Les oiseaux marins, se nourrissant exclusivement en mer et se reproduisant sur les ilots, jouent un rôle écologique important de transfert de nutriments entre les écosystèmes terrestres et marins. Alors que l'influence du guano sur les écosystèmes terrestres est largement reconnue, très peu d'études se sont penchées sur un possible effet sur les écosystèmes marins adjacents. Une étude préliminaire de notre équipe a permis de démontrer un enrichissement significatif en azote (nitrates + nitrites) des eaux environnantes à proximité d'îlots abritant de larges colonies d'oiseaux marins ainsi qu'une assimilation de cet azote par un corail branchu mais également par d'autres maillons de l'écosystème corallien comme les macro-algues (assimilation estimée grâce aux valeurs élevées de d¹⁵N des tissus par rapport à un site référence). Toutefois, plusieurs zones d'ombre demeurent comme par exemple l'effet de ce guano sur la santé des coraux.

Les récifs éloignés d'Entrecasteaux abritent de larges colonies d'oiseaux marins, sont isolés, et permettent de tester l'effet d'un enrichissement naturel en azote et phosphate issu du guano en dehors de toute pression anthropique. Le projet est structuré en 3 objectifs distincts afin d'évaluer le rôle des nutriments issus du guano sur le fonctionnement de l'écosystème corallien. L'échantillonnage d'eau, de plancton, de coraux et de macro-algues autour de ces îles éloignées sera effectué à 10, 25, 50, 100 et 400m de l'ilot où nichent d'importantes colonies d'oiseaux marins, ainsi qu'à 50 et 400m sur des sites références, sans apports de déjections d'oiseaux. La caractérisation des communautés d'oiseaux marins présentes au niveau des îles et la quantification des effectifs seront également effectués au moment des campagnes, ainsi que le prélèvement de guano de plusieurs espèces par un écologiste terrestre qui débarquera sur l'ilot.

Les objectifs spécifiques du projet sont:

1. Evaluer comment les nutriments issus du guano (N et P) sont relargués dans l'écosystème corallien dans le voisinage des îlots de reproduction (récifs d'Entrecasteaux), en se focalisant sur le rôle de la marée, par des prélèvements de nutriments (ammonium, nitrates, phosphates) à différents pas de temps, et des mesures de salinité (lien avec la lentille d'eau douce présente sous les ilots). Des expériences de dissolution/dégradation du guano seront aussi réalisées afin d'évaluer les apports potentiels en azote inorganique dissous, en phosphates et en composés organiques dissous.
2. Tester l'utilisation du d¹⁵N de la matrice carbonatée des coraux massifs pour faire un historique de l'influence du guano sur les communautés coralliennes (analyse du d¹⁵N dans une carotte de Porites sp.). Deux carottes de corail massif seront donc prélevées pour appréhender si cette information isotopique peut être enregistrée non seulement dans les tissus vivants de coraux mais aussi dans la matrice organique de leurs squelettes, et ainsi reconstituer la variation des apports de guano dans le temps.
3. Faire un diagnostic de l'impact de l'assimilation de nutriments issus du guano sur la physiologie des coraux : mesures d'efficacité photosynthétique in situ à l'aide d'un diving-PAM fluorimètre et incubations en milieu contrôlé, sur le bateau, de coraux de type Pocillopora damicornis dans de petites chambres de flux (mesures de photosynthèse).

Etudier l'impact des apports en azote et phosphates sur la santé des coraux est particulièrement important dans un contexte de changement global où les épisodes de blanchissement sont de plus en plus fréquents, en particulier en Nouvelle-Calédonie où une vague de blanchissement massif a eu lieu en février 2016. Jusqu'à présent, les travaux s'intéressant aux effets des enrichissements en nutriments sur la résistance des coraux au changement climatique ont montré des résultats divergents. Enfin cette campagne apportera des informations sur le rôle encore méconnu des oiseaux marins sur le fonctionnement des récifs coralliens dans un contexte où à la fois les populations d'oiseaux et les récifs coralliens, sont menacés à l'échelle planétaire.

Ce projet associe 6 UMRs ainsi qu'un partenaire européen (Institut Max Planck, Allemagne).