Quelques résultats en détail :
La rareté d'observations directes a longtemps entravé notre compréhension de l'environnement physique de l'Océan Austral. Du fait de son extension géographique, de sa géométrie annulaire ouverte sur tous les bassins océaniques et de son rôle très actif au regard des bilans biogéochimiques globaux et du climat, la compréhension fine et satisfaisante des processus régissant la dynamique de l'Océan Austral constitue un défi majeur pour les enjeux actuels sur les études de l'Environnement de notre planète. Ce défi est rendu ardu par le caractère très intense et turbulent de la dynamique océanique dans cette région du globe, ce qui implique une forte variabilité à des échelles de temps très variées et des interactions très fortes entre structures dynamiques d'échelles spatiales très différentes.
Le projet CLIVAR GOODHOPE, coordonné au Laboratoire de Physique des Océans à Brest (UMR 6523 CNRS-IRD-IFREMER-UBO) et opérationnel depuis 2004, vise à quantifier les échanges d'eau (volume et propriétés) entre les océans Austral, Indien et Atlantique, et à en comprendre les mécanismes. Ces échanges sont un maillon complexe de la circulation océanique globale imparfaitement reproduit dans les modèles. Ils émargent sur plusieurs domaines océaniques (subtropical, Courant Circumpolaire Antarctique), dans une région fortement tourbillonnaire et lieu de forts transferts de chaleur en surface.
S'appuyant sur une forte coopération internationale (NOAA, Université du Cap, Institut d'Océanologie Shirshov de Moscou), et soutenu par les programmes LEFE et CLIVAR, le projet est centré sur des mesures répétitives (bathysonde, courantométrie LADCP, sondes perdables de température XBT, géochimie légère) le long d'une section transverse au passage indo-austro-atlantique. Cette ligne est aussi le lieu de déploiements réguliers de profileurs ARGO. En fait, avant l'ère ARGO, cet océan était très pauvre en observations et donc pratiquement inconnu. Nombres d'études, tels même que l'évaluation du cycle saisonnier, étaient impossible simplement par manque de données. Depuis la première campagne GOODHOPE en février 2004 plus de 50 flotteurs ont été déployés le long de cette radiale australe. Le bon fonctionnement de cette extraordinaire plateforme d'observation nous a déjà permis nombre de découvertes sur cette région océanique particulière.
Dans le cadre de ces objectifs, la campagne pluridisciplinaire d'envergure BONUS-GoodHope a été organisée comme l'une des contributions Françaises à l'Année Polaire International. Animée par le but de mieux comprendre la dynamique océanique régional par une approche multidisciplinaire et l'étude des cycles biogéochimiques dans l'océan Austral, la campagne océanographique BONUS-GOODHOPE s'est déroulée du 7 février au 24 mars 2008 dans l'Océan Austral au sud de l'Afrique du Sud. Elle a été sans doute la plus complète et multidisciplinaire de toutes campagnes ayant eu lieu dans le cadre de l'Année Polaire International. Pendant les presque deux mois de mission nous avons pu récolter une moisson de données dans l'eau et dans l'atmosphère sans égale. Ces données qui sont de nature très différente les unes des autres, sont actuellement presque toutes validées, calibrées et analysées. Les analyses ont été effectuée de manière à la fois séparée par les différents groupes scientifiques impliqués dans le projet, mais aussi de manière conjointe ce qui constitue la partie la plus innovante de notre projet. En fait, ces données tellement disparates analysées ensemble nus permettent et permettrons encore dans les mois à venir d'attendre les objectifs initiaux que nous nous étions donnés, à savoir l'évaluation de la circulation régionale des masses d'eau entre les océans Atlantique, Indien et Austral, ainsi que déterminer le cycle du Fer et du carbone ainsi que leur rôle dans les écosystèmes marins austraux et dans les échanges de carbone entre océan et atmosphère.
Ce projet est aussi part intégrante de projets à plus grande envergure, tels que CASO, CLIVAR et GEOTRACES. L'analyse de nos données et leur utilisation dans le contexte de ces projets pourra permettre de mieux comprendre le rôle de l'Océan Austral dans le climat et ses changements.
