Remarque initiale : La numérotation des figures dans cette partie fait suite à celle adoptée dans la partie précédente consacrée aux "Données acquises et analyses effectuées en mer et à terre".
L'ensemble des analyses a permis d'obtenir des résultats importants sur que nous détaillons ci-dessous. Ces résultats concernent les enregistrements sédimentaires des baies de Pago Pago, Masefau et Fafague (Fig. 2), respectivement. Nous les présentons ci-dessous avant de dresser une synthèse à l'échelle de l'ensemble de l'île de Tutuila. Pour l'ensemble des références bibliographiques des travaux antérieurs sur la zone d'étude, nous prions le lecteur de se reporter aux listes bibliographiques données à la fin des travaux de Riou (2019) et de Riou et al. (2020a,b).
Fig. 2. Carte de la compilation de l'ensemble des levers bathymétriques réalisés à la périphérie de l'île de Tutuila au cours de la campagne SAMOA-SPT. Les travaux se sont concentrés sur les anfractuosités profondes (baies), en particulier la baie de Pago Pago (SAMOA-SPT Scientific Party).
1. Résultats des travaux menés dans la baie de Pago Pago
Comme nous l'avons évoqué ci-dessus, les dépôts de cette baie ont été la cible principale de la campagne SAMOA-SPT. Les levers bathymétriques et de sismique réflexion et le prélèvement de carottes sédimentaires ont été réalisés de la zone interne à la zone la plus distale de la baie (Fig. 4). Les données bathymétriques révèlent l'existence d'un domaine interne s'étend du trait de côte jusqu'à l'isobathe 40 m est caractérisé par un morphologie incluant des bosses arrondies (constituées d'argiles durcies ?) de moins de 5 m de haut pour une largeur maximale de 50 m qui séparent des dépressions interconnectées comblées de sédiment. Au-delà d'une frange étroite de 5 mètres de dénivelée (pente : 10 à 15°), le domaine externe apparaît comme une zone de morphologie très homogène avec une pente très faible de l'ordre de 0,5°.
Fig. 4. Carte bathymétrique de la baie de Pago Pago présentant la localisation des tracés des profils de sismique réflexion réalisés et celle des carottes sédimentaires prélevées du domaine interne au domaine externe de la baie. La limite d'inondation par le tsunami de 2009 (SPT) est également représentée (Riou et al., 2020a).
a. Les dépôts sédimentaires
L'analyse des profils de sismique réflexion a permis d'identifier 6 réflecteurs principaux qui indiquent soit des contrastes de lithologie ou de granularité des sédiments. Bien qu'ils soient bien marqués, la continuité des réflecteurs est variable selon les secteurs de la baie. Ces réflecteurs permettent d'identifier 8 unités sismiques superposées du substratum volcanique (inclus) de la baie jusqu'à la surface (Fig. 5). Ces 8 unités sismiques sont mieux identifiables dans la zone la plus interne de la baie que dans sa partie externe.
Fig. 5. Coupe sismique de l'axe de la zone interne de la baie de Pago Pago permettant d'identifier les réflecteurs et les unités sismiques du remplissage sédimentaire. La position des carottes prélevées le long du profil est également indiquée (Riou et al., 2020a).
Outre l'architecture générale du remplissage de la zone la plus interne de la baie, les profils sismiques ont permis de préciser les caractéristiques de son remplissage au cours du temps (Fig. 6). Le remplissage sédimentaire de la baie repose en discordance sur le substratum volcanique de l'île. L'unité sismique inférieure (Unit 1) est transgressive sur le substratum volcanique avec un léger pendage vers le large. Cette transgression est très vraisemblablement à mettre en relation avec la remontée eustatique qui a accompagné la fin du dernier épisode pléniglaciaire du Pleistocène. La base de cette Unit 1 montre des onlaps rétrogradants en direction de la côte. Les unités supérieures (U2 à U8) sont aggradantes (absence de variations eustatiques notables) et qui témoignent d'une sédimentation continue au cours d'une période de haut niveau marin (high-stand system tract), alors que l'unité sommitale (U8), d'épaisseur constante, vient draper l'ensemble. D'après les datations radiochronologiques (cf. infra), les dépôts des unités U2 à U8 se sont mis en place au cours des 7000 dernières années dans la baie de Pago Pago.
Fig. 6. Coupe sismique (W-E) interprétée parallèle à l'axe de la partie interne de la baie de Pago Pago avec localisation de la carotte SPT-CA08 (Riou et al., 2020b).
Les données sédimentologiques obtenues à partir de l'analyse des carottes sédimentaires permettent de distinguer trois faciès majeurs (Fig. 7) :
- Le faciès A : il correspond au bruit de fond sédimentaire silteux de couleur brune sans structures apparentes à l'exception de quelques coquilles ou fragments de coraux dispersés.
