On ne parlera ici que des derniers résultats majeurs de la série DYFAMED utilisant les données "colonne d'eau" acquises pendant les missions mensuelles.

En mer Ligure, les mesures en O₂ ont permis de tracer à la fois les changements des propriétés des masses d'eau et de la production biologique en surface observés de 1994 à 2014 au site DYFAMED (Fig. 1 ; Coppola et al., 2018). Depuis le début des années 1990 jusqu'à 2005, la couche de minimum en oxygène (OML) a été observée entre 200 et 1300 m, en raison des épisodes convectifs peu fréquents et peu intenses en mer Ligure (limitant l'apport d'O₂ depuis les couches de surface) et la reminéralisation bactérienne active dans les eaux intermédiaires (responsable de la consommation en O₂ et de la régénération des nutriments). Ainsi, au niveau du site DYFAMED, il a été observé une diminution en O₂ de 5 µmol/kg/an au niveau de l'OML en moyenne de 1994 à 2005 (Coppola et al., 2018). Ceci laisserait supposer l'apparition future en mer Ligure d'une zone d'hypoxie (seuil de 60 µmol/kg) si aucun épisode de convection intense capable de ventiler entièrement la LIW n'avait lieu au cours des 25 ans à venir. 

Lors de l'hiver 2005-2006, le processus de convection fut particulièrement intense et rapide dans tout le bassin nord-occidental, y compris en mer Ligure (Zunino et al., 2012). Les vents froids et secs ainsi que l'accumulation des eaux denses en surface depuis les hivers précédents sont la principale cause de cet événement convectif qui a mélangé toute la colonne d'eau dans le Golfe du Lion et en mer Ligure. Ce processus intense a ainsi permis d'injecter 24 mol O₂ /m² entre 350 et 2000 m de profondeur de décembre 2005 à mars 2006, ventilant ainsi l'OML de manière conséquente. Cette anomalie a induit un réchauffement, une stratification et une ventilation des eaux profondes dans le bassin occidental (Schroeder et al., 2013). Ce changement, appelé WMT, s'est par la suite répandu dans tout le bassin de la Méditerranée occidentale conduisant à une modification progressive des eaux profondes dans le bassin occidental (Durrieu De Madron et al., 2013). Depuis cette anomalie, les eaux profondes en mer Ligure sont principalement ventilées par la propagation des eaux denses formées dans le Golfe du Lion. En effet, même si la mer Ligure n'est pas une zone purement propice à la convection au large comme c'est le cas dans le Golfe du Lion, les épisodes de convection les plus intenses engendrent des changements aisément observables en raison notamment de la dispersion des masses d'eau profonde nouvellement formées et donc plus oxygénées qui s'écoulent en direction de l'est vers la mer Ligure (Fig. 2). C'est notamment grâce aux mesures continues issues du mouillage EMSO-DYFAMED et aux mesures qualifiées en O₂ que nous avons pu mettre ce phénomène en évidence (Coppola et al., 2018).

Au site DYFAMED, les résultats sur le contenu en sels nutritifs ont permis de décrire, avec une bonne précision, le cycle saisonnier caractéristique de la zone Ligure (thèse d'O. Pasqueron de Formmervault, 2015). Ces concentrations en nutriments sont généralement faibles en surface, sauf en hiver et au début du printemps, quand les processus de mélange sont importants (Fig. 3). Les variations saisonnières de la profondeur de la couche de mélange (MLD) contrôlent en grande partie ce cycle, même si une relation quantitative apparaît impossible à établir avec la résolution temporelle disponible (i.e., mensuelle). Les résultats ont montré qu'un changement important dans les concentrations en nutriments des eaux profondes à DYFAMED était survenu en 2005-2006 en lien, probablement, avec un soulèvement des eaux profondes, induit par l'apport d'une nouvelle eau dense. L'étude des rapports molaires d'abondance nous permet aussi d'établir que le phosphore et l'azote semblent jouer un rôle équivalent en période productive. Sur la période 1991-2011, et pour la première fois en Méditerranée, des résultats mettent en évidence des tendances décennales dans les eaux profondes (Pasqueron de Fommervault et al., 2015). On a pu ainsi observer que dans les eaux intermédiaires et profondes à DYFAMED, le rapport de Redfield était de 20:1 entre 1991 et 2011 mais ce rapport augmente d'environ 1.1% par an (Pasqueron de Fommervault et al., 2015). Cependant ces rapports de Redfield ont moins de signification dans les mers semi-fermées, à cause notamment de la forte influence des apports externes, i.e. essentiellement le dépôt atmosphérique.

La synthèse des données AT-CT sur le système des carbonates au site DYFAMED permet désormais de détecter et de comprendre les tendances à long terme des AT, CT, pCO2 et pH dans cette région (Fig.4). Cette synthèse a fait l'objet d'un chapitre de livre sur la mer Ligure, récemment soumis à ISTE ("The Mediterranean Sea in the Era of Global Change - Evidence from 30 years of multidisciplinary study of the Ligurian Sea"). Il s'agit d'une base de données unique pour valider les simulations biogéochimiques afin de mieux comprendre le rôle futur de la mer Méditerranée en matière d'absorption du CO2 et d'acidification dans le contexte des changements planétaires. Les observations effectuées depuis 1995 en mer de Ligure montrent une nette augmentation de pCO2 et une diminution du pH en 18 ans. Ceci est observé en surface à partir de mesures directes de pCO2 (Merlivat et al. 2018), ainsi que dans la colonne d'eau (observations AT, CT). Cependant, la synthèse de ces données met également en évidence une importante variabilité interannuelle telle qu'observée en profondeur entre 2004 et 2007. Comme pour beaucoup de données biogéochimiques les mesures en point fixe ne sont pas suffisante pour bien comprendre leur variabilité. Dans ce contexte, des capteurs autonomes pour le pCO2, le pH, l'oxygène et les nutriments, non seulement en surface mais aussi dans la colonne d'eau (mouillage, flotteurs BGC-Argo), et inclus dans le système d'observation intégré, devraient améliorer notre vision des variables du carbone océanique qui deviennent obligatoires pour limiter les projections d'acidification des océans et le rôle de la mer Méditerranée dans le devenir des pompes à carbone et les écosystèmes marins.