La carte des sédiments montre globalement moins de faciès de vases franches (c'est-à-dire plus de 75 % de sédiments de taille inférieure à 50 µm, faciès vase molle) tels qu'observés en 1993-1996. Si l'on considère la carte dans sa globalité, les grands traits de l'évolution depuis 1993-1996 peuvent être résumé comme suit :
1) disparition des vases, incluant un "nettoyage" du chenal Nord,
2) remplacement des faciès vaseux par des faciès vaso-sableux,
3) et diminution des faciès sableux au profit des faciès sablo-vaseux.

Il s'agit ainsi d'une redistribution des faciès de vases franches dans l'ensemble de l'estuaire, sous la forme d'un envasement plus diffus, c'est à dire sous la forme d'une intégration progressive des vases dans les phases sableuses, induisant ainsi des faciès sablo-vaseux et vaso-sableux. L'envasement en estuaire de Seine et en proche baie de Seine reste ainsi significatif, sous la forme de dépôts vaso-sableux massifs, et non des pellicules superficielles de matériel fin sur un substrat sableux. Cet envasement connaît une nette extension au delà des limites anciennes connues (le 0° de Greenwich), vers le NW pour les vases sableuses et vers l'W pour les sables vaseux, au-delà du 2° W. Si le plan d'échantillonnage de 2009 allait judicieusement au-delà des limites anciennes connues, il ne permet pas de juger de la limite exacte de cette extension des sables vaseux vers l'ouest. Cette extension des faciès vaseux dans la baie de Seine conduit à un recouvrement partiel des galets et graviers observés en 1993-1996. De nombreux faciès montrent par ailleurs des caractéristiques de remaniement : présences de galets mous en quantité significative, sables azoïques, bioclastes, vases anciennes remise à nu.

Répartition des faciès sédimentaire dans l'embouchure de la Seine en 2009 (échantillonnage 2009-2010).

L'essentiel du travail de cette partie "habitats benthiques" a été réalisé dans le cadre de la thèse de Sandrine Alizier "Échelles spatio-temporelles d'observation des relations macrobenthos - sediments : organisation et changements à long terme (1988- 2009) des communautés benthiques subtidales de la partie orientale de la baie de seine" soutenue en décembre 2011. La thèse présente trois aspects :

• Acquérir de nouvelles données. Cet objectif comprend une partie terrain consistant à participer aux campagnes d'échantillonnage communes qui se sont déroulées aux automnes 2008 et 2009 et une partie laboratoire consistant aux analyses des échantillons acquis (analyses granulométriques, tri et détermination de la macrofaune).
• Faire un état des lieux de la structuration du compartiment benthique (macrofaune benthique et sédiments) à partir des données de macrofaune benthique et de sédiments nouvellement acquises en 2008 et 2009.
• Analyser, en ce qui concerne la macrofaune benthique et les sédiments, les jeux de données historiques et récentes.

Une carte synthétique de la typologie des principaux habitats macrobenthiques subtidaux sur la base des indices de richesse spécifique et d'abondance a été proposée. Elle représente de façon simplifiée les différents habitats que ces paramètres peuvent discriminer, en tenant compte des résultats issus des données du suivi PECTOW et ceux issus des données des campagnes COLMATAGE. Elle témoigne d'une structuration particulière qui demeure relativement stable dans le temps montrant l'existence d'un "front côtier" délimité 1) à l'ouest par un axe entre Ouistreham et Antifer puis 2) à l'est par un axe entre le Havre et Deauville. À l'échelle du système "baie de Seine Orientale - embouchure", ce "front côtier" est caractérisé par de fortes valeurs de richesse spécifique et abondance.
- À l'est de ce "front côtier", à l'embouchure, les valeurs de richesse spécifique et d'abondance y sont les plus faibles alors qu'à l'ouest de cette délimitation, ces valeurs y sont intermédiaires. Ce schéma global de distribution des habitats benthiques peut être mis en relation avec le schéma général d'organisation des composantes environnementales. Les faibles valeurs de richesse spécifique et d'abondances rencontrées à  l'embouchure interne, peuvent être mises en relation avec les fortes contraintes hydrodynamiques et anthropiques sur ces fonds, mais également aux plus fortes variations de salinité qui y règnent. Les valeurs intermédiaires rencontrées au large sont observées sur des habitats soumis à des courants maximums de marée importants, mais la présence d'espèces marines nombreuses y est favorisée à la fois par les moindres variations de salinité et par l'hétérogénéité des fonds caractérisés par un mélange de sables et de sédiments plus grossiers, créant divers habitats et abris pour la faune. L'analyse sur la composition de ces différents habitats benthiques notamment sur la texture et l'organisation sédimentaire montre que la grande hétérogénéité sédimentaire caractérisant ces habitats, pourrait favoriser la coexistence d'espèces, pourtant d'affinités sédimentaires différentes, et ainsi expliquer en partie les fortes richesses spécifiques rencontrées. Ces observations suggèrent que l'hétérogénéité sédimentaire,  les ressources de nourriture suffisantes et non limitant pour la macrofaune, ainsi qu'un forçage global par les conditions hydrodynamiques, contribueraient à expliquer cette typologie. Si on s'intéresse plus précisément à la distribution des habitats benthiques à l'intérieur de ce "front côtier", il est remarqué que les secteurs de plus fortes valeurs de richesse spécifique et de plus fortes valeurs d'abondance sont stables dans le temps et ne se superposent pas nécessairement. Deux fronts au sein du front côtier caractérisé par de fortes valeurs de richesse spécifique et abondance peuvent être distingués : l'un dénommé "front d'abondance" où se répartissent les principaux noyaux d'abondance, l'autre "front de diversité spécifique" où se répartissent les principaux noyaux de richesse spécifique. Il est à remarquer que si ces fronts ne se superposent pas strictement, ils se chevauchent au centre du front côtier créant ainsi, au sein de cette zone de chevauchement, des habitats particuliers à la fois riches en nombre d'espèces et très abondantes.
- À l'est de ce secteur de chevauchement, dans la partie la plus aval de l'embouchure, sont identifiées des habitats de fortes valeurs d'abondance sans que le nombre d'espèces n'y soit particulièrement important.
- À l'ouest de ce secteur de chevauchement, de part et d'autre les habitats de sables dunaires, délimités par la sonde des 10 m, sont identifiées des secteurs de fortes richesses spécifiques sans que les abondances n'y soient spectaculaires. Les habitats macrobenthiques en "noyaux" d'abondance retrouvés chaque année, sont superposables au schéma de distribution des sédiments notamment de l'habitat de vase permanente. Il semble alors que les processus hydrodynamiques régis à la fois 1) à l'échelle du système Manche - baie de Seine (réduction de l'intensité des courants de marée et formation de courants giratoires créant des zones d'accumulation à la côte), et 2) à l'échelle des processus de sédimentation de matériaux fins en `pieds de bancs' localisés à l'embouchure, sont les facteurs principaux régissant la typologie des habitats benthiques de la partie orientale et la partie marine de l'estuaire de la Seine. Il faut enfin noter que la cohabitation à la fois d'espèces marines nombreuses et d'un petit nombre d'espèces abondantes et caractéristiques de la communauté à Abra alba - Pectinaria koreni est favorisée par la présence d'habitats sédimentaires hétérogènes, comme il a été constaté au travers des analyses.