1. La dynamique océanique : structure méso-échelle , flux air-mer et variabilite à grande échelle
- Structures à petite échelle et échanges interocéaniques
L'océan est caractérisé par des échelles interagissant entre elles, qui vont du kilomètre à l'échelle du bassin océanique. Des simulations numériques de haute résolution ont clairement fait apparaitre l'impact fort des petites échelles vers les plus grandes. Cette dynamique fortement turbulente de l'océan est suspectée de jouer un rôle clé dans la structuration du mélange, des flux (masse, chaleur, eau douce et traceurs biogéochimiques) et des échanges air-mer.
Autour de l'Afrique Australe, le rôle de la méso-échelle est primordial dans les échanges inter-océaniques. Dans les couches océaniques de surface, le transfert d'eau de l'Océan Indien vers l'Océan Atlantique est assuré, principalement, par les anneaux des Aiguilles, qui se détachent de la rétroflection du Courant des Aiguilles, se propagent vers le nord-ouest et pénètrent ainsi dans l'Atlantique. Les échanges méridiens entre la région subtropicale et le Courant Circumpolaire Antarctique résultent eux-mêmes d'instabilités et de détachements de tourbillons au niveau des fronts de ce courant. Ces échanges sont fortement influencés par la topographie, mais on suspecte aussi un rôle primordial joué par les échanges air-mer qui agissent intensément sur les couches limite des deux enveloppes fluides aux échelles des tourbillons et des fronts océaniques. Enfin, la nature extrême des échanges air-mer dans cette région océanique fait de cette région un rouage essentiel de la circulation océanique globale. Le cycle saisonnier, très marqué dans cette région est, par la variabilité des flux thermiques air-mer et du transport d'Ekman, un autre facteur agissant sur les échanges inter-océaniques.
À partir des données récoltés pendant les campagnes GoodHoe et BONUS-GoodHope, l'analyse des données satellitales et l'utilisation conjointe de ces différentes données à travers la mise en place de méthodes dites de « proxy » il a été possible de commencer à détailler la structure et l'influence de la dynamique de petite échelle océanique au niveau des échanges interocéaniques au sud de l'Afrique Australe.
Nous avons pu montrer, entre autre, que les subdivisions d'anneaux sur la bathymétrie de l'ouest du Bassin du Cap semblent déterminantes dans l'orientation des trajectoires (Dencausse 2009 ; Dencausse et al. 2010a, 2010b, et 2010c). Trois « voies » préférentielles de dérive des anneaux ont été identifiées, et définies relativement aux principaux reliefs bathymétriques. Cet ordonnancement des trajectoires en familles atténue l'image chaotique associée à la méso-échelle du Chaudron du Cap. Les évolutions spatio-temporelles des tourbillons de chaque voie sont présentées afin de les caractériser, ainsi que des études spécifiques à chacune des voies. Une étude plus approfondie a été mené sur les tourbillons de la voie dite « sud ». Celle-ci est justifiée par la pénétration des anneaux dans le domaine océanique subantarctique, conduisant à des modifications hydrologiques intenses par échanges air-mer.
À partir des données in situ et des données d'altimétrie satellitales en développant des méthodes de proxy il a été possible de reconstituer à la fois la série temporelle du transport baroclin du Courant Circumpolaire Antarctique ainsi que celles de contenu de chaleur et de sel dans la région au sud de l'Afrique (Swart et al. 2008 ; Swart et al 2010 ; Swart et Speich 2010). La variabilité du transport et celle des contenus thermique et halin ont pu être ainsi étudiés. Elle est très importante et montre de pic à haute fréquence (intrasaissonnier) qui semble être liés à des phénomènes de mésoéchelle qui se superposent à la variabilité saisonnière. Une tendance dans le transport ainsi que dans les contenus thermique et halin a pu être décélé et semble très fortement liée à une pénétration de tourbillons d'eau d'origine Indienne (i.e., anneaux des Aguilles de la voie Sud qui amènent des eaux chaudes et salées en zone subantarctique) plus importante à la fin de la série temporelle par rapport au début des années 90.
Des études sont actuellement en cours à partir des données in situ récoltés à partir des campagnes GoodHope, BONUS-GoodHope et par les flotteurs ARGO déployé dans la région, pour établir un bilan des échanges interocéaniques en terme de transport des eaux intermédiaires et modales qui pénètrent à l'intérieur de la thermocline dans l'Océan Atlantique Sud et qui participent ainsi activement à la circulation océanique globale et à la ventilation, l'injection d'éléments nutritifs et stockage de carbone au niveau cette couche d'eau. Des résultats préliminaires suggèrent très fortement l'influence de la dynamique de mésoéchelle au niveau du Bassin du Cap et de la zone subantarctique comme vecteur essentiel de cette ventilation qui suit des routes bien définies et identifiées (Arhan et al. 2011). Les anneaux des Aguilles échantillonnés pendant la campagne BONUS-GoodHope sont des pompes de CO2 très efficaces qui, du fait de leur subduction rapide en Atlantique Sud-Est, se révèlent des acteurs majeurs dans le stockage de carbone dans l'océan de subsurface.
