données est caractérisée par la longueur des séries temporelles et par la couverture en profondeur des observations de vitesse de courant qui permettent une analyse détaillée de la dynamique de l'océan supérieur et de l'océan profond sur une large gamme d'échelles de temps et de fréquences.

Récemment, Tuchen et al., (2022) ont combiné un ensemble de données de courant à 23°W-0°N. Avec le produit actuel de données de vitesse présenté Figure 3, ils visent à fournir un ensemble de données de référence important et accessible par rapport auquel les modèles et les résultats des réanalyses pourraient être validés. Les séries chronologiques seront utiles pour les études axées sur la variabilité climatique à long terme afin de rechercher des liens avec les changements de la circulation équatoriale au cours des 20 dernières années. Des versions antérieures de ce produit de données ont déjà été utilisées dans diverses études et ont contribué de manière significative à une meilleure compréhension de la dynamique de l'océan équatorial. L'observatoire à 0°N-23°W est un exemple permanent d'une collaboration multilatérale réussie qui s'étend sur plus de deux décennies. Les auteurs se sont engagés à mettre régulièrement à jour l'ensemble des données après les futures récupérations des bouées, dont la prochaine est prévue pour 2023.

Figure 3: Séries temporelles de la vitesse du courant zonal à 0°N- 23°W. Notez que la barre de couleur est limitée à des vitesses allant jusqu'à ±0,3 m s-1 afin de visualiser la circulation équatoriale profonde. Le sous-courant équatorial (EUC) dans les 200 m supérieurs dépasse généralement la vitesse vers l'est. Les profils verticaux moyens des vitesses zonale (u) et méridienne (v) (en m s-1) sont également représentés dans l'encadré (lignes épaisses), ainsi que leur écart-type (enveloppes grisées). Veuillez noter les différents axes pour la vitesse zonale (noir ; axe supérieur) et la vitesse méridienne (vert ; axe inférieur). D'après Tuchen et al., 2022.

3: Couplage océan-atmosphère et modes de variabilité.

La variabilité interannuelle à décadale en Atlantique tropical est décrite selon deux modes climatiques : le mode méridien caratérisé par un gradient interhémisphérique de la température de surface de la mer (SST) et le mode équatorial, associé à des variations de SST dans la région de l'ACT (qui s'apparente au mode El Niño du Pacifique). De fortes anomalies de SST sont aussi observées le long de la côte Sud-Ouest de l'Afrique, appelées Benguela Niño, étroitement associées au mode équatorial.

Ces modes de variabilité conditionnent le régime des précipitations sur les continents adjacents : ainsi les pluies sur le Nordeste brésilien sont fortement liées aux variations de SST en Atlantique tropical (Hounsou¿Gbo et al., 2015), et celles dans la région de l'ACT sont associées à la Mousson Ouest Africaine (De Coëtlogon et al., 2010; Brandt et al., 2011; Caniaux et al., 2011). Les séries temporelles PIRATA, commencées en 1997, sont désormais suffisamment longues pour permettre des études sur les variations interannuelles. Ainsi, les évènements Benguela Niños sont essentiellement forcés à distance à partir de l'équateur par les ondes équatoriales de Kelvin, détectées par les mouillages PIRATA, se propageant ensuite vers le sud sous la forme d'ondes côtières (Imbol Koungue et al., 2017; Rouault et al., 2017), bien que le vent local puisse aussi jouer un rôle (Bachèlery et al., 2016). Imbol Koungue et al. (2017) ont montré que les Benguela Niños peuvent être prédits un mois à l'avance via les ondes équatoriales de Kelvin détectées par les mouillages équatoriaux PIRATA (Figure 4). Aussi, l'évènement froid de 2005 dans la zone ACT a pu être étudié et associé à un déclenchement prématuré de l'ACT associé à de forts coups de vents intrasaisonniers (Herbert & Bourlès, 2018). Awo et al. (2018) ont montré que les modes méridien et équatorial impactaient la salinité de surface via des processus i) atmosphériques (lié à la migration de la Zone Intertropicale de Convergence des Alizés) contrôlant la région équatoriale, et ii) océaniques (advection, gradient vertical de salinité et mélange à la base de la couche de mélange, notamment dans les régions sous influence des décharges fluviales).

