Distribution à l'échelle du canyon

Le choix des zones de plongées du H-ROV Ariane pendant les campagnes Vidoecor1 et Videocor1-02 a été réalisé en fonction des zones probables de présence de l'espèce de scléractiniaire ciblée (Madrepora oculata). Ces zones probables de présence sont issues d'un modèle statistique de la distribution probable de l'habitat des coraux (Fabri et al., 2017, Bargain et al., 2018). Ce modèle avait été calculé au préalable à partir d'un ensemble de données, de présence et d'absence, collectées pendant des missions antérieures (Fabri et al., 2014).

Les plongées réalisées pendant les campagnes Videocor1 et Videocor1-02 ont permis de valider et d'invalider des zones prédites. Elles ont aussi permis d'élargir notre connaissance sur la distribution des coraux dans le canyon et de découvrir des zones de présence inconnues jusqu'alors (Fabri et al., 2019).

• Les coraux présents sur la zone Cassis-200 ont été cartographiés de façon exhaustive sur des petits monts (knolls) localisés sur une arrête soumise à de forts courants (autour de 220 m de profondeur).
• Les coraux présents sur la zone Cassis-500 sont localisés sur une marche rocheuse, qui été identifiée grâce aux cartes bathymétriques des campagnes BATHYCOR (autour de 450 m de profondeur).
• Les coraux présents sur le site The Wall à la sortie du canyon ont été localisés sous un surplomb identifié sur les cartes des campagnes BATHYCOR (autour de 330 m de profondeur)
• Le site SW Flank a été exploré mais seulement 3 colonies de scléractiniaire ont pu être observées (autour de 350 m de profondeur).

Mesure de l'état des coraux (Scléractiniaires) Madrepora oculata

Les images (photos numériques et vidéos) du H-ROV Ariane ont été utilisées pour réaliser des reconstructions en 3-Dimensions (photogrammétrie) de la plupart des zones de coraux rencontrées au cours de la campagne (Fig. 2).

Figure 2. Exemples de modèles 3D sur Cassis-200, la zone Cassis-500 et le site The Wall (extrait de Fabri et al., 2019).

Ces reconstructions numériques (géoréférencées et à l'échelle) ont permis de mesurer des paramètres de populations sur l'ensemble de la zone :

• Surface occupée par l'espèce : 1650 m², dont 25% sur Cassis-200, 56% sur Cassis-500 et 19% sur The Wall
• Densité des colonies : Cassis-200 = 4 colonies/m² (jusqu'à 12 selon le « knoll ») ; Cassis-500 = 4 colonies / m² ;  The Wall = 9 colonies /m² (que des petites colonies).
• Mesures de tailles des colonies : Cassis-200 (18 +/- 12 cm ; max = 78 cm) ; Cassis-500 (12 +/- 8 cm ; max = 67 cm) ; The Wall (11 +/- 3 cm, max = 22 cm).

• Surfaces de débris de coraux : Présence de débris (colonies cassées) sur les 3 sites les plus fournis en scléractiniaires. A Cassis-200 (22% de la couverture), Cassis-500 (1 à 2 %) où plus de débris sont probablement enfouis dans la boue rouge, The Wall (49%) où beaucoup de débris sont présents car les colonies sont fixées la tête en bas et tombent sous leur propre poids.

Les images ont aussi permis de recenser les nuisances anthropiques

• Déchets marins : 93% des déchets étaient des plastiques, dont les engins de pêche perdus (67% à 98% de palangres). La densité des déchets la plus élevée était sur le site SW Flank (10.6 items/km), puis sur Cassis-200 (9.5 items/km), Cassis-500 (7.8 items/km) et enfin The Wall (4.9 items/km). Les engins de pêche perdus étaient anciens (actuellement la pêche est règlementée) mais ils persistent dans le milieu. A part les plastiques nous avons trouvé du métal et du verre.

Les photos numériques ont permis d'identifier un certain nombre d'espèces (Fig.3) :

• La diversité de mégafaune associée à ces écosystèmes a été relevée (liste d'espèces) et comparée entre tous les sites de présence de coraux dans le canyon. Cassis-200 (63 espèces) Cassis-500 (34 espèces) The Wall (23 espèces) SW Flank (52 espèces). Une analyse de groupe basée sur la similarité en présence/absence des différentes espèces a montré que Cassis-200 et SW Flank étaient similaires à plus de 70% (Sorensen index), The Wall était proche des deux précédents à 50% et Cassis-500 à 48% des trois autres

Figure 3. Une forêt de gorgones fouets (Viminella flagellum) installées sur le rebord d'un plateau rocheux et abritant une multitude d'éponges ainsi que des galathées (Munida sp.) (SW Flank, à 306 m, le 30/09/2017, PL82-02).

