Le premier résultat de la campagne MD171 est le succès de la stratégie d'échantillonnage en nombre et quantité. En moyenne, les wax cores ont rapporté 40 à 50g de verre volcanique, permettant de réaliser l'ensemble des analyses souhaitées. C'est un grand progrès par rapport aux techniques jusque-là mise en oeuvre. L'importance en quantité et la qualité des verres obtenus permettent non seulement de réaliser le projet mais aussi de conserver du matériel pour d'autres mesures non prévues initialement. Une carte de l'échantillonnage réalisé au cours de GEISEIR 1 (Figure 2) montre la densité obtenue sur la zone. Vingt-cinq dragues ont complété l'échantillonnage. Les analyses des éléments majeurs confirment que la très grande majorité des échantillons (110 sur 120) appartient aux MORB appauvris et sont exempts d'influence enrichie.
Figure 2 : Échantillonnage réalisé au cours de la campagne GEISEIR 1, sur fond bathymétrique. Points rouges: dragues réalisées, points noirs: wax cores réalisés.
Du point de vue bathymétrique et géophysique, le long segment situé entre 89 et 96°E avait fait l'objet d'un lever partiel de part et d'autre de l'axe jusqu'à l'inversion Brunhes-Matuyama lors de campagnes antérieures. Le projet GEISEIR a permis d'achever ce lever et de disposer ainsi d'une couverture quasi-complète sur toute la longueur du segment. Le temps disponible n'a permis que de réaliser des levés axiaux pour les autres zones d'étude: le navire réalisait d'abord un levé de l'axe de la dorsale, les données étaient immédiatement traitées et utilisées pour sélectionner les sites d'échantillonnage suivants. L'imagerie a joué un rôle très important pour déterminer les zones actives récentes et ainsi réussir l'échantillonnage par wax core. On voit ci-dessous les levés finaux de la boite B1 (Figure 3)
Figure 3 : Levé bathymétrique du secteur occidental de la boite de travail B, entre 89 et 92°E (voir Figure 2 pour la position).
Exploitation commune des deux campagnes GEISEIR 1 et 2
L'exploitation des échantillons a été longue du fait, d'une part, du très grand nombre d'échantillons à traiter et, d'autre part, car nécessitant la contribution des trois laboratoires impliqués dans la production des données isotopiques.
La participation de B. Hanan et D. Graham au projet se justifiait par leur implication dans les campagnes antérieures sur la zone. Ils ont apporté au projet les échantillons dont ils disposaient, nous évitant de rééchantillonner les mêmes sites.
La séparation du plomb et son analyse étaient, à la demande de Francis Albarède (co-chef de projet), confiées à Barry Hanan de San Diego State University, celles du Hf à Janne Blichert Toft de l'ENS Lyon et celles de Sr et Nd à Christophe Hémond, UBO Brest. Pour réaliser les analyses sur la même fraction et permettre ainsi de les comparer, ces analyses ont du être séquencées, le Pb étant analysé en premier, puis le Hf et enfin Sr et Nd comme le protocole chimique le requiert. Les mesures d'hélium étaient confiées à David Graham (Oregon State University), qui les a réalisées à l'issue de la seconde campagne. Le retard des analyses isotopiques des échantillons de GEISEIR 2 est, pour partie, lié aux difficultés budgétaires rencontrées par les laboratoires américains en 2013 ("budget shutdown" de l'Etat Fédéral et de la NSF). Ce retard sur les analyses à effectuer en tout début du protocole a eu un effet sur toute la production des données isotopiques.
Les données de Hf et de Pb de la campagne GEISEIR 1 confirment l'existence d'une distribution bimodale (Hanan et al., EPSL, 2013). Les deux populations définissent de fines bandes de composition dans le manteau supérieur, bandes dont la densité suit une loi de Poisson et dont l'épaisseur caractéristique est de 20km (Figure 4). Le manteau source de chaque échantillon résulte d'un mélange de mélanges multistades ; ainsi il n'y a pas de corrélations entre K/Ti ou Na8.0 avec le Pb ou le Hf et les deux groupes contiennent des N- et des E-MORBs, éliminant ainsi l'hypothèse d'une fusion variable dans un manteau homogène. Il semble que la convection du manteau ait plié l'ensemble des réservoirs composites de manteau hétérogène et les ait étirés en fines bandes qui demeurent des unités cohérentes et identifiables.