Figure 4 : en haut, de gauche à droite a) diagramme longitude-temps, moyenne sur 5 jours de l'anomalie de la Z20 (m) le long de l'équateur à partir des mesures PIRATA, b) anomalies de la SSH (cm) à partir du produit AVISO le long de l'équateur, c) diagramme longitude-temps des anomalies de SSH (cm) AVISO le long de la côte (0°N-20°S) et d) température associée, de juillet 2003 à mai 2004 ;  en bas, e-h) idem d'août 2011 à décembre 2012. D'après Imbol Koungue et al. (2017).

4: L'apport de PIRATA pour l'étude des processus couplés physiques et biogéochimie en Atlantique Tropical

AAyant systématisé lors des campagnes annuelles PIRATA-FR, l'acquisition de mesures de sels nutritifs depuis 2004 et de pigments chlorophylliens depuis 2011, les séries temporelles devenaient significatives et pertinentes pour l'analyse des processus en jeu dans les variations saisonnières des sels nutritifs dans la région de la langue d'eau froide Atlantique Tropical (Radenac et al., 2020). L'utilisation combinée de l'ensemble de ces mesures acquises entre 2004 et 2014 et des résultats d'un modèle numérique couplé physique-biogéochimie a montré qu'au-dessus de la couche de mélange i) le 1^er « bloom » phytoplanctonique important observé en juillet-août est induit par un fort apport vertical en nitrate en mai-juillet, tandis que le 2^nd bloom plus modeste observé en décembre est également dû à un apport en nitrate plus bref et modéré ; ii) l'advection verticale contrôle les apports de nitrate dans la couche euphotique équatoriale, tandis que la diffusion verticale et l'advection méridionale conditionnent le bloom hors de la bande équatoriale. Sous la couche de mélange, i) le Sous Courant Equatorial (SCE) apporte des eaux pauvres en nitrate mais avec des concentrations suffisantes pour renforcer la productivité au sein de la langue d'eau froide, et ii) l'advection méridionale contribue significativement à la baisse des nitrates (Figure 5, Radenac et al., 2020).

Figure 5 : Cycle saisonnier des profils verticaux de (a) chlorophylle (mg/m³), (b) nitrate (mmol/L), (c) taux de changement du nitrate, (d) advection zonale (mmol/L/j), (e) advection méridienne (mmol/L/j), (f) advection verticale (mmol/L/j), (g) diffusion verticale(mmol/L/j), (h) source moins puits de nitrate(mmol/L/j), et (i) processus physiques moyennés entre 1,5°S-0,5°N, et 20°-5°W. Les profondeurs de la couche mélangée (ligne solide supérieure), de la couche euphotique (ligne solide inférieure), du noyau de l'EUC (ligne tiretée) et de l'isotherme 20°C (ligne pointillée) sont indiquées. D'après Radenac et al.  (2020).

Le long de l'équateur, la productivité biologique présente également une forte variabilité intrasaisonnière et à plus court terme. En effet, les ondes tropicales d'instabilité (TIW) et les ondes intrasaisonnières forcées par le vent stimulent localement la production biologique de part l'advection méridienne des nitrates et de la chlorophylle et le mélange vertical (Hummels et al., 2013 ; Jouanno et al., 2013). Des évènements très productifs sont observés en automne boréal, peu de temps après le maximum saisonnier de l'activité des TIW (Brandt et al., 2023).

Les observations réalisées sur le long terme dans l'Atlantique tropical Est, révèlent un renforcement du Sous Courant Equatorial (SCE) entre 2008 et 2018, principalement dû aux changements des alizés dans l'Atlantique tropical Nord occidental. Cette intensification du SCE est associée à une augmentation des concentrations d'oxygène en subsurface et à un épaississement de la couche supérieure oxygénée de l'océan dans l'Atlantique équatorial. Ces changements neutralisent la désoxygénation induite par le réchauffement climatique dans la région (Figure 6, Brandt et al., 2021).

