La mer de Marmara est une zone remarquable pour étudier l'évolution d'un réseau de failles dans le temps et l'initiation des grands décrochements. Par ailleurs, l'importante expulsion de méthane dans l'eau qui a suivi le séisme de Kocaeli (1999) amène à supposer que la mer de Marmara est aussi remarquable pour étudier les relations entre expulsion de fluide et activité sismique. Un des objectifs du carottage était donc dans un premier temps de dater une discontinuité marquant la transition entre une déformation géologique distribuée le long de la mer de Marmara et le mouvement décrochant dextre localisé sur la Faille de Marmara, dont l'expression en surface peut être suivie de façon continue de la Faille de Ganos à l'est à la faille Nord Anatolienne à l'ouest. Cette faille recoupe une série de seuils et de bassins dont le mode de formation reste débattu. La localisation de l'essentiel de la déformation sur une faille crustale unique est relativement récente et estimée à 100.000-200.000 ans environ (Rangin et al., 2004). Elle correspond à l'âge probable d'une discordance angulaire observée sur le haut central au-dessus d'une série fortement plissée. 2 carottes ont été prélevées pour cette étude propre.

Un second objectif était la détermination de la géochimie des fluides interstitiels associés aux sites d'expulsion de fluide les plus actifs observés sur le tracé de la faille. Ceux étudiés au cours de la campagne correspondent à des sites d'expulsion de fluide avec écoulement d'eau (observable par un contraste d'indice optique, lié vraisemblablement à une différence de salinité) reconnus lors de la campagne Marmascarps (Atalante, 2002). Les cheminées les plus actives se situent sur le tracé de la Faille de Marmara le long de la bordure sud du bassin de Tekirdag. Cependant, ces fluides n'ont toujours pas été échantillonnés, et aucun prélèvement de fluide interstitiel par carottage n'a été fait au voisinage de ce site. Cette fois 3 carottes ont été prélevées et étudiées à bord pour essayer de répondre à cette problématique.

Le troisième volet de cette campagne concernait les préoccupations paléoclimatiques et paléoenvironnementales, Le "MARION DUFRESNE" pouvant apporter de nouveaux éléments sur la compréhension de la re-connexion de la mer Noire avec la Méditerranée. La mer de Marmara, séparant les deux entités par ses deux détroits (Dardanelles et Bosphore) en a certainement conservé des traces. Les résultats de précédentes campagnes océanographiques réalisées en mer Noire et en mer de Marmara ont permis de montrer que la réponse de ces deux mers aux variations glacio¿eustatiques du Quaternaire diffère de celle de l'Océan Mondial. La position géographique de la mer Noire, bassin réceptacle des débâcles glaciaires, la position d'intermédiaire de la mer de Marmara et leur état de bassin fermé à semi-fermé seraient les causes de cet enregistrement particulier.

Le passage d'état lacustre à marin (18) de la mer Noire proposé par Arkhangelskiy et Strakhov en 1938 et démontré par Degens et Ross en 1972, correspond probablement à l'un des évènements environnementaux les plus rapides de ces derniers 20 000 ans. Cependant le scénario de ce passage reste encore très discuté. Jusqu'à très récemment, l'hypothèse la plus acceptée était que le réchauffement climatique et la fonte des glaces résultante, il y a 15 000 ans, étaient responsables de la montée du niveau du lac de la mer Noire suffisamment haut pour que vers 12 000 ans celui-ci puisse dépasser le seuil du Bosphore. Cette hypothèse suppose que le niveau de la mer Noire soit monté plus rapidement que le niveau de la Méditerranée. Ce qui permettait alors d'expliquer l'installation du niveau à Sapropels de cette mer par l'apport important d'eau douce en Méditerranée. Des travaux récents en mer de Marmara (Sperling, et al., 2003) infirment la provenance d'eau douce de la mer Noire et redonne ainsi de l'intérêt à la théorie de Ryan et Pitman (Ryan and Pitman, 1998, Ryan, et al., 1997) qui estiment que le niveau de la mer Noire ne soit pas monté suffisamment haut lors de la première débâcle glaciaire (MWP-1A) pour vraiment être à l'origine d'une entrée d'eau douce permettant la mise en place du niveau S1 à Sapropels en Méditerranée. Ces auteurs se basant sur la mise en évidence lors d'une campagne américano-russe de 1993 d'une transition rapide dans leurs carottes d'un niveau lacustre à salé daté vers 7 500 ans, estiment que la re¿connexion Marmara-Mer Noire se serait produite à cette date par l'entrée de l'eau de mer par le Bosphore jouant le rôle de seuil. La rupture du seuil aurait été responsable de l'inondation de près de 100 000 km2 de terres à cette date.

Les résultats en mer de Marmara obtenus par les différentes analyses (géochimiques, isotopiques, palynologiques, paléo-biologiques, ect.) en cours de réalisation sur les carottes prélevées à l'entrée et au débouché des Dardanelles et du Bosphore devront permettrent d'apporter des éléments supplémentaires sur l'évolution du niveau de la mer de Marmara en comparaison avec ses deux grands voisins le mer Noire et la Méditerranée. De plus, l'analyse des eaux interstitielles (DEA de Guillaume Soulet) devrait permettre de contraindre la rapidité des transitions entre les environnements lacustre à marin. Les eaux interstitielles piégées dans les sédiments ont gardé la mémoire de l'alternance eau douce, saumâtre, et salée. Ces variations de salinité, comme celles de la composition isotopique de l'eau, diffusent lentement dans le sédiment de telle sorte que le profil initial de salinisation, abrupt ou progressif selon les modalités de re-connexion avec la mer Noire, est altéré.