Figure 4 : Distribution bimodale de bandes hétérogènes définies par les isotopes de l'Hf et du Pb. (a) le « code barre » de la distribution des bandes avec la position des échantillons ; (b et c) gamme et distribution spatiale le long de l'axe des rapports isotopiques de Pb et d'Hf pour les deux populations barre blanche = cercle vide et barre noire = cercle plein). D'après Hanan et al. (2013).
Figure 5 : 3He/4He le long de la section de dorsale GEISEIR entre 81°E et 101°E (distance en km depuis l'île St. Paul). Les lignes pointillées verticales soulignent les frontières de 1er et 2ème ordres de la segmentation tectonique de la dorsale, d'après Graham et al. (2014).
Les données d'hélium ont été publiées cette année (Graham et al. 2014; Figure 5). Les analyses statistiques des données rendues possibles par le grand nombre d'échantillons révèlent des pics significatifs pour des longueurs d'ondes de 100 et 30-40km, la deuxième étant comparable à celle trouvées pour l'Hf et le Pb dans l'article sur ces données. Elles montrent aussi qu'à 1000km de longueur d'onde, l'He est en phase avec la profondeur de l'axe et donc avec les variations de température du manteau. Avec les données de Hf et Pb, les données d'He sont compatibles avec un contrôle par le pliage et l'étirement d'hétérogénéités au cours du fluage du manteau à l'échelle régionale (1000km) et intermédiaire (100km) et par son échantillonnage au cours de la fusion partielle (30km).
En ce qui concerne les mesures sur les échantillons de GEISEIR 2, les éléments majeurs ont été déterminés car nécessaires à la publication des données d'He présentées ci-dessus. Les éléments en traces sont en cours de détermination. Les mesures de Pb et Hf pour GEISEIR 2 sont en cours et seront publiées conjointement.
Les autres données isotopiques (Sr et Nd), déterminées pour GEISEIR 1 et en cours pour GEISEIR 2, seront publiées dans un papier global comprenant majeurs et traces sur l'ensemble de la zone d'étude.
Afin d'examiner et de contraindre la variabilité probable du taux de fusion partielle dans le manteau source, une thèse en cotutelle (Alexandre Schohn) vient de commencer à Brest sous la supervision de Christophe Hémond et Andreas Stracke (Université de Westphalie à Münster). Elle portera sur la détermination des compositions isotopiques de Th et Ra pour obtenir des données de déséquilibres radioactifs. Ceux ci sont sensibles au taux de fusion et à la vitesse de remontée des magmas. Ils permettront d'évaluer la contribution respective à la fusion partielle des variations de la température (et donc de la vitesse de remontée du mélange magma-manteau) et celles de la composition.
En complément, Matthieu Clog, qui a réalisé une thèse sur la composition en eau des basaltes de dorsale à l'IPG de Paris, a participé à GEISEIR 1 et a utilisé une partie des échantillons de la campagne. Jabrane Labidi, du même laboratoire, a participé à GEISEIR 2 et a utilisé des échantillons des deux campagnes pour en déterminer la composition isotopique du Soufre dans le cadre de sa thèse. Ces travaux sont en cours de publication.
Les données bathymétriques et géophysiques seront confrontées aux données de concentration d'éléments majeurs et en traces afin de mettre en évidence un possible lien avec les variations du taux de fusion partielle, lui même reflet de la température du manteau.
Afin de valoriser au mieux les multiples descentes et remontées du wax core et de réaliser une première exploration de l'hydrothermalisme océanique à l'axe de la dorsale est indienne dans la zone d'étude, un MAPR (Miniature Autonomous Plume Recorder) a été fourni par Ed Baker (PMEL) et a permis d'enregistrer de nombreux signaux hydrothermaux. Ce travail a fait l'objet d'une publication en 2014 (Baker et al., 2014).
État des travaux restant à réaliser :
- Les données d'Hf et de Pb de GEISEIR 2 sont en cours d'acquisition et seront publiées conjointement (en 2015).
- Les données de Sr et Nd, acquises pour GEISEIR 1 et en cours d'acquisition pour GEISEIR 2, seront publiées conjointement avec les données des éléments majeurs et en trace (fin 2015 ou 2016).
- L'exploitation des échantillons de la campagne GEISEIR se poursuit dans le cadre de la thèse d'Alexandre Schohn via la détermination des déséquilibres radioactifs U-Th et Th-Ra (travaux initialement non envisagés). Ces travaux requièrent la connaissance de la variabilité chimique du manteau, obtenue par les analyses isotopiques, et viennent à point nommé dans le protocole analytique.
- Les données géophysiques sont traitées, et leur analyse conjointe avec les données d'éléments majeurs et en trace devrait être finalisée en 2015.