- Structures à petite échelle et bilan de chaleur de la couche de mélange
Nous avons réalisé une étude du bilan de chaleur de la couche de mélange océanique au sud de l'Afrique du Sud (Faure et al. 2011). Cette étude s'inscrit dans le cadre du des échanges inter-océans entre l'Océan Indien, Atantique Sud et Austral. Nous utilisons les données de flotteurs profilants ARGO pour calculer les variations du contenu thermique de la couche de mélange pendant la période 2004-2008. Les autres processus physiques contribuant au bilan de chaleur sont l'advection, le transport d'Ekman, la diffusion turbulente de méso-échelle et les flux de chaleur air/mer. Les données satellites qui fournissent la température de surface, les courants géostrophiques de surface et la tension du vent ont permis de calculer ces termes. Les flux air/mer proviennent d'une réanalyse météorologique (WHOI Ocean Atmosphere Flux project). Ce produit s'est révélé l'unique pouvant donner des termes de flux réalistes par rapport aux réanalyses ERA et ERA-Intermi du centre Européen ECMWF ou celles du centre NCEP des Etats Unis.
Le cycle saisonnier des termes contribuant au bilan de chaleur sont calculés dans quatre zones séparées par les fronts dominants de l'Océan Austral (Zone Subtropicale, Zone Subantarctique, Zone du Front Polaire et Zone Antarctique). Nous observons que le cycle saisonnier est contrôlé par les flux air/mer dans toutes les zones. Le refroidissement induit par le transport d'Ekman est dominant dans la zone subantarctique et zone du front polaire. La diffusion turbulente apparait comme un terme de réchauffement dans la zone subantarctique puisque les tourbillons générés par le front subtropical transportent des eaux subtropicales chaudes vers le sud. Inversement, nous pouvons aussi quantifier l'effet de refroidissement des tourbillons d'origine subantarctique se déplaçant vers le nord.
- Structures à petite échelle et échanges air-mer
L'interface entre océan et atmosphère est le siège d'échanges de chaleur et de quantité de mouvement. Les échanges sont représentés par des flux qui sont d'une part d'origine radiative (flux de courte et longue longueur d'onde, flux de chaleur latente et sensible) et d'autre part liés à la dynamique de la couche limite atmosphérique. Ces échanges ont un impact suspecté comme très important à la fois sur la dynamique de la couche limite et la circulation atmosphériques ainsi que sur les structures océaniques proche de la surface et donc, par interaction d'échelle, sur les échanges interocéaniques et donc sur la circulation globale.
À partir de ce constat nous avons oeuvré pour que nous puissions observer de manière relativement complète et à fine échelle l'atmosphère pendant la campagne BONUS-GoodHope. Ainsi nous avons pu mettre en oeuvre des mesures de flux radiatifs et des radiosondages (45 effectués) en sus des mesures standards. Ces mesures effectuées parallèlement aux mesures océanographiques physiques et biogéochimiques, permettent d'avoir un jeu de données océan-atmosphère particulièrement complet et permettant d'étudier les échanges air-mer. Les résultats préliminaires des observations atmosphériques et océaniques ont pu dégager le rôle capital joué par la petite échelle océanique (mésoéchelle) sur l'organisation des flux air-mer et des écoulements atmosphériques (Messager et al. 2011).
Tous ces échanges sont des maillons de la circulation océanique globale jusqu'à présent imparfaitement reproduite dans les modèles. Bien que les modèles ne soient qu'une représentation approximée de la réalité, ils offrent une vision 4D par rapport aux observations qui restent éparses et limitées en nombre de variables. Tandis que des avancées commencent à être faites au niveau de la compréhension des processus et des interactions océaniques, la structure et phénoménologie des échanges air-mer et des rétroactions dynamiques sur les deux milieux fluides aux méso- et subméso- échelles (de 2 à 50 km) restent encore très peu connues.