En résumé, malgré des méthodologies d'échantillonnage et les méthodes d'analyse différentes, certaines similitudes sont retrouvées depuis le début des observations à l'échelle de la partie orientale de la baie de Seine avec la présence :

• d'un habitat bien représenté par Abra alba et Pectinaria koreni installé en zone côtière sur des fonds hétérogènes, entre les fonds du large et les fonds de l'embouchure,
• d'un habitat bien représenté par Macoma balthica au sein des fonds envasés à l'embouchure,
• d'un habitat de fonds sableux dunaires au large,
• et d'un habitat de sédiments hétérogènes le long du Pays de Caux et en une zone proche du Parfond.

Enfin, en réponse à des envasements subtidaux, il est observé l'extension de l'aire de distribution et l'augmentation des effectifs au cours du temps d'espèces à affinité vasicole comme les mollusques bivalves Corbula gibba et Nucula nitidosa. Cet envasement, exacerbé en baie de Seine Nord-orientale, en raison des rejets fréquents de dragage sur le site d'Octeville, est marqué par l'augmentation importante de l'abondance de la nouvelle espèce en baie de Seine l'annélide polychète tubicole et vasicole Melinna palmata. De plus, la présence nouvelle dans cette zone d'un décapode vasicole Asthenognathus atlanticus est également un indicateur de l'envasement prononcé de ces fonds.

Carte synthétique et simplifiée de la structuration commune (intégrant les données des années 1988-1991-1996-2001-2006 du suivi PECTOW et des années 2008-2009 des campagnes COLMATAGE) du système "baie de Seine Orientale - embouchure" en termes de spots d'abondance et de richesse spécifique.

Les apports méthodologiques, scientifiques et opérationnel en halieutique ont porté sur les couplages de données, poissons-benthos et marqueurs naturels, ont donné lieu à la mise au point de deux méthodologies rigoureuses et originales, dans un objectif de caractérisation des habitats potentiels des poissons bentho-démersaux de l'estuaire de Seine. Par ailleurs, la caractérisation des habitats potentiels de trois espèces de poissons plats (Solea solea, Pleuronectes platessa et Buglossibium luteum) a donné lieu au deuxième apport méthodologique permettant de combiner des marqueurs naturels (microchimie des otolithes, contenus digestifs, isotopes stables dC¹³ et dN¹⁵). Ces marqueurs, caractéristiques micro-chimiques et biologiques des organismes, acquises au cours du temps et spécifiques de zones géographiques délimitées, permettent de reconstruire en partie l'histoire de vie des individus. Chacun de ces marqueurs possède ses propres limites en terme de résolution spatio- temporelle, limites qui sont liées aux échelles d'intégration biologique. Ces trois approches sont apparues comme complémentaires et robustes aux différents choix méthodologiques. La comparaison des habitats des trois espèces définis par ces approches suggèrent une certaine compétition spatiale entre les juvéniles de Solea solea et Pleuronectes platessa notamment à l'embouchure de la baie de Seine.