1 - Contexte scientifique et programmatique des campagnes

La campagne ActionMarges-Med1 réalisée en Août-Sept 2013 concerne le fonctionnement des systèmes sédimentaires sur les marges continentales passives à sédimentation silicoclastique en termes de processus, d'environnement, et d'enregistrement. L'archive sédimentaire est analysée comme un témoin des variabilités eustatiques, climatiques et hydrodynamiques et des mouvements verticaux (subsidence). Le terrain choisi est le « Golfe du Lion » car cette marge à la fois stable et jeune a particulièrement bien enregistré (grâce à l'importance de la subsidence) l'effet des variations climatiques et eustatiques. Malgré l'ampleur des données et des travaux réalisés jusqu'ici plusieurs questions clefs restaient ouvertes dans cette zone. Elles concernent trois périodes de temps bien distinctes :

1. La première période de temps concerne le Quaternaire terminal sur la position du projet de site de forage IODP GOLD.
2. La deuxième période de temps concernée est le Pliocène moyen-Pléistocène moyen pour la tranche 3,5 - 0,5 Ma. Cette fenêtre de temps est l'une des rares à n'avoir jamais été visualisée avec suffisamment de résolution, non seulement dans le Golfe du Lion mais sur aucune des marges de l'Europe du Nord. Jamais, la résolution n'a été suffisante pour visualiser sur les dépôts de marges in situ, les géométries induites par les variations de cyclicités (passage des cycles de 40 ka d'amplitude 50 m aux cycles de 100 ka et d'amplitude 100 m), la mise en place et les effets des glaciations de l'hémisphère Nord sur les dépôts littoraux, de pente et de domaine profond, pendant le Pliocène moyen et le Pléistocène inférieur. Seule l'acquisition de profils avec la sismique HR (72 traces) de l'Ifremer peut permettre de résoudre ces questions. L'acquisition de carottes sur les flancs du canyon de l'Hérault et leur analyse biostratigraphique devrait permettre de donner un premier calage stratigraphique des séries du Pléistocène Inférieur à moyen (0,5-1 Ma).
3. La troisième période concerne le Miocène terminal (et l'événement messinien) où les profils existants ont montré la complexité de l'érosion du fleuve « Rhône messinien » et de la zone « rivage messinien » qu'il s'agit de visualiser aujourd'hui avec plus de détails pour élucider les différentes étapes et conséquences de cette chute du niveau de base hors norme (1500 m) qui reste pourtant controversée.

 

2 - Rappel des objectifs

Les objectifs de nos travaux étaient focalisés sur trois périodes de temps de durée et d'ampleur différentes, (1) le Quaternaire supérieur (2) le Pliocène et le Pléistocène moyen (5 à 0,5 Ma), et dans une moindre mesure le Messinien (7,2 à 5,3 Ma).

(1) Le Quaternaire terminal et le site de Forage IODP GOLD

La position du forage profond GOLD (Dossier IODP 798-MDP puis Pré-857A et Full-857A) était essentiellement basée sur les profils Ecors et Sardinia, et sur les profils pétroliers, de faible résolution. La campagne AM-MED-1 proposait donc d'acquérir des profils HR et chirp sur la position du forage proposé, sur de longs profils régionaux qui devrait permettre, in fine, de corréler les évènements et les géométries des unités depuis le domaine profond (site du forage GOLD) jusqu'à la côte, et de permettre ainsi d'étendre les résultats du forage profond à l'ensemble de la marge du Golfe du Lion par corrélation sismique (figure 4).  Un des objectifs du projet GOLD concerne la biosphère profonde, très dépendante de la température. Afin de caractériser le flux thermique de la zone, un carottier équipé de sondes thermiques a été utilisé dans cette zone.

(2) Le Pliocène et le Pleistocène inférieur (de -5 Ma  à -0,5 Ma)

Les Objectifs de cette partie étaient d'imager la position et la géométrie des paléorivages et d'utiliser les marqueurs sédimentaires pour quantifier la subsidence.

(3) Le Messinien

Les Objectifs de cette partie étaient d'améliorer la cartographie de la surface messinienne sur la plate-forme rhodanienne et de rechercher d'éventuels dépôts messiniens (régressifs et/ou transgressifs) au sein des vallées incisées.

 

3 - Principaux résultats obtenus (avec quelques illustrations dont une carte de la zone d'étude)

(1) Résultats sur le Quaternaire terminal et le forage IODP

La campagne a permis d'acquérir des profils sismiques HR 72 traces et chirp et colonne d'eau autour du projet de forage IODP (GOLD) qui a été déposé en 2014 (Pre-857A), retenu par les panels IODP SEP et CIB en 2014 et redéposé en Full-Proposal le 1er Avril 2015 après améliorations utilisant en particulier les résultats de cette nouvelle campagne AMED-1. Mais le projet a finalement été désactivé en Juin 2015, pour coût prohibitif (150 M€).

En pied de pente, le fond de mer se caractérise par un réseau de huit chenaux divergents abandonnés (7 à 1 et N, du plus ancien au plus récent, Fig. 1), dont la chrono-stratigraphie dans l'éventail distal, c'est à dire la chronologie relative des chenaux-levées et de leurs avulsions successives, est bien contrainte par l'étude sismique (Droz et al., en préparation).

Par contre, la chronologie absolue est très peu contrainte et uniquement depuis le LGM et dans la partie amont (middle fan). Néanmoins, une mégaturbidite dans la plaine abyssale des Baléares, se situe stratigraphiquement au-dessus l'intervalle stratigraphique des chenaux turbiditiques 7 à 1 et permet de leur attribuer un âge antérieur à 22 ka cal BP (Rothwell et al., 1998, 2000). La  carotte KSF01 (Campagne AM-MED1) prélevée sur des levées amalgamées au-dessus du chenal 6 (Figure 3 et 4) permet, pour la première fois de proposer des âges de plus de 70 ka (par chronologie ?O18) pour la base de la carotte (Figure 5) et d'extrapoler à partir des taux de sédimentation, un âge possible de 160 ka pour l'abandon du chenal 6 (Pasquier, 2014), qui correspond au marqueur marqueur rose de Riou (Figure 4 et 6).