Figure 6 : a) Concentration d'oxygène dissous le long de l'équateur entre septembre-octobre 2019. b) Anomalie d'oxygène dissous par rapport à la climatologie de l'année 2000. c) Vitesse zonale vers l'est. Les lignes noires correspondent aux isopycnes 25 kg m^-3, 26 kg m^-3, 26,5 kg m^-3, 27 kg m^-3 et 27,25 kg m^-3. D'après Brandt et al.  (2021).

5: L'apport de PIRATA pour l'étude du CO₂.

Des bouées PIRATA sont équipées de capteurs de paramètres du CO₂ et, pendant les campagnes annuelles françaises depuis 2005, des échantillons d'eau de mer sont également pris pour l'analyse de ces paramètres.

Le mouillage 6°S-10°W a permis d'étudier l'influence des ondes internes, qui augmentent le fCO₂ en surface et dans la couche de mélange (Parard et al., 2014). Cette région est une source nette de CO₂ pour l'atmosphère, et soumise à de fortes variabilités d'une année à l'autre (Parard et al., 2010 ; Lefèvre & Merlivat, 2012). Aux échelles saisonnières, les variations de fCO₂ sont fortement corrélées à celles de la salinité de surface ; aux échelles interannuelles, elles sont associées à l'advection de salinité induite par les variations du vent (Figure 7, Lefèvre et al., 2016). Aucune tendance sur le long terme n'a pu être détectée sur la période 2006¿2013 ; cependant, tandis que le fCO₂ atmosphérique augmente, l'apport de CO₂ par l'océan est réduit, le flux de CO₂ étant principalement contrôlé par la différence de fCO₂ entre l'océan et l'atmosphère (Lefèvre et al., 2016).

Figure 7 : Distribution horaire de (a) SST, (b) SSS et (c) fCO2 à la bouée PIRATA située à 6 °S-10°W de janvier à décembre pour les années 2006 à 2013. A partir d'avril 2012, les données de SSS haute fréquence n'étant pas disponible, les moyennes journalières sont tracées. Les zones ombrées en orange correspondent à une fCO2 élevée associée à une fabile SST. D'après Lefèvre et al.  (2016).

Les échantillons d'eau de mer collectés durant les campagnes PIRATA ont permis d'établir une relation empirique entre l'alcalinité totale (TA) et la salinité dans le Golfe de Guinée (Koffi et al., 2010). Sur la base des échantillons d'eau de mer collectés durant les campagnes PIRATA-FR de 2005 à 2019 dans la zone 12°W-10°E et 10°S-10°N, Lefèvre et al. (2021) ont déterminé une relation robuste liant la concentration de Carbone Inorganique Dissous (DIC) à la température, la salinité et à l'année, la salinité étant le facteur prédictif prépondérant. A partir de cette relation, la distribution spatiale mensuelle du DIC a pu être estimée afin de cartographier sa variabilité spatiale et une climatologie mensuelle de DIC a été construite sur la période janvier 2010 à septembre 2019 (Figure 8, Lefèvre et al., 2021). Les résultats montrent que les concentrations de DIC (et de TA) sont plus faibles dans la partie nord du bassin où les eaux sont plus chaudes et moins salées. Les plus fortes concentrations de DIC apparaissent de juillet à septembre, durant la période d'upwelling, en raison de la remontée en surface d'eaux riches en CO₂ qui s'étend sur tout le bassin. Ce processus physique domine l'activité biologique qui n'est pas assez forte pour contrebalancer l'apport de carbone.

Figure 8 : Climatologie du DIC (mmol/kg) calculée à partir des produits satellitaires SST MODIS et SSS SMOS entre janvier 2010 et septembre 2019. D'après Lefèvre et al.,2021.

6: L'apport de PIRATA pour l'étude de la turbulence océanique.

