Evaluation des ressources
Ce programme assure la mission de service d'intérêt public de l'IFREMER à travers l'observation et la surveillance de la filière halieutique. Il coordonne les activités opérationnelles d'observation du système pêche et d'expertise halieutique, incluant l'économie. En Manche, la campagne CGFS est l'unique outil de collecte de données scientifiques de ce type. Les données qui en sont issues permettent de répondre au projet européen de Contractualisation de la collecte des données halieutiques de base (DCMAP : Data Collection Framework ). Celles-ci sont utilisées par les différents groupes de travail international du CIEM chargés d'établir des diagnostics sur l'état de santé des principaux stocks de poissons exploités et de fournir des avis d'opportunité de capture à destination de la commission européenne.
Les scientifiques ont besoin pour cela de connaître les facteurs de fluctuation du stock tels que le recrutement, la croissance, le prélèvement par la pêche (mortalité par pêche) et la mortalité naturelle. Les campagnes scientifiques renseignent sur les variations d'une année sur l'autre de la quantité de jeunes poissons (qui sont inaccessibles à la pêcherie, ou que les données commerciales ne permettent pas d'estimer) et donc la quantité de poissons exploitable dans un futur proche. Dans ce cadre, la CGFS contribue pour la Manche orientale, à la production d'indices d'abondance pour le rouget barbet (Mullus surmuletus, Fig 1), la plie (Pleuronectes platessa, Fig 2), ou de cephalopodes (Sepia officinalis, Fig 3) ; à la collecte d'informations sur le stade de maturité des principales espèces commerciales (le merlan (Merlangius merlangus), la morue (Gadus morhua)) dans le but de connaître la proportion d'individus matures à chaque âge.
Figure 1: Extrait du dernier rapport du groupe WGNSSK (https://www.ices.dk/community/groups/Pages/WGNSSK.aspx) et qui résume les principaux résultats de modèles d'évaluation du rouget barbet en Manche.
Figure 2: Extrait du dernier rapport du groupe WGNSSK 2020 (https://www.ices.dk/community/groups/Pages/WGNSSK.aspx) et qui résume les principaux résultats de modèles d'évaluation sur la plie en Manche.
Figure 3: Extrait du dernier rapport du Working Group on Cephalopod Fisheries and Life History (WGCERP 2020) https://www.ices.dk/community/groups/Pages/WGCEPH.aspx
Ce type d'information est indispensable pour le calcul de la quantité de poissons en âge de se reproduire (biomasse de géniteurs), dont le niveau est l'un des principaux indicateurs de l'état de santé du stock. Les indices d'abondance calculés à partir des campagnes scientifiques peuvent être utilisés dans des modèles tels que SURBAR pour estimer les fluctuations de biomasse, de mortalité, et de recrutement. Ce type d'analyse s'appuie uniquement sur les données de campagne et pour la première fois en 2020, le groupe de travail WGNSSK a testé son application sur les données CGFS de rouget barbet afin de pouvoir comparer les sorties de différents modèles d'évaluation (Fig 4). De plus, les données collectées au cours de la campagne permettent de connaître les structures démographiques en taille pour l'ensemble des espèces mesurées, les fluctuations inter-annuelles des indicateurs de population tels que l'abondance, la biomasse, la taille moyenne et le poids moyen. La CGFS fournit aussi les éléments permettant de juger des éventuelles modifications spatio-temporelles de l'écosystème.
Figure 4: Main species composition of the catch in the Western English Channel during CGFS 2019
Alors que la partie orientale a été échantillonnée depuis 1988, la partie occidentale n'était jusqu'à lors que peu connue. En 2014, la couverture des campagnes scientifiques au chalut de fond s'est étendue à la Manche Ouest avec la réalisation de CAMANOC et s'est poursuivi de manière récurrente depuis 2018. L'extension de la CGFS à la Manche Ouest devrait permettre dans les années à venir, de fournir des indices d'abondance et/ou de recrutement pour les espèces tels que le bar (Dicentrarchus labrax), le merlan (Merlangius merlangus), l'églefin (Melanogramus aeglefinus), le rouget barbet de roche (Mullus surmuletus), le lieu jaune (Pollachius pollachius), la lingue (Molva molva), la petite roussette (Scyliorhinus canicula) et la barbue (Scophtalmus rhombus) (Figure 4). L'échantillonnage de la partie occidentale permet également de collecter des informations sur la maturité de différentes espèces et leur croissance.
