1. L'exploration de la biodiversité :
Deux objectifs ont été fixés : patrimoine naturel et relations des différentes populations d'invertébrés étudiés entre les îles de Polynésie française et avec les autres échantillons récoltés lors des campagnes précédentes dans l'ouest du Pacifique, ou bien présents dans les collections du Queensland Muséum avec qui nous collaborons sur les spongiaires du Pacifique depuis de nombreuses années.
La publication « Affinities of sponges (Porifera) of the Marquesas and Society Islands, French Polynesia, » donne les résultats très complets du travail effectué :
Résumé : Les éponges des iles hautes de Polynésie française, les archipels des Marquises et de la Société, ont été inventoriées tant sur les pentes des îles que celles des récifs barrières, mais aussi dans les lagons. Leur présence/absence sur les différents sites explorés a été notée, ainsi qu'une estimation de leur abondance relative sur les 109 sites explorés sur 6 Iles Marquises et 8 Iles de la Société. La distribution des éponges dans chaque archipel est assez homogène, et présente des arrangements caractéristiques des Iles du nord ou du sud. Environ un tiers de la faune de chaque archipel semble endémique, mais les comparaisons entre eux montrent une grande hétérogénéité, avec seulement 4 des 76 espèces répertoriées communes aux deux archipels. La faune des Iles Marquises, caractérisée par des pentes rocheuses, est dominée par des espèces de l'ordre des Poecilosclerida, et présente un arrangement de diversité taxonomique comparable à la faune des Iles Hawaii, elles aussi très isolées. La faune des Iles de la Société est elle, dominée par l'ordre des Dictyoceratida, ce qui reflète ainsi la prédominance des récifs coralliens et des lagons, et des associations phototrophiques.
Les faunes des éponges de ces deux archipels de Polynésie française ont été analysées par des méthodes de parcimonie et d'analyses statistiques multivariées afin de les comparer avec les faunes les plus proches dans le Pacifique Sud Ouest. Ces comparaisons ont montré des similitudes entre (Iles Marquises + Iles de la Société), ((Tonga + Fidji) + Vanuatu) + Nouvelle Calédonie), (Grande Barrière de Corail Nord et Sud), mais très peu de similitudes (nulles ou très faibles) ont été trouvées entre les faunes géographiquement plus isolées comme la Grande Barrière de Corail et Palau.
Les organismes ont été récoltés en plongée autonome lors de 260 plongées autour des Iles de la Société (67 sites) et 210 plongées aux Iles Marquises (39 sites). Chaque site a été géoréférencé et décrit par un profil morphologique et des données écologiques : l'abondance de la faune et de la flore a été autant que possible quantifiée par des indices de 1 (rare) à 4 (abondant) pour chaque taxon rencontré. Une attention particulière a été portée sur la collecte des données et sur l'échantillonnage, mais la récolte d'espèces cryptiques est restée en dehors du thème de cette étude qui s'est concentrée sur les espèces macroscopiques. D'autres données ont été saisies sur le site de récolte : photos in situ et ex situ de chaque éponge, description de la morphologie générale de chaque échantillon (habitat, caractéristiques de la surface, consistance, couleur intérieure et extérieure). Un numéro d'enregistrement unique est attribué à chaque échantillon, numéro qui accompagnera l'échantillon dans toutes les étapes de son étude taxonomique ou chimique. Les échantillons de référence sont conservés dans de l'éthanol à 85%, et identifiés au Queensland Museum en utilisant des critères taxonomiques traditionnels. Un N° d'OTU (Unité Taxonomique Opérationnelle) a été attribué à chaque échantillon que le taxon soit identifié ou non selon la classification de Linné. Chaque OTU est décrit sommairement par une fiche de données accessible en ligne sur http://wiki.trin.org.au/Marine/Sponges/, ce qui permet de comparer les échantillons de toute la collection comme étant identiques ou différents. Actuellement, ces hypothèses morphologiques sont en cours de confirmation par l'analyse de données moléculaires d'un grand nombre d'échantillons en collection au Queensland Museum (voir le projet Sponge Barcoding Project, www.spongebarcoding.org). Le séquençage systématique des collections, ou Barcoding, des spongiaires est un travail difficile et de longue haleine (Vargas et al, 2012.) Les premiers résultats convaincants seront obtenus dans plusieurs années. En attendant, la description des OTU présentée ici reste une méthode utile pour l'estimation de la biodiversité.
Les différents biotopes rencontrés dans ces archipels ont été explorés : récifs extérieurs, intérieurs, passes, récifs frangeants, lagons, baies, caps ainsi que différentes expositions, au vent (dans la m esure du possible) et sous le vent. Aux Marquises, les conditions météorologiques n'ont pas permis l'exploration des côtes est situées au vent. L'exploration de chaque ile était considérée comme terminée quand aucune nouvelle espèce pour cette ile n'était trouvée, sauf pour Fatu Hiva qui n'a été que brièvement étudiée par manque de temps.