Les campagnes françaises de PIRATA ont permis, en collaboration avec des équipes allemandes (GEOMAR) et des Etats-Unis (OSU), le déploiement de capteurs de turbulence et la maintenance de ces capteurs depuis 2013 à l'équateur dans la couche de mélange. Hummels et al. (2014) ont analysé le refroidissement au sein de la couche de mélange induit par la turbulence dans la région de l'ACT, et ont montré que le rôle de la turbulence est le plus fort dans la bande équatoriale (2°S¿2°N) et décroit en s'en éloignant, ainsi qu'en s'approchant de la côte africaine (Figure 9), confirmant ainsi des études numériques précédentes (Jouanno et al., 2011; Giordani et al., 2013).

Figure 9 : A gauche : contributions individuelles des différents termes au bilan de chaleur dans la couche de mélange dans la région de l'ACT : a) 0°N-23°W, c) 0°N-10°W, e) 0°N-0°E et g) 10°S-10°W. Les lignes verticales rouges correspondent à l'intervalle de confiance à 95% pour la perte de chaleur diapycnale. A droite : somme des contributions individuelles avec (rouge) ou sans (noir) prise en compte de la perte de chaleur diapycnale dans la couche de mélange pour différentes positions dans l'ACT : b) 0°N-23°W, d) 0°N-10°W, f) 0°N-0°E et h) 10°S-10°W.La courbe verte indique le stockage de chaleur observé. La zone grisée correspond aux limites de l'intervalle de confiance à 95% pour la somme des termes  excluant la perte de chaleur diapycnale et les lignes verticales rouges indiquent les limites de l'intervalle de confiance à 95% prenant en compte la perte de chaleur diapycnale dans la couche de mélange. D'après Hummels et al.  (2014).

Récemment, Moum et al., (2022) ont mis en évidence l'une des spécificités des langues d'eaux froides équatoriales ¿ le deep cycle turbulence. Les langues froides équatoriales sont de vastes zones océaniques qui extraient une quantité globalement disproportionnée de chaleur de l'atmosphère, et où cette chaleur est mélangée vers le bas à l'océan plus profond, un processus critique dans la régulation du climat. Ce mélange est dominé par le « deep cycle turbulence », une caractéristique bien documentée de la langue froide du Pacifique équatorial central. A l'équateur, le cisiallement vertical des courants de surface crée un environnement dynamique dans lequel des renforcements de la turbulence en fin de journée se produisent sur plusieurs dizaines de mètres se propageant sous la base de la couche mélangée. En utilisant des ensembles de données massives provenant des langues froides du Pacifique et de l'Atlantique, les auteurs montrent que le « deep cycle turbulence » est présent sur les 3 sites avec des caractéristiques cohérentes (Figure 10). Ces mesures de turbulence fournissent un jeu de données sans-précédent visant à améliorer notre compréhension du mélange vertical dans l'océan, à améliorer les paramétrisations du mélange vertical dans les modèles climatiques, qui se caractérisent par de forts biais dans les langues d'eaux froides.

Figure 10 : Mesures provenant de déploiements de Xpods dans les langues froides du Pacifique (a) et de l'Atlantique (b). Les séries temporelles à (c) 140°W, (d) 23°W et (e) 10°W montrent des barres colorées (à partir des moyennes mensuelles) pour représenter le taux de dissipation de l'énergie cinétique de la turbulence. La couleur de fond est la température (T). Les zones blanches pleines indiquent les amarres perdues. La fine ligne rouge est la profondeur de la couche mélangée (ci-après ML) définie comme la profondeur à laquelle T est inférieure de 0,015° à sa valeur à 1 m. La fine ligne bleue est la profondeur du noyau du sous-courant équatorial (EUC), la profondeur à laquelle le cisaillement du courant zonal est de 0. Les profondeurs nominales du Xpod à 140°W sont de [30, 50, 70, 90, 120] m avec des déploiements occasionnels à d'autres profondeurs. Les profondeurs nominales du Xpod à 10°W, 23°W sont de [20, 35, 50, 65, 80] m. D'après Moum et al., 2022.

7: L'apport de PIRATA pour les produits océaniques, opérationnels et de prévisions.

