5 campagnes d'échantillonnage ont été réalisées sur le navire Côtes de la Manche (CNRS/INSU) entre janvier 2015 et avril 2016. Ces campagnes ont couvert les différentes parties de l'estuaire : en amont (Rouen / Caudebec), dans le bouchon vaseux (BV, zone de turbidité maximale, entre Fatouville et Tancarville) et en aval de ce dernier (Honfleur ou La Carosse). Des prélèvements d'eau (environ 500 pour l'ensemble des campagnes) et de sédiment (8 carottes de 10 cm) ont été effectués dans chaque partie de l'estuaire.

Les caractéristiques de la MO sous ses différentes formes (dissoutes - MOD ; particulaire - MOP ; sédimentaire) ont été déterminées au niveau global et moléculaire. L'analyse en composantes principales réalisées à partir de ces données a montré une forte variation de la signature de la MO entre les compartiments, la composition de la MOD différant de manière significative de celle de la MOP et MO sédimentaire. La datation des échantillons au ¹⁴C a par ailleurs révélé l'âge récent (> 1950) de la MOD et de la MOP, contrairement à la MO sédimentaire, dont l'âge (jusqu'à 1000 ans B.P. -Before Present-) dépend fortement de la saison et des conditions hydroclimatiques associées. La variabilité spatiale des caractéristiques de la MO le long de l'estuaire a également été mise en avant. Ainsi, le mélange des eaux douces et marines semble être le principal facteur contrôlant la composition de la MO dans l'estuaire, comme le révèle (i) l'augmentation linéaire du ¿¹³C de la MOP de l'amont vers l'aval et (ii) la diminution concomitante de la diversité moléculaire de la MOD (ca. 5000 molécules en amont vs. 2700 à l'aval). Par ailleurs, la dilution non linéaire de la MOD colorée et/ou fluorescente le long de l'estuaire a montré le caractère hautement dynamique de la MOD, qui ne résulte pas uniquement d'un mélange des eaux douces et marines, mais subit des transformations de l'amont vers l'aval et est soumise à des apports variés. La combinaison des analyses isotopiques et moléculaires de la MO indique en outre une origine principalement autochtone de cette dernière dans l'estuaire, même si des composés d'origine terrigène ont pu être détectés dans les différents échantillons. Enfin, des variations saisonnières de composition de la MO ont, dans une moindre mesure, été observées, les analyses spectroscopiques montrant par exemple que la MOD est plus aromatique et a une masse plus élevée en hiver qu'en été.

En parallèle, nos résultats ont également montré que les nutriments et une grande partie des éléments traces avaient un comportement conservatif dans l'estuaire. Différents processus biogéochimiques transforment les nutriments en dégradant la MO. Nous avons cherché à inventorier les activités et les micro-organismes associés aux cycles biogéochimiques dans l'eau et les sédiments de l'estuaire, avec un focus particulier sur le cycle de l'azote. La colonne d'eau et en particulier le bouchon vaseux montre une disparition de nitrate, une production de N₂O et une abondance très importante de bactéries dénitrifiantes. Ceci indique une activité dénitrifiante dans cet environnement globalement oxique et suggère la présence de microniches anoxiques dans les matières en suspension de la colonne d'eau pour permettre à ce processus d'avoir lieu. Les taux de réduction de nitrate sont beaucoup plus élevés (facteur 1000) dans les sédiments en raison de conditions plus favorables, à savoir la présence de matière organique et l'absence d'oxygène. Il en découle que les sédiments se comportent comme des puits de NO₃^-. La dégradation de la MO dans les sédiments entraîne un flux d'ammonium émis par les sédiments.

Les analyses de contaminants organiques ont montré que les HAP légers étaient présents préférentiellement dans la phase dissoute et les plus lourds dans le sédiment et la phase particulaire, et que leur concentration dans l'eau était fortement liée à la marée (diminution d'un facteur 2 à 3 entre la pleine mer et la basse mer). A l'inverse, la teneur en HAP dans la phase particulaire est globalement constante aux périodes étudiées. En parallèle, un screening des composés pharmaceutiques a été réalisé sur un panel d'échantillons, permettant d'identifier 8 molécules « traceurs », considérées comme représentatives de l'ensemble des composés. Ces derniers sont faiblement concentrés dans les sédiments et dans la phase particulaire, et ont majoritairement (99%) été détectés dans la phase dissoute. Les concentrations en composés pharmaceutiques sont globalement stables en amont et dans le bouchon vaseux, et diminuent uniquement à l'embouchure. Par ailleurs, elles sont fortement dépendantes de la marée (basse mer vs. pleine mer) et des conditions hydrologiques (débit et hauteur d'eau). Ainsi, à Fatouville et Honfleur, les concentrations en composés pharmaceutiques peuvent varier jusqu'à 80 % en quelques heures en période de bas débit (mesuré à Poses) et de fort coefficient de marée.

Dans un dernier temps, les dynamiques de la MO, des contaminants et des nutriments ont été examinées conjointement. Nous avons montré que les variations à la fois qualitatives et quantitatives de la MOD influencent directement les concentrations en composés pharmaceutiques et HAP dans la phase dissoute. Certains constituants de la MOD interagissent plus particulièrement avec les contaminants organiques. Les interactions MO-contaminants organiques dépendent de la nature de la MO et des contaminants. La dynamique de la MOD et des contaminants organiques, interdépendantes, montrent une forte variabilité saisonnière. Par ailleurs, la concentration en HAP, normalisée à la teneur en carbone organique de la MO, diminue le long de l'estuaire dans la phase particulaire et augmente en parallèle dans le sédiment. On observe donc une accumulation des HAP dans le compartiment sédimentaire à l'embouchure de l'estuaire de Seine. De même, la dynamique de la MO et celle des composés azotés sont étroitement liées. L'estuaire a ainsi un fort potentiel à épurer les charges importantes en azote qu'il contient comme le montrent de façon concordante les nombres de micro-organismes dénitrifiants, les taux de réduction de nitrates et les fortes teneurs en MO métabolisables par les micro-organismes.

Au final, nous avons montré, via des approches distinctes et complémentaires, les interactions étroites entre dynamique de la MO, des contaminants et des nutriments dans la colonne d'eau et le sédiment. Les nombreux résultats obtenus, regroupés dans une base de données à disposition de la communauté scientifique via le GIP Seine-Aval, pourront servir à alimenter les modèles de dynamique biogéochimique de l'estuaire de Seine.

Les principaux résultats disponibles sont présentés dans le rapport du projet MOSAIC : https://www.seine-aval.fr/wp-content/uploads/2017/01/RR-SA5-MOSAIC.pdf

Schéma de synthèse illustrant la dynamique de la matière organique sous ses différentes formes (dissoute, particulaire et sédimentaire) dans l'estuaire de Seine et variation des principaux descripteurs globaux associés. Issu du rapport du projet GIP Seine-Aval MOSAIC.