Au total 41 espèces d'éponges (ou OTUs) ont été identifiées pour les Iles de la Société (tableau 2) et 38 pour les Iles Marquises (tableau 3). Un indice d'abondance a été attribué à chaque espèce pour être utilisé par la suite pour des analyses qualitatives (figure 3) ou quantitatives (figure 4). La faune des Iles Marquises montre une répartition qui rejoint la subdivision géophysique des Marquises du Nord (Nuku Hiva, Ua Huka, Ua Pou) et des Marquises du sud. (Hiva Oa, Tahuata and Fatu Hiva) (Fig. 2). Quinze espèces ont été trouvées uniquement dans les iles du Nord, et neuf seulement dans les îles du Sud ; douze espèces sont fréquentes et réparties sur tout l'archipel. Les deux groupes d'iles de la Société (Iles Sous le Vent et Iles du Vent) montrent des faunes similaires avec respectivement 32 et 24 espèces, dont 16/32 espèces sont communes sur l'ensemble de l'archipel, 7/32 présentes seulement aux Iles Sous le Vent et 7/24 trouvées uniquement aux Iles du Vent. Tahaa et Raiatea sont entourées d'un récif barrière et d'un lagon communs, représentant ainsi la plus grande structure récifale de l'archipel de la Société, abritant 26 des 32 espèces trouvées aux Iles Sous le Vent.
Si la répartition de la faune des spongiaires au sein de chaque archipel est assez homogène, la composition taxonomique en particulier au niveau ordinal est très différente entre eux. Les éponges de l'ordre des Dictyoceratida sont prédominantes sur les sites des Iles de la Société, alors que les spongiaires de l'ordre des Poecilosclerida sont majoritaires aux Iles Marquises (fig 3). Ces taxons sont majoritaires à la fois en abondance et en diversité spécifique (tableau 3, Fig. 4), reflétant ainsi les caractéristiques géomorphologiques et les biotopes différents entre les deux archipels. Les Iles de la Société présentent un ensemble corallien important où les éponges Dictyoceratida, dont beaucoup sont phototrophiques, sont abondantes, alors que les pentes des Iles Marquises sont essentiellement rocheuses et dominées par les spongiaires Poecilosclerida, tous hétérotrophiques. Les éponges de l'ordre des Verongida sont aussi des composantes importantes des faunes de ces deux archipels avec 6 espèces aux Iles de la Société et 4 aux Iles Marquises. L'abondance de Suberea ianthelliformis aux îles Marquises est remarquable et comparable à ce qui a été observé aux Iles Salomon (Mani, 2012), qui se trouvent à la même latitude que les Marquises. Les pentes rocheuses des îles Marquises offrent des failles profondes et des surplombs couverts par une espèce non décrite à ce jour d'éponge calcaire du genre Leucaltis. Ces iles volcaniques présentent aussi des lavatubes sous-marins comme la grotte d'Ekamako, située sur la côte sud de Nuku Hiva, dont la couverture en éponges Lithistides (Microscleroderma n. sp.) est remarquable. Cette grotte a été proposée comme site à protéger au titre du patrimoine mondial de l'Unesco.
De façon étonnante, seulement 4 espèces sont communes aux archipels des Marquises et de la Société, ces quatre espèces étant communes dans tout le Pacifique. Leucetta « chagosensis » est très fréquemment rencontrée sur les Iles de la Société, mais seulement deux spécimens on été trouvés aux Iles Marquises. Suberea sp (OTU QM2093) est commune aux Iles marquises avec une grande plasticité morphologique, mais a été trouvée une seule fois sur l'épave du Norby dans le lagon de Raiatea. Epipolasis sp. (OTU QM0452) est fréquente aux Iles Marquises mais un spécimen a été aussi trouvé sur les pentes rocheuses de l'ile de Mehetia des Iles de la Société. Ptilocaulis sp (OTU QM1640) est très commune aux Iles Marquises, ainsi que sur la pente externe du récif barrière de Tahiti, mais un seul exemplaire a été trouvé sur la pente externe de l'atoll de Tetiaroa (Iles de la Société).
Au total, 14/41 (34%) et 11/38 (29%) espèces récoltées respectivement aux Iles de la Société et aux Iles Marquises n'ont jamais été rencontrées dans les prospections faites jusqu'à présent dans le Pacifique sud-ouest et sont nouvelles. Seulement 20 espèces de cet inventaire sont partagées entre la Polynésie française et d'autres sites du Pacifique sud ouest.
D'après nos analyses, les faunes les plus proches sont (Iles Marquises + Iles de la Société), (((Tonga+ Fidji)+Vanuatu)+Nouvelle Calédonie) et (GBC Nord + GBC Sud). La classification hiérarchique est en faveur de la corrélation entre la proximité géographique et la similitude faunistique, mais la relation de ces groupes dans d'autres régions comme entre la Micronésie, représentée ici par le jeu de données de Palau, et la Grande Barrière de Corail, est beaucoup plus difficile à affirmer. Les résultats de l'étude de la biodiversité présentés ici montrent des niveaux d'endémisme apparent d'environ un tiers de la faune des éponges à la fois dans les îles Marquises et les îles de la Société. Ce niveau d'endémisme apparent observé, tant que les espèces trouvées ici ne le sont pas dans d'autres archipels, est associé à la dispersion historique des organismes vers l'Est du Pacifique, mais surtout à l'obstacle que représente l'isolement géographique des iles, ce qui explique probablement la similitude des faunes des deux archipels de Polynésie française étudiés ici et le peu de relations observées avec les autres régions dans le Pacifique sud-ouest.