Démarche écosystémique
L'échantillonnage de l'ensemble de l'écosystème permet de répondre aux demandes de la Directive Cadre Stratégie pour le Milieu Marin (DCSMM, Figure 5), à la fois pour la recherche de définition d'un bon état écologique, mais aussi pour le suivi des différents descripteurs le caractérisant, et notamment les descripteurs :
1 : Diversité biologique, qualité des habitats, distribution et abondance des espèces
2 : Niveau de présence des espèces non indigènes
5 : Eutrophisation d'origine humaine
4 : Réseau trophique, diversité et abondance de ses éléments
6 : Intégrité des fonds marins, structure et fonction des écosystèmes benthiques
Figure 5: Zone d'échantillonage DCSMM
Etude du réseau trophique de la Manche
La campagne CGFS est une plateforme importante permettant la réalisation des travaux de compréhension de la structure des réseaux trophiques en Manche. Elle a permis la collecte de données empiriques (rapports isotopiques, contenus stomacaux et biomasses de poissons). Ces données ont ensuite servi de base à la calibration du modèle EEC-OSMOSE.
L'approche isotopique appliquée lors de CGFS 2009 et de CAMANOC en 2014 a permis de mettre en évidence l'importance du compartiment benthique dans le fonctionnement de la Manche, et également démontrer que la profondeur structure ce couplage. Dans les zones peu profondes, la plupart des espèces ont des contributions benthiques importantes, i.e. comprises entre 50 et 100%, conformément avec l'hypothèse d'un couplage bentho-pélagique fort en zone peu profonde, qui s'explique par la possibilité pour l'ensemble des espèces d'accéder à des proies benthiques quand la profondeur est faible. Les changements avec la profondeur sont ensuite dépendants des guildes : la contribution benthique augmente ou reste prépondérante pour les trois groupes d'espèces benthiques (en orange et rouge sur la Figure 6 ci-dessous), alors qu'elle diminue pour les piscivores pélagiques (en bleu sur la figure). Dans les deux cas, cela vient confirmer l'hypothèse évoquée précédemment concernant la capacité des espèces pélagiques à atteindre le substrat benthique à faible profondeur qui diminue lorsque la profondeur augmente.
Figure 6: Changement de l'importance de la production benthique dans l'alimentation des quatre groupes fonctionnels de poisons en Manche orientale (rouge: consommateurs d'endobenthos, et piscivores benthiques, orange: consommateurs de benthos; bleu: piscivores pélagiques). La zone grise représente la zone effectivement échantillonnée, les parties de courbes en dehors de cette zone sont basés sur des extrapolations du modèle MixSIAR. (Giraldo et al., 2017).
La possibilité d'échantillonner un grand nombre de poissons pour l'ensemble des classes de taille a également permis d'appréhender l'importance de la taille du prédateur dans leur alimentation. Par exemple, pour le merlan, les plus petites classes de tailles basent essentiellement leur alimentation sur les crustacés alors que les poissons et les céphalopodes sont les proies principales pour les grands individus. Ces résultats montrent également que des variations existent à des échelles fines, ici des classes de taille de 5 cm. Par ailleurs, la comparaison avec des données comparables obtenues sur IBTS montrent également une variation saisonnière de l'intensité. En hiver, la nature des proies consommées reste la même, mais la quantité elle augmente. La baisse de productivité de l'écosystème en hiver pourrait expliquer cette nécessité d'une intensification alimentaire. Cette tendance est particulièrement marquée pour les plus petits individus, potentiellement en raison d'une plus grande facilité à capturer les crustacés pélagiques, moins actifs en hiver (Figure 7).