Une manière d'évaluer ces échanges aux échelles fines est de modéliser les deux compartiments - océan et atmosphère - du système climatique en les couplant entre eux. A ce fin nous avons commencé à mettre en place des études qui mettent en oeuvre le couplage entre les modèles régionaux d'atmosphère WRF (Weather Research and Forcasting) et d'océan ROMS (Regional Ocean Modelling System). D'après l'analyse de nos résultats on peut dire que le couplage ROMS-WRF améliore grandement la prise en compte des flux de surface et leurs variabilités spatiales (Le Bars 2009). La signature sur les précipitations est remarquable. L'impact sur le vent de la basse couche limite est important et là encore, la variabilité spatiale est largement plus réaliste. On peut dire que la mise en place d'un modèle océanique sous le modèle atmosphérique a clairement permis de prendre en compte la spécificité de la région australe au sud de l'Afrique du Sud. Ainsi la turbulence de méso-échelle introduite dans la partie océanique influence largement l'atmosphère en introduisant par rétroaction de la variabilité méso échelle. Il est aussi possible de discerner l'effet du couplage sur la couche limite océanique avec un refroidissement de l'océan là ou les flux de chaleurs vers l'atmosphère sont importants.
2. L'Océan Austral et son impact sur la variabilité grande échelle
À partir des flotteurs profilants ARGO déployé dans l'océan global et Austral depuis 2003 (dont au moins une centaine déployé dans la région par les projets GoodHope et BONUS-GoodHope) nous avons pu calculer les variations mensuelle (par rapport à une valeur moyenne) de l'océan en contenu de chaleur (Fig. 5; calcul effectué entre la surface et la profondeur 1500 m), en volume d'eau douce et la variation de la hauteur stérique pour l'océan Austral et nous avons mis ces valeurs rapport aux variations de l'océan global, l'océan tropical et les latitudes subtropicales-subpolaires de l'hémisphère Nord. Nous avons pu mettre en évidence que l'océan est en train de changer drastiquement ses propriétés en température et salinité et ceci en conséquence au changement global (augmentation de la température océanique, des précipitations sur l'océan). Le niveau de la mer change ainsi non seulement à cause de la fonte des glaciers mais aussi, et de manière importante, à cause des effets stériques liés aux changements des propriétés de l'océan. Les variations de l'océan Austral sont les plus importantes. L'augmentation du niveau de la mer due aux effets stériques explique 70% de l'augmentation totale dans ce secteur océanique. Ces effets constituent donc une contribution essentielle aux variations du niveau de la mer globale (von Schuckman et al. 2011, en préparation).
3. Le dioxyde de carbone
L'océan Austral agit globalement comme un puit de CO2 atmosphérique, ce puit provenant du bilan net entre les processus d'absorption de CO2 par la production primaire et la formation des eaux modales et subantarctiques au niveau des zones subtropicale et subantarctique et le dégazage de CO2 au niveau de la zone polaire dû essentiellement, à la remontée des eaux profondes à la surface océanique. L'inventaire de carbone océanique est encore relativement peu precis ainsi que la connaissance des processus qui gouvernent son cycle et ses transferts avec l'atmosphère, la colonne d'eau et les sediments. Aujourd'hui plus que jamais, dans le contexte du changement global en cours et ses impacts, une meilleure evaluation de ces transferts, du stockage de carbone par l'océan et des processus en jeu est nécessaire.
L'un des objectifs du projet BONUS-GoodHope se place dans ce cadre et il vise à une meilleure compréhension et estimation des processus qui règlent les flux air-mer de CO2 et l'export océanique de carbone dans l'Océan Austral. Pour établir une compréhension phénoménologique et une appréciation quantitative des processus en jeu, la stratégie adoptée a été celle d'une approche multi-proxy géochimique.
L'une de ces méthodes se base sur les observations « en route » de pCO2 et des mesures discrètes de Carbon Inorganique Dissous dans la colonne d'eau (DIC). Ces mesures ont permis de montrer que la dynamique océanique conditionne très fortement la structuration en DIC, Alkalinité, pH, CFCs, etc de la colonne d'eau (Gonzalez-Davila et al. 2011a, b). Cette structuration se fait autour de la mésoéchelle (tourbillons, jets, courants de pente). Ce qui permet de suggérer que la dynamique océanique de petite échelle agit de manière déterminante sur le transport et la distribution des éléments biogéochimiques. Il nous reste maintenant à déterminer précisement les processus de transport (origine et devenir des structures à mésoéchelle, y compris de celles en profondeur qui ne sont pas accèssibles par des mesures d'altimétrie ou du réseau ARGO et donc elles sont beaucoup moins documentées que celles plus proches de la surface).