7.1 Développement et validation de produits issus de mesures:

Outre les nombreux produits réalisés au sein d'équipes opérationnelles internationales (e.g. ICODS, OAFlux, TROPflux¿), les mesures PIRATA (acquises par les bouées et pendant les campagnes) sont largement utilisées au sein de la communauté française et par CORIOLIS, notamment pour le développement des produits de salinité de surface (Reverdin et al., 2007 ; Da¿Allada et al., 2014 ; Gaillard et al., 2015) et dans le produit In Situ Analysis System (ISAS ; Kolodziejczyk et al., 2017). ISAS a notamment été utilisé dans plusieurs articles et pour valider des simulations numériques (e.g., Da¿Allada et al., 2017, Jouanno et al., 2017).

Les données in situ (CTD, SVP, Argo, bouées PIRATA) ont permis de valider des mesures obtenues par des chaînes de thermistance et ainsi de corriger les mesures transmises au GDAC de CORIOLIS (Rousselot et al., 2017).

7.2 Validation de simulations numériques:

De nombreuses études, dont la plupart de celles mentionnées précédemment, réalisées à partir de simulations numériques ont pu être menées suite à la validation des simulations, une fois confrontées aux mesures de terrain, dont celles obtenues grâce à PIRATA (e.g. Kolodziejczyk et al., 2009, 2014 ; Jouanno et al., 2011, 2013; Imbol Kongue et al. 2017).

Plus récemment, les mesures hydrologiques et acoustiques réalisées depuis 2015 à bord du Thalassa pendant les campagnes PIRATA-FR ont été utilisées dans un modèle numérique dédié à la dynamique des populations de poissons sous l'influence de la pêche et de l'environnement, le modèle¿Spatial Ecosystem And POpulation DYnamic Model » (SEAPODYM; e.g., Lehodey et al., 2015; voir www.seapodym.org). De premières analyses portant sur la distribution de la biomasse du micronekton ont clairement montré que le réseau PIRATA est d'un intérêt essentiel aussi pour la recherche biologique (Delpech et al., 2020).

7.3: Utilisation des données PIRATA en météorologie et océanographie opérationnelles:

Les systèmes Mercator-Océan sont basés sur les modèles NEMO/PISCES et un filtre de Kalman, qui assimile notamment les données PIRATA (Lellouche et al., 2013). Les profils de température et salinité sont assimilés sur une base quotidienne. Les systèmes Mercator-Océan sont aussi forcés par les flux atmosphériques de l'ECMWF, eux-mêmes utilisaient les mesures PIRATA (météorologiques et température de surface). L'impact de ces assimilations de données PIRATA sur les prévisions en temps réel a commencé à être évalué, notamment par Poli (2018). Les profils PIRATA disponibles en temps réel sont aussi utilisés pour la validation au sein des Centres Opérationnels, et des groupes dédiés ont été créés dans le cadre du GODAE OceanView et du Copernicus Marine Environment Monitoring Service (Hernandez et al., 2015).

Récemment, Gasparin et al. (2023) ont dissocié l'impact des observations in situ des observations satellites dans le système opérationnel de Mercator Ocean. En effet, les systèmes de surveillance et de prévision des océans, combinant observations océaniques et modèles numériques via des techniques d'assimilation avancées, sont cruciaux pour surveiller et prévoir les conditions océaniques passées, présentes et futures. Cependant, avec le développement continu des modèles océaniques et des techniques d'assimilation, ainsi que la diversité croissante des plateformes observées, il devient difficile de déterminer comment les observations sont utilisées et d'évaluer l'impact des changements dans le système mondial d'observation de l'océan sur les analyses océaniques. Dans cette étude, des expériences de simulation du système d'observation (OSSE) ont été réalisées pour étudier l'impact des différentes composantes du système d'observation, telles que les satellites et les observations in situ (flotteurs Argo et mouillages tropicaux), ainsi que l'impact des changements recommandés dans ces systèmes. Une approche multi-échelles a été utilisée pour mieux comprendre comment les différents composants des systèmes d'observation contribuent à contraindre les processus physiques de l'océan. Les résultats montrent que le système d'analyse peut représenter jusqu'à 40-80% de la variance de la température à méso-échelle et plus de 80% pour les plus grandes échelles, avec une forte contrainte de la variabilité à méso-échelle par les données satellitaires et de la variabilité à grande échelle par les profils in situ (Figure 11). Des améliorations futures des observations Argo et des réseaux de mouillages tropicaux tels que PIRATA devraient bénéficier aux analyses océaniques à différentes échelles, en particulier pour les quantités liées à la salinité. Ces résultats contribuent à une meilleure compréhension du rôle des composants des systèmes d'observation dans l'observation intégrée des océans.

