Les estuaires constituent des zones d'interfaces entre le domaine continental et la mer côtière. Ces zones sont complexes, car concentrant des enjeux multiples et croisés, à la fois environnementaux (qualité et santé de l'écosystème), économiques (zones privilégiées d'échanges commerciaux, support d'activités industrielles), sociétaux (usages et développement des activités anthropiques) et scientifiques (compréhension du fonctionnement d'un écosystème hors équilibre).
Un verrou pour la prise en compte de ces différents enjeux concerne la quantification des flux sédimentaires et l'analyse de leurs évolutions en estuaire.En effet, les flux sédimentaires contrôlent au premier ordre l'évolution morphodynamique de l'estuaire, et donc à la fois la modification des habitats mais également le comblement des voies de navigation. Les sédiments constituent également un vecteur déterminant des contaminants de tous ordres (chimiques, métalliques, organiques), et conditionnent la qualité des eaux et des sédiments dans l'estuaire. Finalement, les sédiments en suspension influent directement sur la profondeur de la couche euphotique et par conséquent modulent la production primaire et plus généralement le cycle du carbone.
Le calcul des flux sédimentaires nécessite de maitriser la variabilité multi-échelle à la fois des concentrations en matières en suspension (MES) et des flux liquides sur une section. Dans ce contexte, depuis 2012, le GPMR et le GIP Seine Aval, en réponse à une forte demande de la communauté scientifique et des acteurs du continuum Seine, coordonnent la mise en place et la mise en ?uvre du réseau de mesure SYNAPSES (SYstème de surveillaNce Automatisé de a PhySico-chimie en Estuaire de Seine). L'objectif est de s'appuyer sur les mesures de ce réseau pour évaluer les transferts sédimentaires au sein de l'estuaire et leur variabilité de la marée à l'échelle pluriannuelle.
Ce réseau s'appuie sur le réseau de marégraphes déployés en estuaire de Seine (Figure 1), et se structure sur 4 sites (Rouen (S), Heurteauville (S), Val des Leux (S), Tancarville (F/S)), deux nouvelles stations devant être opérationnelles en 2014 (Fatouville et Balise A, toutes deux mesurant en surface et au fond). Chaque station est équipée d'une sonde multiparamètres YSI, mesurant les paramètres hydrologiques et physicochimiques principaux : pression, température, conductivité, salinité, Oxygène dissous, pH, fluorescence et turbidité. Il est complété par une station à l'embouchure de l'estuaire, située sur le banc de la Carosse.
La mesure de la concentration en MES est actuellement indirecte, sur la base de capteurs optiques ou acoustiques. Ces observations sont extrêmement sensibles aux caractéristiques des MES (nature, spectre de taille, forme, densité), ce qui nécessite un travail de calibration potentiellement lourd auquel est associé une importante source d'incertitudes. L'objectif des campagnes SYNAPSES est de comprendre et mieux formaliser le lien entre les caractéristiques des matières en suspensions, leur évolution et l'utilisation des méthodes indirectes de détermination des concentrations en MES afin d'en réduire ou à défaut maitriser l'incertitude.
Dynamique des MES le long dans la zone d'extension du bouchon vaseux
Le premier objectif était de s'intéresser à la dynamique de floculation des matières en suspension dans la zone d'extension du bouchon vaseux. Un jeu de données homogène sur l'ensemble des stations et à l'échelle d'un cycle VE/ME a ainsi pu être collecté. Ces observations sont illustrées par la figure 2, correspondant au cycle de marée du 26 janvier 2015 sur la station Fatouville. Nous pouvons voir une réponse effective des processus de floculation aux forçages, en particulier l'hydrodynamique, avec des agrégats de petites tailles en période de flot et jusant et une floculation active autour des étales, avec des agrégats dont la taille médiane peut atteindre 300microns. Toutefois des différences sont à noter entre les deux périodes de faible turbulence : la floculation reste plus faible à l'étale de basse mer, qui s'explique par la dynamique temporelle lente des processus de floculation : l'étale est trop courte pour permettre une agrégation optimale, au contraire de l'étale de pleine mer, plus longue. De plus, on peut observer une dynamique verticale et temporelle à pleine mer : les grands agrégats créés en milieu de colonne d'eau en fin de flot chutent, visible à la fois via la variabilité du diamètre médian et par la diminution de la concentration en MES.
Figure 2 : Dynamique tidale des MES à Fatouville - 26 Janvier 2015
On peut remarquer également un bruit de mesure du LISST dans la zone de gradient de salinité combinée à des faibles concentrations en MES. Ce point fera l'objet de plus amples développements lors des campagnes TURBISEINE de 2016.