À partir des données de DIC et Alkalinité Totale il a été possible de construire un bilan de carbone pour la couche de mélange de manière à déterminer la production saisonnière de la Net Community Production (NCPseason) pour les différentes région océaniques échantillonnées pendant la campagne BONUS-GoodHope (Joubert et al. 2011). En comparant les résultats obtenus pour NCPseason avec ceux relatifs à l'export de carbone obtenus par l'approche 234Th, nous observons que NCPseason était le plus élevé au niveau du front Sud de l'ACC (SACCF) avec une décroissance légère vers le nord, tandis que les valeurs minimales ont été observées dans la région de la gyre de Weddel. Une diminution importante de l'export de carbone observées à partir des données NCPseason apparaît au niveau du Front Subantartique (SAF), ce qui pourrait être dû ou à une respiration mésopélagique importante ou bien à un processus physique qui empêcherait dans cette zone de mer, un export de carbone vers les couches océaniques profondes.
4. Les éléments traces et isotopes: la contribution de BONUS-goodhope au programme international GEOTRACES
Le fil conducteur du programme international GEOTRACES est la détermination des distributions dans l'océan global de certains éléments trace et des isotopes (TEIs), y compris leur concentration, leur spéciation chimique et la forme physique, et d'évaluer les sources, les puits, et le cycle interne de ces espèces afin de caractériser plus complètement les processus physiques, chimiques et biologiques régissant leurs distributions.
Dans le cadre de l'effort API-GEOTRACES, le projet BONUS-GoodHope a offert l'opportunité de mesurer divers TEIs dans la colonne d'eau, l'atmosphère et les sédiments de l'océan Austral et le sud-est de l'océan Atlantique. Bien que certains de ces TEIs avaient déjà été étudiés dans une région proche de la partie la plus méridionale de notre radiale, la region subptropicale et subantarctique avaient été très peu documentées jusqu'à présent. D'autres mesures de TEIs mis en oeuvre pendant notre campagne étaient encore au stade exploratoire, telles que la composition isotopique du Fer et du Cadmium. La combinaison unique d'approches multi-traceurs, et les exercices d'intracomparison pour certains des TEIs mesurés pendant la campagne BONUS-GoodHope devraient fournir une nouvelle perspective dans la calibration des traceurs, en particulier pour ceux destinés à quantifier l'export de carbone. Enfin, pour atteindre une compréhension plus fine des processus physiques, chimiques et biologiques régissant les distributions de TEIs observées, pendant tout le déroulement de la campagne des expériences d'incubation spécifiques ont été réalisées pour étudier le cycle de ces éléments.
5. Répartition spatiale et cycle interne des métaux trace et isotopes
- Métaux trace (Zinc, Cobalt, Cadmium)
La distribution du cobalt dissous (DCo) le long du transect Bonus-Goodhope indique que la marge Sud-Africaine pourrait être une source de Cobalt pour la partie Nord du transect (Bown et al. 2011). Aucun apport atmosphérique n'a pu être clairement mis en évidence. Les profils en DCo reflètent un comportement hybride du cobalt qui peut avoir d'une part, un comportement type nutritif avec des corrélations avec les macronutritifs (phosphates et silicates particulièrement) et d'autre part être sensiblement scavengé le long de la colonne d'eau. Les processus de reminéralisation semblent également impacter les distributions en cobalt et ce particulièrement dans la zone subantarctique et sur le front polaire.
- Répartition de concentrations en Fer Dissous, Total dissoluble et soluble dans la colonne d'eau
Le cycle océanique du fer est un maillon essentiel du cycle global du carbone et donc du climat. Le fer est un élément nécessaire à la vie et notamment à la croissance végétale (phytoplancton dans l'océan). Mais s'il abonde sur les continents, les océans en sont largement dépourvus. À tel point, que dans de vastes régions (océans Austral, Pacifique équatorial et Subarctique), la croissance du phytoplancton est limitée par le manque de fer et les algues "anémiques", ce qui a un impact sur la pompe de carbone biologique et la capacité des régions océaniques telles que l'Austral dans à séquestrer efficacement le carbone. Pour étudier le cycle des éléments dans l'environnement, l'approche classique consiste à mesurer leur concentration. Pour le fer en particulier, de nombreuses inconnues persistent, notamment : sous quelle forme chimique se trouve cet élément en entrant dans l'océan, quelle est sa solubilité et les facteurs qui la contrôlent et enfin, quelle est la fraction assimilable par le phytoplancton ?