- Diffusion, mise à disposition et pérennisation des résultats
Ce travail important préliminaire aux études de chimie a été valorisé par une publication générale sur la biodiversité des spongiaires des publications et des communications à congrès internationaux en systématique. La publication sur la biodiversité des spongiaires des iles hautes de Polynésie française sera prochainement complétée par un article sur les iles Australes (campagne Tuhaa pae 2013). Un site internet dédié à la faune des spongiaires de Polynésie française est en cours d'élaboration (https://sponges-tahiti.ird.fr) : ce mode diffusion est préféré à ce que nous avions réalisé pour les spongiaires de Nouvelle Calédonie, et permet de toucher un large public. La base de données biodiversité et pharmacochimie de notre laboratoire Cantharella (http://cantharella.ird.nc/) accessible aux personnes autorisées (décideurs, chercheurs).
Par ailleurs, les différentes observations et résultats de cette campagne ont contribué à la sélection de sites naturels à protéger dans le cadre du projet de classification des îles Marquises au patrimoine mondial de l'Unesco. Ces résultats, complété par ceux obtenus à Eiao, Hatututa et Fatu Huku lors de la campagne Pakahi te moana menée en 2011-2012 par l'agence nationale des aires marines protégées aux îles Marquises, ont été transférés à cette agence pour la rédaction de l'analyse écorégionale des iles Marquises. Les données sont en cours de transfert vers l'Inventaire National du Patrimoine Naturel.
2. La valorisation de la biodiversité
L'ensemble des échantillons a été traité pour une conservation optimale et extrait afin de constituer une « extractothèque » de plus de 100 extraits, permettant de les valoriser dans différents domaines. Les travaux d'analyse ont débuté en 2011, après les déterminations préliminaires des organismes, et les résultats des premiers essais biologiques (cultures de cellules tumorales). Le démarrage du projet ANR-Netbiome POMARE en 2012 a permis de développer des essais biologiques permettant de valoriser ces collections dans des domaines importants pour les PVD (aquaculture), pour l'environnement (antifouling), ou la santé (mélanome). Le projet Biopolyval permet d'évaluer le potentiel d'application en cosmétique (conservateurs et antioxidants essentiellement).
Les premiers travaux se sont concentrés sur deux espèces de Suberea (Verongida, Marquises et Société), Monanchora n.sp. (Poecilosclerida, Marquises), et Ptilocaulis (Axinellida, Marquises et Société). Cette diversité d'organismes de large répartition a été utilisée afin d'étudier la corrélation métabolome/spéciation ou adaptation : d'ores et déjà, les analyses chimiques et génétiques montrent une homogénéité pour chaque espèce au niveau soit de l'archipel concerné, soit de la Polynésie. Les seules différences observées pour les Verongidae sont liées à des expositions différentes à la lumière. De nouvelles molécules ont été isolées de Monanchora n.sp. dont l'appartenance à ce genre est actuellement remise en cause, mais dont la chimiotaxonomie permet de dire que cette éponge appartient bien à ce genre ou un genre très voisin. Ce travail a permis d'isoler des composés nouveaux fortement cytotoxiques.
L'homogénéité chimique et des propriétés biologiques des extraits a été vérifiée pour deux autres espèces, Spheciospongia sp (Hadromerida) et Leucetta chagosensis (classe des calcarea), en utilisant le modèle biologique d'inhibition de quorum sensing de Vibrio harveyi et font l'objet d'une thèse débutée en 2012. De nouvelles molécules ont été isolées de Leucetta chagosensis, ainsi que des molécules inhibitrices quorum sensing. Le profil métabolomique de l'éponge du lavatube d'Ekamako (iles Marquises) indique que cette espèce de Microscleroderma contient deux produits majoritaires, les microsclerodermines A et B trouvées déjà dans une espèce de ce genre récoltée sur la ride de Norfolk, ainsi que de nouvelles molécules minoritaires. Cette éponge, ainsi que les microorganismes associés, fait l'objet d'une thèse.
Ce travail de chimie est en plein développement et devrait être terminé en 2017, avec la publication échelonnée des différents résultats. ; les premières publications sont sous ptesse sur une durée probable de 4 années ; ce travail est un travail de longue haleine, comme par exemple l'étude des organismes des iles Salomon (campagne en 2004, dernières publications en 2012). L'ensemble des résultats incrémentent la base de données Cantharella (http://cantharella.ird.nc/) accessible aux personnes autorisées (décideurs, chercheurs). Un article de vulgarisation a été publié récemment afin de présenter le potentiel des pongiaires de Polynésie française au public.