Figure 7: Changements ontogéniques (Pourcentage d'abondance des proies dans l'alimentation, à gauche) et saisonniers (Nombre total de proies, par classe de taille en automne et en hiver, à droite) de l'alimentation du merlan. Redessiné d'après Timmerman et al. (2020).
Enfin, les données collectées durant ces campagnes ont servi de base au développement du modèle Ecopath en Manche Est (ECOPATH-EEC). Le modèle ECOPATH est un modèle individu centré. Les interactions trophiques sont régies par la cooccurrence spatiale et temporelle et sur une relation entre la taille du prédateur, et la gamme de taille de ses proies. Dit autrement, si une proie est présente dans la même cellule du prédateur, et que sa taille est comprise entre une taille minimale et maximale spécifiquement définie, elle est consommée. Le modèle a été calibré sur la base des données de biomasses collectées lors de CGFS. La similitude des données trophiques prédites par le modèle (régimes alimentaires et niveaux trophique) avec les données empiriques prouve la capacité du modèle à décrire le fonctionnement de l'écosystème. À ce titre, les relations peu significatives, ou négatives entre la taille et le niveau trophique observées pour certaines espèces sont cohérentes avec l'importance du compartiment benthique en Manche (Figure 8).
Figure 8: Distribution des niveaux trophiques prédits par le modèle OSMOSE pour le callionyme, la sole, le maquereau et le hareng. Les tendances à la hausse pour le maquereau et le hareng sont cohérentes avec le mode de vie pélagique de ces deux espèces, alors que la tendance opposée pour les deux autres espèces est cohérente avec leur mode de vie pélagique (Travers-Trolet et al., 2019)
Etude à haute fréquence des communautés planctoniques :
Lors de la campagne CGFS, des échantillonnages discrets de paramètres physico-chimiques du milieu sont réalisés à chaque coup de chalutage sur la base de protocoles océanographiques standards, pour caractériser l'environnement des organismes étudiés et éventuellement identifier des relations entre le milieu et la distribution de ces organismes. En plus de ces paramètres abiotiques, les premiers maillons de la chaîne alimentaire, i.e. phytoplancton et zooplancton, sont échantillonnés et analysés pour connaître à la fois leur composition spécifique et leur structure en taille. Ainsi il est possible d'identifier une structuration spatiale des communautés planctoniques, tant d'un point de vue taxinomique que fonctionnel. L'utilisation d'engins spécifiques (filet bongo et pompe à ?ufs) permet de localiser et d'estimer l'importance des frayères et zones de transitions larvaires, habitats clés pour les populations ichtyques. Les échantillons récoltés sont généralement analysés au zoocam avant d'être fixés et conservés en flacons. Une analyse d'image est ainsi réalisée à bord afin d'estimer avant la fin de la campagne l'abondance des ?ufs et des grands groupes zooplanctoniques rencontrés (Figure 9).
Figure 9: Habitat de ponte de la sardine, en compilant les données du CUFES+ZooCAM de campagnes CGFS et EVHOE (M. Huret)
Ecologie Fonctionnelle : La structure des traits et la redondance pour déterminer la sensibilité des communautés de poissons marins aux perturbations (A. Auber) : La description de la dynamique spatiale et temporelle des communautés est essentielle pour comprendre les impacts du changement climatique sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes. Dans ce contexte, il est aujourd'hui reconnu que les approches basées sur les traits des espèces (c'est à dire leurs caractéristiques bio-écologiques) peuvent fournir davantage d'informations que les approches plus classiques fondées sur l'identité taxonomique des espèces. Cette approche dite fonctionnelle, apporte en effet des éléments relatifs aux mécanismes d'effet de l'environnement sur les communautés et sur l'effet de ces dernières sur le fonctionnement des écosystèmes (Figure 10).