Ces questions ont constitué l'un des axes de recherche de la campagne BONUS-GoodHope. Ainsi les analyses en laboratoire des échantillons d'eau récoltés ont permis d'obtenir une vision relativement complète de cet élément dans la région océanique au sud de l'Afrique (Chever 2009, Chever et al. 2010, Sarthou et al. 2011). Notamment, il a été possible de déterminer les distributions du Fer Dissoluble Total (TDFe, unfiltré), du fer dissous (DFe, 0.2 µm filtré) et soluble (SFe, 0.02 µm filtré). Dans la couche de mélange, les valeurs moyennes observées pour le TDFe et DFe ont été de 0.43 ± 0.28 nmol L-1 and 0.22 ± 0.18 nmol L-1 respectivement. Dans les eaux profondes, les concentrations mesurées de TDFe et DFe s'élèvent à 1.07 ± 0.68 nmol L-1 and 0.52 ± 0.30 nmol L-1. Les concentrations en DFe décroissent du nord au sud de la section (i.e., des eaux subtropicales à la Mer de Weddell). Les valeurs maximales de DFe dans les eaux subtropicales peuvent être dues ou bien à des poussières tmosphériques provenant de Patagonie (continent Américain) ou de l'Afrique Australe et/ou par des apports lithogéniques Lelong de la marge continentale Africaine. A l'exception du domaine subtropical ou dans les premiers 1500 m de la colonne d'eau des valeurs en SFe de 0.4 - 0.6 nmol L-1 ont été observées, les valeurs de SFe qui caractérisent tout le reste de la radiale sont proches de 0.1 - 0.2 nmol L-1 à la surface et de 0.3 - 0.5 nmol L-1 dans le couches profondes. Les distributions observées de SFe and CFe peuvent être expliquées par des concentrations d'agrégations colloïdales des ligands colloïdaux et solubles et l'assimilation biologique.
Bien que l'approche classique pour étudier le cycle des éléments dans l'environnement, soit la plus répandue, il est aussi possible, pour certains d'entre eux, de mesurer leur composition isotopique. Cette dernière apporte des informations souvent inaccessibles par des mesures de concentration classiques; elle permet notamment de déterminer l'origine de l'élément ou encore son transfert d'un milieu vers un autre, en d'autres termes de le suivre à la trace! La mesure de la composition isotopique du fer dans l'environnement est devenue possible, il y a une dizaine d'années. Depuis, le nombre de travaux sur ce thème a été considérable. Cependant, aucune mesure n'avait jusqu'à présent pu être réalisée dans les eaux océaniques: une telle analyse est en effet difficile à mettre en oeuvre en raison notamment des très faibles quantités de fer présentes dans ces eaux (1 g pour 100 000 tonnes d'eau). L'équipe de géochimie marine du LEGOS, en collaboration avec le LMTG et le LEMAR, vient de résoudre ce challenge analytique, en mettant au point une méthode d'analyse propre et fiable, ouvrant ainsi la voie à un nouveau champ d'investigation pour l'étude du cycle océanique du fer. Cette étude, publiée à l'issu de la campagne BONUS-GoodHope (Lacan et al., 2008) suggère :
1) Que les différentes masses d'eau océaniques sont caractérisées par une composition en fer isotopique (Fe IC) très contrasté ;
2) Que le Fe IC se comporte de manière quasi-conservative à dans les eaux profondes et sur des échelles de l'ordre de 4000 km. Ceci implique que le Fe IC peut être utilisé comme un traceur des sources de Fer dans l'océan. ;
3) Du Fer très léger a été observé au niveau des eaux Circumpolaires Profondes dans leur couche la plus haute (UCDW) qui sont caractérisées par un minimum d'oxygène. Cette signature est très probablement liée à une remineralization de la matière organique.
6. Composition chimique des particules en suspension
Le groupe de géochimie du LEGOS a développé un nouveau protocole qui permet la mesure de plus de 40 éléments. Les données ainsi établies incluent : la concentration de traceurs lithogéniques comme le Aluminium, Titanium, Thorium et césium ; les traceurs des interactions entre formes dissoute et particulaires tels que les éléments des Terres Rares ; les traceurs de la rémineralisation tels que le Barium ; ainsi que un nombre de métaux de transition tels que le Crome, le Cobalt, le Nickel, le Cuivre , l'Argent et le Cadmium.