Figure 11: Pourcentage global moyen de la variance représentée par Nature Run pour la température et la salinité de subsurface à des échelles intermédiaires (A, B) et à grande échelle (C, D) pour les expériences FREE, NOMINAL, ONLYSAT, ONLYSITU. Les séries temporelles ont été filtrées avec des filtres de moyenne mobile (1°x1°x20 jours, 9°x9°x90 jours). D'après Gasparin et al., 2023.

8: Autres apports de PIRATA :

- PIRATA contribue à la réalisation d'autres programmes pour lesquels les campagnes dédiées à PIRATA sont des opportunités 1) pour déployer des bouées dérivantes de surface et de subsurface, des XBT, et des profileurs autonomes (notamment pour CLIVAR, ARGO et CORIOLIS), 2) pour effectuer des prélèvements d'eau de mer (par exemple pour les programmes IGBP et SOLAS) ou des mesures biogéochimiques (paramètres CO2, C13, O18, sels nutritifs, pigments chlorophylliens, pH depuis 2022, TA depuis 2023) et 3) pour des opérations plus lourdes menées en collaboration dans le cadre de programmes associés (ex : mise en ?uvre de mouillages courantométriques dans le Golfe de Guinée avec TACE/Clivar -2007-2011- ; de gliders en 2011 avec TACE/Clivar; de mesures atmosphériques - mise en ?uvre du capteur Picarro et réalisation de radiosondages- en 2014¿).

 - PIRATA contribue, dans le cadre de CORIOLIS et via la transmission en temps réel de données (XBT, CTD¿) à partir des navires de recherche pendant les campagnes, aux projets GODAE et MERCATOR et alimente les banques de données ODATIS en respectant les principes de FAIR (Findable, Accessible, Interoperable, Reusable) data.

 - Notamment grâce aux campagnes dédiées et aux mesures in situ librement accessibles via les sites dédiés et GDAC, PIRATA contribue à former et à sensibiliser des scientifiques de pays du Sud (notamment en Afrique) sur la recherche océanographique et climatique, et ce notamment depuis la création au Bénin en 2008 d'un Master 2 régional d'océanographie physique, co-habilité par les Universités d'Abomey Calavi (Bénin) et Paul Sabatier (Toulouse). Ainsi, près de 50 étudiants ou jeunes chercheurs ont été invités à participer à des campagnes PIRATA-FR et ainsi à se former à l'acquisition de mesures en mer. Ces actions sont aussi menées en étroite collaboration avec les partenaires du Brésil de l'Université de Recife (UFPE), via l'encadrement d'étudiants issus de ce M2 en PhD et post-docs. Plus de 30 étudiants africains ont suivi et/ou finalisé leur PhD au sein de laboratoires partenaires de plusieurs pays (Bénin, Côte d'Ivoire, Cameroun, Sénégal, Afrique du Sud, France, Allemagne, Brésil, et Canada) et certains ont continué en post-doc et/ou obtenu des postes dans le domaine de la recherche. Ce programme de Master international contribue à renforcer la coopération Nord-Sud et à développer le partenariat Sud-Sud, comme souhaité dans le cadre du ¿Belem Statement¿ (voir https://www.atlanticresource.org/aora/belem-statement). Enfin, les campagnes PIRATA-FR participent désormais au programme de formation aux observations à la mer à destination des jeunes chercheurs, post-doctorants et doctorants dans le cadre du programme "Partnership for Observation of the Global Ocean" (POGO).