Les paramètres de population et la mesure de la diversité associée ont permis de calculer des pourcentages de surfaces impactées, notamment par les résidus de bauxites (56 % de l'habitat des coraux est impacté par les rejets de boue rouge, avec une diversité de faune associée réduite et 1% des colonies étouffées et  mortes sur place sur le site Cassis-500). Les engins de pêche perdus sont omniprésents, notamment sur les sites les moins profonds Cassis-200 et SW Flank, bien que les coraux soient localisés dans les Zones de Protection Fortes (ZPF) du Parc Nationale de Calanques.

Evolution temporelle

La photogrammétrie a fourni beaucoup d'informations sur les emplacements complexes dans le canyon de Cassidaigne. Chaque site/emplacement peut maintenant être facilement reconnu par sa forme particulière, et les modèles 3D ont permis de mieux comprendre où se trouvent les écosystèmes vulnérables. De plus, les cartes détaillées produites dans le cadre de ce travail seront d'une grande aide pour la future surveillance de la zone. Par ailleurs, la navigation précise désormais possible avec les ROVs et les submersibles permet un positionnement exact et un retour aux lieux d'étude très facilement, assurant la répétitivité de la méthodologie.

Dans un monde dans lequel le nombre d'impacts sur les environnements marins augmente, et dans lequel les évaluations utilisent parfois des méthodologies telles que l'échantillonnage qui endommagent les écosystèmes marins, des méthodes innovantes non intrusives, telles que l'imagerie et les modèles 3D, permettent de mieux comprendre les habitats protégés. La photogrammétrie est donc un bon moyen pour obtenir des données quantitatives en haute mer et de mieux calculer les surfaces, les densités et les paramètres de taille.

Cette méthodologie permet de comparer les données quantitatives entre les sites et de suivre leur évolution dans le temps. Les modèles 3D construits à intervalles réguliers permettront de surveiller les écosystèmes vulnérables, en donnant accès aux paramètres de distribution, de densité et de taille.

Certains petits monts (knolls) de la zone Cassis-200 explorés en 2017 avaient été précédemment photographiés et ont pu être comparés. De nouvelles colonies sont apparues par endroit (Fig. 4).

Figure 4. Illustration de l'évolution temporelle à Cassis-200. Knoll3 : Photos et reconstructions à 7 ans d'intervalle, la flèche rouge indique l'emplacement où de nouvelles colonies sont apparues. Knoll 9 : Photos reconstructions à 5 ans d'intervalle, la flèche jaune indique l'emplacement où des colonies paraissent avoir grandies (extrait de Fabri et al., 2019).

Ces travaux sur l'état des populations ont fait l'objet du stage de master 2 de Beatriz Vinha (Vinha, B., 2018). Les données géoréférencées avec le positionnement de toutes les espèces structurantes sont à disposition dans Sextant (voir les listes de références). Ces données ont été utilisées pour les rapportages DCSMM (Directive Cadre sur la Stratégie pour le Milieu Marin), notamment pour la mesure des impacts par abrasion (Menot et al., 2021). Ces données sont utilisées pour le rapportage sur l'état des écosystèmes dans le cadre de la DCSMM, descripteur D1-D6 Habitat benthique Profonds (en cours de rédaction ; D1 Biodiversité ; D6 Intégrité des fonds).

Communication grand public

Les images des campagnes Videocor1 et Videocor1-02 ont été valorisées dans le cadre du projet européen IDEM www.idem-project.eu (Implementation of the MSFD to the Deep Mediterranean Sea). Ce projet a financé la production d'un film grand public accessible sur Youtube (https://www.youtube.com/watch?v=LT_jgU0HGcY), ainsi qu'une exposition photos itinérante et un jeu de cartes postales à distribuer.

Les images ont aussi été valorisées dans le cadre d'une exposition du Parc national des Calanques « Plongée au c?ur des canyons » (https://www.expocanyons.fr/) qui a été initialement prévue pour le Congrès mondial UICN à Marseille.

Des séquences vidéos ont été fournies à l'aquarium de Brest, Océanopolis pour une exposition sur les coraux d'eaux froides.