- Les éléments trace dans l'atmosphère
Pendant la campagne BONUS-GoodHope un échantillonnage d'aérosol atmosphérique et de pluie a été mis en oeuvre. Du fait des conditions météorologiques extrêmes et des états de mer particuliers à l'Austral, il a été impossible d'installer les instruments de mesure sur le mât à la proue du navire. Ceci a eu comme conséquence que tous les échantillons de pluie ont été contaminés par les éjections du navire et ne peuvent pas être analysés. Les échantillons d'aérosols ont été moins affectés par la pollution du navire. La majeure partie des mesures en métaux trace ne montre pas de contamination et les analyses sont en cours.
Les résultats préliminaires qui semblent se dégager des mesures d'aérosols montrent un fort gradient des concentrations atmosphériques de poussières minérales entre le Nord et le Sud de la radiale, avec des concentrations de poussières environs cinq fois plus élevées près de la côte Africaine que sur l'océan Austral. Au contraire, les concentrations en fer soluble et d'Aluminium étaient plus important (environs le double) dans les échantillons recueillis à l'extrémité sud de la radiale par rapport aux régions subtropicales/subantarctiques. Cela indique que des proportions plus élevées d'aérosol de Fer et d'Aluminium sont solubles dans des régions éloignées des terres que pour l'aérosol plus près de sources de poussières africaines. Ce résultat est important car il suggère que l'atmosphère est une source importante de Fer soluble dans les eaux pauvres en Fer de l'océan Austral. L'augmentation en solubilité du fer dans les aérosols observée sur les eaux Australes implique qu'une fraction plus grande que prévue du fer atmosphérique est disponible dans l'Austral pour soutenir la croissance du phytoplancton.
7. Origine, circulation et ventilation des masses d'eau
Le Baryum montre à la fois un comportement de type macro-nutritif, mais au contraire des sels nutritifs tels que le Silicate ou le Nitrate, il ne semble jamais apparaître à des concentrations nulles (i.e., complètement épuisé par la roduction primaire). C'est typiquement un élément bio-intermédiaire (dans le sens de Broecker and Peng, 1982). Les résultats obtenus pour cet élément pendant la campagne BONUS-GoodHope combinés avec les observations récoltées pendant la campagne ANT22-3 de 2005 le long du méridien de Greenwich (Hoppema et al., 2010) permettent de reconstituer une section de Baryum dissous du Cap jusqu'au continent Antarctique.
À première vue la répartition du Baryum dissous est relativement similaire à celle des Silicates, mais des différences importantes existent et elles apparaissent de manière rès claire quand on calcule le rapport de ces deux éléments. Le rapport est proche de 1 dans les eaux de fond et profondes et pratiquement pour toute la colonne d'eau dans la région au sud du Front Polaire. Par contre le rapport augmente de manière très claire pour les eaux de surface, intermédiaires et pour la veine d'Eau Nord Atlantique Profonde s'écoulant le long de la pente Sud- Africaine ainsi que pour celle provenant du Bassin Argentin.
8. Flux d'export, taux de scavenging et de reminéralisation en lien avec le cycle du carbone océanique
- Processus biogéochimiques impliqués dans l'export et la reminéralisation du carbone (234Th et Baryum particulaire)
Le déficit en 234Th a permis d'identifier la zone située entre le Front Polaire et la limite nord du Gyre de Weddell être celle ou l'export est le plus élevé. Ceci se traduit en un flux de carbone qui varie entre 2.6 et 6.3 mmol m-2 d-1. Pour cette même zone, la reminéralisation du POC dans les eaux mesopélagiques est estimée entre 3.5 et 5.2 mmol m-2 d-1. La pompe biologique est plus faible dans le Gyre de Weddell ainsi que dans les zones SAZ et STZ.
Les résultats BGH montrent que la reminéralisation mésopelagique est refletée non seulement par les teneurs en Ba biogénique particulaire mais également par l'excès de 234Th (par rapport au 238U) dans ces eaux (Fripiat 2009 ; Fripiat et al. 2011a,b). Une approche combinée des proxies Ba biogénique et excès de 234Th paraît donc intéressante pour mieux contraindre l'estimation de la reminéralisation de la matière organique exportée depuis les eaux de surface.