Calibration optique des capteurs de rétrodiffusion
La répétition des stations le long d'un cycle de marée a permis d'étudier la variabilité des coefficients de calibration des capteurs optiques à rétrodiffusion. On observe ainsi une dynamique en hystérésis à l'échelle d'une cycle VE/ME, que nous pourrions rapprocher de la dynamique des MES, et en particulier de leur organisation structurelle (compaction, ou dimension fractale), qui semble également varier à l'échelle VE/ME, observé lors des campagnes FLUMES en 2011. Ces observations montrent l'attention à apporter à l'estimation des concentrations en MES (ou au coefficient de caibration), dans le cadre des mesures long terme, ou a minima d'explorer la variabilité de la réponse des capteurs à la dynamique des MES, de façon à l'intégrer dans l'incertitude de mesure.
Figure 3 : variabilité du coefficient de calibration (NTU->g/l) pour le capteur optique à rétrodiffusion OBS3+ à Fatouville à l'échelle d'un cycle VE/ME
Station D4 à l'embouchure
Les campagnes SYNAPSES2015 (et TURBISEINE 2016) ont permis de calibrer les mesures optiques et acoustiques de la station D4 à l'embouchure de l'estuaire de Seine (figure 4 et figure 5). Il est intéressant de noter que la comparaison des mesures de concentration en MES par inversion acoustique avec les prélèvements de surface et de fond (triangles rouges) est de très bonne qualité. Toutefois, la comparaison des séries temporelles des concentrations issues du capteur optique et acoustiques présente une variabilité bien plus importante, qu'il convient d'interpréter avec précaution : ces deux observations sont issues de mesures indirectes, qui ont leur sensibilité particulière aux caractéristiques des MES. Il convient maintenant d'analyser ces observations en intégrant les propriétés des MES.
Figure 4 : Comparaison des concentrations en MES de référence (prélèvement) et des concentrations en MES estimées par capteur optique et acoustique après calibration - Site d'embouchure (D4).
Figure 5 : Comparaison des concentrations en MES issues des mesures haute fréquence acoustiques (ADCP) et des mesures optiques (Wetlabs), ainsi que des comparaison ADCP et prélèvements (triangles rouges) à la station d'embouchure (D4)
Ces données calibrées permettent d'analyser la dynamique temporelle des MES à l'embouchure (figure 6), avec un rôle majeur de la variabilité des courants de marée à l'échelle VE/ME sur la remise en suspension des sédiments. De plus, en fin de jusant, l'influence de l'estuaire est clairement visible, avec le développement d'un panache turbide de surface. Ce signal périodique est perturbé par les épisodes tempétueux, qui génèrent des contraintes de cisaillement importantes et donc des remises en suspension près de deux fois plus importantes.
Figure 6 : Dynamique des forçages (houle, courant) et des MES à la station d'embouchure (D4)
Stations estuariennes SYNAPSES
Les points de mesure dans l'estuaire se trouvaient au droit des stations du réseau de mesure haute fréquence SYNAPSES, mais en rive opposée pour des raisons de risque à la navigation. Ces mesures conjointes ont permis à la fois d'observer des problèmes de mesure de la sonde de surface du réseau SYNAPSES, qui a donc été corrigés, et d'observer la variabilité transversale des turbidités en estuaire. Il faut toutefois faire attention car les capteurs optiques de turbidité sont ici différents : néphélomètres (sondes YSI6600V2 pour SYNAPSES), rétrodiffusiomètre (OBS3+) pour les mesures à partir du Côtes de la Manche.
La variabilité transversale de la concentration en MES à Fatouville est illustrée par la figure 7 : une stratification verticale est observée en turbidité par le Côtes de la Manche, contrairement à la station SYNAPSES. Toutefois, la dynamique de fond est assez similaire aux deux points. Ces différences peuvent s'expliquer par le fait que la mesure SYNAPSES est une mesure proche berge, avec des fonds de faible profondeur au flot, ce qui impliquerait une tranche d'eau assez homogène et expliquerait la réponse similaire des capteurs de fond et de surface. Au contraire, le Côtes de la Manche est mouillé dans une zone plus profonde (5m à marée basse), et le mélange vertical n'est pas suffisant pour homogénéiser la colonne d'eau (voir figure 2).
Figure 7 : Exemple de comparaison des mesures de salinité et de turbidité à Fatouville : station SYNAPSES Vs observations Côtes de la Manche.