Les mesures de flux de chaleur ont été obtenues avec l'instrument de l'IPGP et par la méthode POGO qui consiste à tracter cet instrument entre deux stations proches plutôt que de le remonter à bord, ce qui permet de réaliser des profils avec une bonne résolution spatiale (1 à 2 kilomètres d'espacement). Les mesures ont été réalisées le long de profils de sismique réflexion verticale, et dans un certain nombre de cas le long de profils où les tirs ont aussi été enregistrés par des stations OBS, ce qui permet d'avoir une idée des variations du régime thermique à la fois en liaison avec les structures superficielles et les structures profondes. Un exemple de cette intégration de données de natures différentes est donné sur la Figure 1 où l'on a représenté les principaux éléments qui permettent de caractériser la marge du Golfe d'Aden : la sismique réfraction permet de définir les lois de vitesse sismiques et l'amincissement de la croûte continentale, suggérant la présence de manteau serpentinisé dans la transition Océan- Continent (Leroy et al, 2010). Sur ce profil, le flux de chaleur montre une évolution caractéristique d'un régime thermique plutôt conductif où la transition s'effectue brutalement entre le domaine continental (caractérisé par des valeurs de 50-60 mWm^-2) et la transition Océan-Continent (caractérisé par des valeurs de 110-120 mWm^-2) où serait exhumé le manteau continental. Ce caractère abrupte et l'homogénéité des valeurs observées dans la transition Océan-Continent et le domaine océanique suggèrent que l'anomalie est relativement superficielle et récente : une étude de l'évolution thermique (Lucazeau et al, 2008) montre qu'aucun modèle de relaxation thermique à partir de la période syn-rift ne permet d'expliquer cette anomalie de flux de chaleur, et qu'il faut nécessairement faire perdurer une anomalie de température durant la phase post-rift à la base de la lithosphère amincie (environ 300-350°C au maximum à une profondeur de 40-50 km). Les autres profils de flux de chaleur déterminés sur la marge nord du Golfe d'Aden montrent tous cette caractéristique à grande échelle, à laquelle se superposent parfois des phénomènes plus superficiels.

Ainsi nous avons mis en évidence, sur un des profils de la campagne ENCENS-FLUX, la présence d'une anomalie de flux de chaleur très importante (environ 900 mWm^-2) à l'aplomb d'un strato-volcan de la transition Océan- Continent, dont la morphologie de surface et la structure sismique indiquent qu'il est resté actif durant toute l'évolution post-rift. L'importance de l'anomalie de flux de chaleur suggère que les dernières phases d'activité de ce volcan sont très récentes, et un modèle de transfert de chaleur par advection-diffusion montre que ce volcan a pu encore fonctionner entre 1,000,000 et 100,000 ans (Lucazeau et al, 2009). Enfin, nous avons mis en évidence des anomalies de flux de chaleur à petite échelle, qui peuvent être interprétées par les circulations de fluides hydrothermaux, à l'instar des flancs de rides océaniques tels que Juan de Fuca. Par exemple, sur le profil de la Figure 2, les fluides peuvent s'infiltrer dans les structures du socle émergé, plus perméables que les sédiments, circuler horizontalement à la base des sédiments où ils absorbent une grande partie du flux de chaleur profond avant de s'équilibrer progressivement avec leur encaissant sur une vingtaine de kilomètres et enfin de se décharger dans une autre zone de socle plus difficile à identifier. La présence ou l'absence de ces circulations hydrothermales peut être reliée, en analysant les différents profils de flux de chaleur sur la marge du Golfe d'Aden, principalement à la présence de sédiments recouvrant ou non les structures de socle, mais probablement aussi à une activité tectonique récente sur les failles de transferts sur et à l'Est de la faille de Socotra-Hadbeen, lesquelles permettraient de rouvrir des fractures et de rendre le socle plus perméable.

Figure 1: Exemple de profil comprenant les informations de gravimétrie, du magnétisme, de la structure profonde déduite de la sismique réfraction, du flux de chaleur, de la structure du bassin déduite de la sismique réflexion verticale (d'après Leroy et al, 2010). La transition thermique est caractérisée par un passage assez abrupt entre le domaine continental et la transition Océan-Continent (Lucazeau et al, 2008).

Figure 2: Flux de chaleur sur le profil ENC21 caractérisé par des infiltrations de fluide au niveau des rides de socle et des circulations horizontales vers le Sud. On notera que les anomalies de flux de chaleur à petite échelle se superposent à une tendance générale similaire à celle de la Figure 1, avec une augmentation abrupte du flux de chaleur la transition entre le domaine continental et la transition Océan-Continent. On notera également la présence d'un réflecteur penté du socle particulièrement énergétique, qui atteste également de la présence de fluides (Lucazeau et al, 2010).

La campagne ENCENS-FLUX a donc permis de proposer quelques contraintes sur le régime thermique des marges continentales durant leur stades précoces, en particulier sur les conditions conduisant à une accélération du refroidissement par les fluides hydrothermaux ainsi que sur la prolongation de l'activité thermique au delà de la rupture continentale : dans un premier temps (Lucazeau et al, 2008), nous avons interprété cette dernière par un mécanisme de convection à petite échelle qui tendrait à homogénéiser la température en base de lithosphère, mais d'autres interprétations à partir de nos données seront sans doute proposées dans les mois ou les années à venir.