Abstract : A better understanding of community dynamics and ecosystem functioning can be achieved by describing how community functional structure responds to environmental change over both time and space and by identifying which functional groups best mediate community responses. Here, we used a trait-based approach in combination with a newly developed application of principal response curves to functionally characterize a rapid taxonomic shift in the eastern English Channel fish community in the late 1990s. We identified the functional groups with the greatest contributions to the overall shift in fish functional structure and uncovered significant trait?environment relationships. We found that pelagic species with rapid life history cycles, characterized by broadcast spawning, small offspring size, and early maturation, declined considerably in abundance following an increase in sea surface temperature associated with a warming phase of the Atlantic Multidecadal Oscillation, which was likely exacerbated by historical fishing pressure. In contrast, species with late maturation, high parental care, and few, well-developed offspring increased in abundance, reinforcing that fish community responses to climate warming are strongly mediated through life history traits. By examining how environmental factors drove a community shift at the trait level, we provide a mechanistic understanding of how fish functional structure responds to rapid environmental change.
Figure 10: Principal response curve showing changes in fish community structure across sampling sites (x-axis) between the baseline period (1988¿1997) (pre-shift) and tested period (1998¿2011) (post-shift). (b) Map showing the amplitude of temporal changes in fish functional structure (i.e. cdt values) at each sampling site and the trend (increase or decrease) of abundance for the most contributive functional groups (diagram to the right of map). Functional groups are ranked by their contribution weight (bk) coefficients. For clarity, only traits with bk coefficients in the first or last decile are shown. Sampling sites with significant change are shown by asterisks (***p < 0.001; **0.001 < p < 0.01; *0.01 < p < 0.05). Illustration issue de McLean, M., Mouillot, D., & Auber, A. (2018). Ecological and life history traits explain a climate-induced shift in a temperate marine fish community. Marine Ecology Progress Series, 606, 175-186.
Le programme RECCRU (RECrutement CRUstacés) (M. Guillam - Station Biologique de Roscoff):
RECCRU vise à mettre en place des indices de recrutement des principales espèces de crustacés à fort intérêt commercial des côtes Manche-Atlantique telles que le homard (Homarus gammarus), le tourteau (Cancer pagurus), l'araignée de mer (Maja brachydactylus) et la langouste rouge (Palinarus elephas), en vue de prédire l'évolution de leurs stocks et de mettre en place des mesures de gestion adaptées. Un des axes de ce programme coordonné par la Station Biologique de Roscoff vise à acquérir des données sur la phase larvaire de ces espèces commerciales avec un intérêt particulier pour la langouste. Les caractéristiques des premiers stades de vie planctonique de ces grands crustacés telles que la durée de vie des larves, leurs périodes de présence, leur distribution spatiale ainsi que les liens potentiels entre les abondances larvaires et le recrutement benthique et la connectivité entre les stocks, sont les principaux aspects étudiés durant ce projet.
Dans ce contexte, dans le cadre des campagnes CGFS, une série d'échantillonnage est réalisée en Manche Ouest depuis 3 ans à l'aide d'un filet à plancton MIK afin d'établir la distribution spatiale des larves de langouste Palinurus elephas en entrée de Manche et en Manche occidentale. A ce jour, un réseau de 17 à 23 stations, soit un total de 61 stations, a été échantillonné depuis 2018. Aucune larve de langouste n'a pour le moment été récoltée durant ces campagnes. En revanche, les résultats préliminaires montrent la présence de larves phyllosomes de cigales de mer (Figure 11) (morphologiquement proches de celles des langoustes) principalement dans la partie la plus occidentale de la Manche-Ouest, à l'ouest du front d'Ouessant (Figure 12). Nous notons également la présence de zoés de homard et d'araignée de mer. L'année 2021 devrait clore ce suivi spatio-temporel des larves de Crustacés en Manche ouest au sein du projet RECCRU.
Figure 11: Larve phyllosome de cigale de mer Scyllarus arctus. La longueur totale de l'individu est de 1.3cm
Figure 12: Distribution spatiale des larves phyllosomes de Scyllarus arctus en Manche occidentale, observée lors de la campagne CGFS 2018. Les points rouges indiquent la présence de phyllosomes ; l'abondance larvaire est exprimée en larves.10000m-3. Les croix bleues indiquent les stations où aucune larve n'a été observée.