Les plastiques, sous forme de macro- ou microdéchets (<5 mm), constituent une menace émergente pour tous les écosystèmes marins. En dépit de grandes zones d'accumulations identifiées, les mesures dans les eaux de surface font état d'un déficit de concentration par rapport aux estimations de flux annuel de déchet plastiques arrivant en mer, ayant conduit au paradigme de `plastiques manquants'. Une des voies suspectées est l'exportation de ces déchets vers les profondeurs, notamment via les systèmes de canyons sous-marins reconnus comme zones de transfert de particules. Les canyons abritent aussi une riche biodiversité, portée par la présence de récifs de coraux d'eau profonde qui ont des fonctions écologiques et sociétales fondamentales. Toutefois, les observations en aquarium ont montré que les espèces constructrices de récifs sont soumis à un équilibre fragile, notamment vis à vis des contaminations par les plastiques, avec des réponses qui différent suivant la taille des particules (macro- vs. microplastiques). De plus, nous manquons de données quantifiées in situ pour calibrer les expérimentations écotoxicologiques, rendant hasardeux l'extrapolation des résultats acquis en aquarium aux conditions réelles de l'habitat. Il apparait donc urgent d'estimer le degré réel d'exposition et l'état sanitaire de la pollution plastique sur les récifs de coraux en écosystèmes de canyon.

Dans ce contexte, l'objectif de cette campagne était double. Il visait tout d'abord à fournir une estimation des flux d'exportation de macro- et microdéchets en profondeur, en écosystème de canyon, pour quantifier de façon standardisée l'état de la pollution dans ces écosystèmes marins vulnérables, en particulier au niveau des récifs coralliens, et récolter des données pour établir un modèle de dépôt et/ou de transfert vers un étage inférieur. Un second objectif concernait la mesure in situ de l'impact des plastiques sur les communautés de coraux et la biodiversité associée, par des approches intégratives à l'échelle de l'holobionte (hôte et microbiote associé) et à celles des massifs.

Pour remplir ces objectifs, nous avons disposé d'un plan de travail en mer sur 10 jours, incluant 7 journées de plongées HROV (observations, collecte de coraux et sédiment, déploiement de matériel biologique et acoustique) et 3 journées de mesures depuis le bord (CTD, filet Tucker). La zone d'étude choisie était le canyon Lacaze-Duthiers, situé dans le Golfe du Lion au large de Port-Vendres, qui avait déjà fait l'objet de nombreuses visites par l'équipe proposante ayant permis des travaux expérimentaux in situ sur les coraux profonds mais aussi d'observer la présence de nombreux déchets (sacs et bouteilles plastiques, filets de pêche) dont la nature semblait varier en fonction des zones géographiques. Nous avons ainsi visé à :

1. Cartographier la typologie (type, nature) des macro-déchets à partir de transects HROV de 100m, à une échelle permettant de proposer un modèle de dépôt en relation avec la dynamique sédimentaire et les forçages anthropique dans la zone.
2. Quantifier et caractériser les microplastiques dans différents compartiments (eau profonde, sédiment et tissus coralliens), en vue de proposer un modèle d'exportation et de dépôt des microplastiques en profondeur et d'estimer les concentrations (particulaires et contaminants associés) auxquelles sont exposés les coraux dans leur habitat.
3. Estimer l'effet des plastiques sur l'état de santé in situ de l'holobionte corail (dosage des réserves énergétiques de l'hôte et dynamique du microbiote), à partir de la collecte de fragments de colonies visuellement contaminés par des plastiques par rapport à des colonies visuellement 'saines'.
4. Collecter des fragments de coraux pour réaliser une approche expérimentale en aquarium de l'effet des microplastiques sur l'état de santé des colonies.
5. Etudier l'impact des plastiques sur la biodiversité associée aux massifs de coraux par une approche visuelle (imagerie vidéo) et acoustique (déploiement d'hydrophones).