Exploitation des résultats
Ce projet qui se base sur une forte composante expérimentale compte déjà plus d'une vingtaine d'articles publiés dans des révues internationales de rang A. Une quarantaine d'autres manuscrits ont été soumis ou sont en voie de soumission dans le cadre d'une issue spéciale entre les Journaux scientifiques de rang A BiogeoSciences et OceanSciences de l'European Geophysical Union. Le projet a déjà donné lieu à plus de 60 communications internationales, dont une dizaine d'exposés invités. Les données recoltées pendant le projet et les travaux de modélisation dévéloppés en parallèle ont donné lieu à sept stages de Master, neuf doctorats et trois postdoctorats.
Nous avons établi la mise en forme d'une base de donées adapté à l'utilisation pluridisciplinaire de celles-ci. La base de données BONUS-GoodHope a servi comme modèle à la base de données internationale GEOTRACES. La base de données est consultable sur le site : http://www.obs-vlfr.fr/proof/php/bgh_log_basicfiles.php
Discussion
Dédié à mieux comprendre les échanges, et la ventilation des masses d'eau, moteurs de la circulation océanique globale, ainsi que les cycles biogéochimiques dans l'océan Austral. BONUS-GoodHope a été conçu pour réunir des physiciens, des bio- et -géochimistes et des modélisateurs : par le couplage i) de la dynamique océanique ii) avec la biogéochimie dans la colonne d'eau, l'atmosphère et le sédiment, iii) avec l'étude des éléments trace et des isotopes qui servent de traceurs de sources lithogéniques, de circulation et de ventilation des masses d'eau, et de processus biogéochimiques, et qui permettent également de quantifier les flux particulaires exportés de la surface vers les eaux profondes. La campagne océanographique a été menée avec succès et l'exploitation de la moisson de données à donner lieu à une très importante valorisation scientifique. Le projet a permis l'observation de nouveaux pâramètres et il a permis de mettre en évidence des nouveaux processus en jeu dans les interactions air- mer-ecosystèmes. Le partenariat pluridisciplinaire international qui s'est constitué autour du projet est maintenant bien soudé et il permet de concevoir des nouveaux projets internationaux innovants, dont certains sont déjà en phase de conception (OVIDE-Géotraces, SAMOC) et d'autres en phase de réflexions (régionalisation climatique, observations pluridisciplinaires des interactions au niveau de la fine échelle océanique et atmosphérique).
Conclusions
À partir des données multidisciplinaires récoltées pendant la campagne BONUS-GoodHope nous avons pu démontrer que la structuration des processus océaniques qui gouvernent la dynamique de l'Océan Austral et ses interactions aux interfaces s'organise autour de la petite échelle océanique (tourbillons, jets, filaments, courants de pente). Cette dynamique fortement non-linéaire gouverne la distribution et l'amplitude des échanges air-mer ainsi que les transferts de masse, de chaleur, d'eau-douce, et des propriétés biogéochimiques à travers les différents secteurs océaniques. En particulier, nous avons pu documenter le rôle capital des tourbillons dans les la séquestration de carbone et d'autres éléments biogéochimiques de la surface océanique vers l'intérieur de l'océan.
Nous avons pu mettre en évidence aussi le rôle essentiel de la structuration en courant de pente des écoulements de subsurface et profonds. Ces écoulements efflorant avec vigueur les surfaces continentales, permettent une interaction forte entre les masses d'eau transportées et les sources lithogéniques d'éléments géochimiques et donc l'enrichissement des eaux en ces éléments. Ceci a des conséquences importantes sur le bilan des propriétés biogéochimiques de l'Océan Austral ainsi que sur les écosystèmes et la pompe biologique du carbone.
Le déficit en 234Th a permis d'identifier la zone située entre le Front Polaire et la limite nord du Gyre de Weddell être celle ou l'export est le plus élevé. Ceci se traduit en un flux de carbone qui varie entre 2.6 et 6.3 mmol m-2 d-1. Pour cette même zone, la reminéralsiation du POC dans les eaux mesopélagiques est estimée entre 3.5 et 5.2 mmol m-2 d-1. La pompe biologique est plus faible dans le Gyre de Weddell ainsi que dans les zones SAZ et STZ. Les résultats BGH montrent que la reminéralisation mésopelagique est refletée non seulement par les teneurs en Ba biogénique particulaire mais également par l'excès de 234Th (par rapport au 238U) dans ces eaux. Une approche combinée des proxies Ba biogénique et excès de 234Th paraît donc intéressante pour mieux contraindre l'estimation de la reminéralisation de la matière organique exportée depuis les eaux de surface.