Quantification de la concentration en MES
Un travail méthodologique autour de la mesure de la concentration en MES issue de prélèvements a été mené lors des campagnes TURBISEINE. L'objectif était de quantifier et hiérarchiser les différentes sources d'incertitudes. Ce travail détaillé dans le manuscrit de thèse de Marion Chapalain (Chapalin, 2019) a été intégré à une publication de synthèse sur la mesure de la concentration en MES en zone côtière (Fettweis et al., 2020).
Le type de filtre (GFF Vs Nuclepore) n'a pas montré de différences significatives (pour des concentrations >5mg/l), et il a été montré que la réalisation de triplicat, conseillée mais parfois complexe à mettre en ?uvre, n'était pas indispensable, les triplicats réalisés montrant une variation inférieure à 20% 9 fois sur 10. Le biais le plus fort est représenté par l'étape de rinçage des filtres, un filtre non rinçé pouvant retenir jusqu'à 20mg de sel. Un rinçage de 100ml à l'eau MilliQ est préconisé, permettant de réduire la part de sel restant sur le filtre à moins de 1mg.
Parallèlement, une base de données issue des prélèvements de TURBISEINE a pu être constituée, associant turbidité de référence (HACH2100N de paillasse) et concentration en MES (Figure 1). Elle a permis de proposer une relation moyenne de calibration du capteur HACH, qui peut être utilisée comme première estimation de la concentration en MES d'un échantillon prélevé. Cette mesure est ensuite utilisée afin de réduire l'incertitude de mesure de la quantification de MES sur filtre, en proposant un abaque du volume à filtrer en fonction de la turbidité pour concentrer sur filtre a minima 8mg de MES.
Dynamiques des matières en suspension entre estuaire et baie
Dynamique à l'échelle tidale
La dynamique des MES à l'échelle tidale est principalement contrôlée par l'hydrodynamisme et en particulier la turbulence (Chapalain et al., 2018), se traduisant par la formation de macroflocs (D50>200mm, Dr<200kg/m3) par faible niveau de turbulence autour des périodes d'étales et leur fragmentation en microflocs (D<100mm, Dr>400kg/m3) lors des maxima de courant de flot et de jusant (Figure 2).
Cette dynamique est similaire quelle que soit la localisation dans le gradient terre/mer, toutefois des différences sur la relation taille des flocs/intensité du courant sont observées : les flocs créés en Baie de Seine sont, à courant barotrope équivalent, de plus grande taille, semblant démontrer une plus grande résistance à la fragmentation (Figure 3).
En terme de structure des agrégats, symbolisée par la dimension fractale des flocs (i.e. schématiquement la relation taille/densité), on peut remarquer que cette dernière varie peu à l'échelle d'un cycle de marée, mais qu'elle change significativement saisonnièrement, en particulier proche de l'embouchure, semblant traduire un contrôle des processus de floculation par les interactions matière organique / matière minérale (Chapalain et al., 2018).
Dynamique saisonnière
La dynamique saisonnière de la composition des MES est observée à travers les proxys de contenu en chlorophylle a et en matière organique totale obtenue par perte au feu (Figure 4). Le contenu organique est faible en période hivernale, et augmente au printemps/été avec l'apparition d'efflorescences phytoplanctoniques. On peut noter à la fois un décalage temporel sur le signal de MO totale, qui est plus important d'abord au large du fait de la forte présence de sédiments fins à l'embouchure. Également, le contenu en MO totale reste important après le pic de chlorophylle a, du fait de la transformation du phytoplancton (baisse de chlorophylle a) en MO dégradée lors de la phase de sénescence.
Cette variabilité de la composition des MES influence fortement les processus de floculation, avec notamment une corrélation positive entre taille de flocs et contenu en MO (Figure 5) : la présence de MO favorise la cohésion et donc la formation de plus grands flocs, quelle que soit la position dans le continuum terre-mer.
La modification du contenu des MES influence également la densité des agrégats, mais différemment entre la station embouchure (LC) et la station baie de Seine (BS1) (Figure 6). Proche de l'embouchure, où la présence de sédiment reste importante même en période estivale, l'excès de densité reste stable par classe de taille. Au large, deux populations de particules se distinguent en fonction du contenu en MO : pour une taille équivalente, les flocs associés à un fort taux de MO présentent de plus faibles densités (différence d'un facteur 2) que pour des contenus plus faibles en MO.
L'analyse des mesures de TEP montre de fortes variabilités, différentes de celles observées dans d'autres systèmes côtiers, tel que l'embouchure de l'Escault. Des comparaisons méthodologiques sont recommandées pour qualifier définitivement les résultats.
Variabilités des MES et calibration des capteurs optiques
Les capteurs optiques déployés lors des campagnes TURBSEINE ont pu être directement calibrés à partir des échantillons de surface et de fond prélevés par bouteille NISKIN. Si une calibration moyenne peut être calculée, on observe une variabilité du coefficient de calibration au cours de la saison, très marqué à BS1, plus faible à LC. Cette variabilité a pu être reliée à la qualité des MES, et notamment le proxy de la concentration en chlorophylle a (Figure 7). Ce résultat doit maintenant être comparé avec les données collectées sur la série des campagnes PHRESQUES (2017-2021) pour confirmer cette dépendance.
Bouée D4 LC (préfiguration station SCENES) ¿ Calibration et résultats
Les différentes campagnes en 2016 ont permis de proposer une calibration annuelle distincte des capteurs de turbidité optique de surface et de fond de la Bouée D4 (Figure 8), permettant de construire une série temporelle de la concentration en MES. Une éventuelle relation saisonnière n'a pas été recherchée, faute de mesure de fluorescence sur la bouée pour appliquer cette variabilité. Il faut également noter une plus grande incertitude associée à la calibration de fond du fait d'une plus grande dispersion des points dans l'espace NTU-Concentration, potentiellement induite par le fort gradient vertical de MES proche du fond et à l'incertitude sur le positionnement vertical du prélèvement.
Les campagnes (profils CTD et OBS3+) ont également été utilisées pour rechercher une calibration du signal acoustique rétrodiffusé de l'ADCP (AWAC) déployé sur site entre 2015 et 2016. Comme pour la turbidité optique, deux calibrations sont trouvées, représentatives soit du panache de surface, soit des sédiments de fond remis en suspension. Cette calibration permet d'estimer les concentrations en MES sur l'ensemble de la colonne d'eau avec une incertitude allant de 20% à 50% pour des concentrations supérieures à 5mg/l. En deçà, l'incertitude augmente pour atteindre 100% (Figure 9).
La série temporelle de concentration en MES estimée sur l'ensemble de la colonne d'eau par ADCP montre l'importance des cycles VE/ME (jusqu'à 50mg/l en VE au fond) et des événements de tempête (jusqu'à 100mg/l au fond au pic de houle) sur la charge en MES dans l'embouchure (Figure 10).
Sur la base de ces résultats, les données ont également été utilisées pour produire une image moyenne de la concentration en MES dans la colonne d'eau à l'échelle tidale pour des gammes de coefficient de marée, hors période de tempêtes (Figure 11) (hauteur significative de vagues inférieure à 1m). Ces images moyennes montrent à la fois l'importance de la remise en suspension au moment du flot (jusqu'à mi profondeur), dont l'intensité est corrélée au marnage, et l'arrivée du panache turbide de surface en provenance de l'estuaire en fin de jusant et basse mer.