Les données ont néanmoins permis de dater le fonctionnement du chenal 6 (Pasquier, 2014 ; Picot et al., in prep).

Figure 3 : Chenaux 7 à 1 et N de l'éventail du Rhône (Droz et al., in prep.) et localisation de la carotte AMED-1 KSF01 (Pasquier, 2014 ; Pasquier et al., in prep. ; Droz et al., in prep.).

Figure 4 : Localisation de la carotte KSF01 sur le profil sismique très haute résolution (CHIRP-AMED-1, CH053) avec le pointé et le suivi de 5 niveaux repères (Riou, 2015) en pointillés la carotte KSF01, en bleu le fond marin, en violet le niveau 1, en jaune le niveau 2, en vert le niveau 3, en orange le niveau 4 et en rose le niveau 5.

Figure 5 : Corrélation des mesures ?O18 sur Foraminifères G. Bulloides de la carotte KSF01 (ligne bleue, D) et les références globales (A) et Méditerranéenne (B,C) (Pasquier, 2015). (A) NGRIP _ 18O (GICC05 chronologie jusqu'a 60 ka, puis NGRIP (Andersen et al., 2004), (Rasmussen et al., 2006), (Svensson et al., 2008)). GI-(GI-I à 25) réfère aux Interstades Groenlandais (Greenland Interstadials, GI). (B) Planctonique oxygène isotopes (G. Bulloïdes) de la carotte MD01-2472 (Toucanne et al., 2012).(C) Planctonique oxygène isotopes (G. Bulloïdes) de la carotte MD99-2343 (Sierro et al., 2005). Le triangle noir indique le point de calage C14, et les doubles flèches noires les point de calage chronologique. (Pasquier et al., in prep.)

Figure 6 : Bloc 3D de la zone d'étude : en bleu le fond marin, en violet le niveau 1, en jaune le niveau 2, en vert le niveau 3, en orange le niveau 4 et en rose le niveau 5 (Riou, 2015).

(2) Résultats sur le Plio-Pléistocène :

Un ensemble de réflecteurs étaient identifiés à l'échelle du Plioquaternaire (Rabineau et al., 2014 ; Leroux et al., 2014) sur des données de plus basse résolution. En particulier le réflecteur Q10 dont l'âge était estimé autour de 1 Ma (par extrapolation des surfaces supérieures du Quaternaire supérieur bien datées Rabineau et al., 2006 ; Bassetti et al., 2008).

À l'aide de croisement entre les profils AM-MED-1 et les profils LRM, il a été possible de corréler la discontinuité Q10 avec la discontinuité S08 (Figure 7).

Figure 7 : Interprétation du profil AM-MED-1 et des surfaces du Pliocène (Le Texier, 2014).

L'enregistrement sédimentaire a pu être divisé en 3 grands ensembles caractérisés par la dominance d'une cyclicité différente de leurs séquences (Figure 8) : 40 000 ans (violet), 100 000 ans (bleu) et transition entre ces deux ensembles (rose) dans lequel aucune cyclicité n'est clairement observée. Profil AMED_102a sur le plateau  (Lena Le Texier, 2014).

Figure 8 : Profil HR AMED-1 102a traité montrant 3 unités sédimentaires caractérisées par des cyclicités distinctes (Le Texier, 2014).

Le suivi des marqueurs a par ailleurs permis de quantifier les valeurs de subsidence du plateau en 2D (Rabineau et al., 2014) et en trois dimensions et de reconstituer les géométries en 3D grâce aux modélisations stratigraphiques (Leroux et al., 2014 ; Leroux et al., 2015a ; Leroux et al., 2015b).

(3) Résultats sur le Messinien et le Miocène :

Concernant les surfaces d'érosion et les dépôts messiniens, la profondeur importante d'investigation nécessitait des traitements plus poussés qui ont été réalisés par un Ingénieur au cours d'un CDD de 4 mois en 2016 (Florent Colin).

Cependant, la nature haute-résolution des données AMED-1, dont le pendant est la plus faible pénétration, a limité l'interprétation sur cette tranche de temps. Mais la combinaison de ces profils AMED avec ceux de l'industrie pétrolière (mis à disposition dans le cadre d'Actions-Marges) nous a cependant permis de montrer que l'érosion domine sur toute la plate-forme pendant l'épisode messinien et érode de manière intense les dépôts du Miocène. Bache et al. 2009 puis Rabineau et al., 2014 ont montré que cette érosion dépassait le km. Rabineau et al., 2014 montre que cet intense érosion est en particulier relié à un rebond isostatique du shelf-break lié à la crise. Difficile alors de reconstituer les géométries de dépôts correspondant au Miocène puisqu'ils ont été largement érodés. Malgré tout, une ré-analyse fine des profils a montré qu'une seule petite zone (entre les canyons de Sète et de l'Hérault) avait préservé la succession des évènements correspondant au Miocène. Une publication est en cours de rédaction à ce sujet (Leroux et al., in prep).

Enfin, de la même manière que pour le Pliocène, nous avons pu quantifier les valeurs de subsidence dans le bassin profond pour cette période Miocène et reconstituer les géométries en 3D grâce aux modélisations stratigraphiques (Figure 9) (Leroux et al., 2015b).

Figure 9 : Modélisation des unités messiniennes par Dionisos (Leroux et al., 2015b).