- Le faciès B : il s'agit de brèches bioclastiques à clastes portants non consolidées et riches en fragments grossiers des coraux (dont le diamètre peut atteindre 10 cm) dans une matrice aux caractéristiques semblables au faciès A.
- Le faciès C : il s'agit de sables bioclastiques très riches en fragments d'algues calcaires du genre Halimeda mélangés avec des fragments de coraux (pouvant atteindre 5 cm de diamètre), l'ensemble flottant dans une matrice silteuse brune analogue au faciès A.
D'après les données de sismique réflexion, on peut considérer que le faciès A est caractéristique des dépôts constitutifs des unités sismiques U2, U4, U6 et U8. En revanche, les dépôts grossiers (faciès B et C) sont présents, quant à eux, dans les unités U3, U5 et U7.
Fig. 7. Photographies des trois grands types de faciès (faciès A, B et C) reconnus dans les carottes prélevées dans les baies de l'île de Tutuila. L'exemple présenté ici est celui de la carotte SPT-K05 récoltée dans la zone interne de la baie de Pago Pago (Riou et al., 2020a).
b. Les intervalles de dépôt événementiels et leur signification
L'analyse des dépôts sédimentaires prélevés dans la baie de Pago Pago a permis de distinguer deux types d'intervalles de dépôt événementiels : (1) les dépôts discrets et (2) les dépôts grossiers.
Les dépôts discrets
La Figure 8 illustre un exemple de résultats de l'analyse sédimentologique d'une carotte prélevée dans la zone interne de la baie de Pago Pago (carotte SPT-CA07 ; cf. localisation sur la Fig. 4).
Fig. 8. Résultats de l'analyse de la carotte SPT-CA07 prélevée dans la zone interne de la baie de Pago Pago (cf. localisation sur la Fig. 4) avec présentation de la photographie de la carotte, sa radiographie X, la distribution granulométrique et le spectre du rapport Ti/Ca (valeurs normalisées au nombre total de coups) obtenu au XRF core scanner (Riou et al., 2020a).
Cette carotte ne renferme que des dépôts du faciès A. La photographie montre un dépôt très homogène alors que la radiographie X permet de distinguer les effets modérées d'une bioturbation. L'analyse granulométrique des dépôts ne révèle aucune variation notable de granularité. En revanche, le spectre géochimique obtenu au core-scanner XRF montre la présence d'un pic notable du rapport Ti/Ca (normalisé au nombre total de coups). Dans le cadre de l'étude des dépôts des petits fonds de la périphérie de l'île volcanique de Tutuila, nous avons considéré que les matières riches en titane provenaient des parties subaériennes de l'île (sols développés sur substratum volcanique), alors que les matières riches en calcium étaient caractéristiques du domaine marin dominé par une sédimentation carbonatée. Dès lors, un rapport Ti/Ca élevé est une signature d'apports sédimentaires en provenance des domaines émergés de l'île par rapport au bruit de fond sédimentaire marin à dominante carbonatée.
On peut donc ici considérer que le pic indiquant un rapport Ti/Ca élevé peut être a priori une signature d'un dépôt de backwash de tsunami. En effet, suite à l'inondation côtière, le reflux des eaux ayant inondé le domaine littoral vers la mer entraîne des sédiments érodés au niveau de la zone d'inondation. Cependant, le dépôt demeure discret car la surface inondée demeure faible (cf. Fig. 4) et les dépôts qui en résultent sont par conséquent de faible volume et très dispersés dans la baie.
Un second exemple est illustré sur la Figure 9. Il s'agit du cas de la carotte SPT-CA08 prélevée dans la même zone de la baie que la carotte SPT-CA07. De longueur similaire, cette carotte renferme un enregistrement plus caractéristique et détaillé, à mettre certainement en relation avec un taux de sédimentation plus faible dans la zone de prélèvement. Remarquons tout d'abord les faibles variations granulométriques le long de la carotte.
Fig. 9. Données de la carotte SPT-CA08 (cf. localisation sur la Fig. 4). Ici sont représentées les données granulométriques, de susceptibilité magnétique (10-3 SI) et divers rapports géochimiques (valeurs standardisées au nombre total de coups) obtenus au XRF core scanner (Riou et al., 2020b).
La susceptibilité magnétique volumique varie peu le long du profil à l'exception des intervalles 3-10 cm et 41-42 cm de profondeur dans la carotte. Notons que l'augmentation des valeurs de susceptibilité magnétique sont à mettre en relation avec une augmentation de la concentration des teneurs en particules magnétiques dans les sédiments. Dans le contexte de l'île volcanique de Tutuila, les pics de susceptibilité magnétique élevée traduisent des apports détritiques de matériaux volcaniques en provenance des domaines émergés de l'île.
D'un point de de la géochimie des sédiments, il apparaît que le rapport Ti/Ca que nous avions évoqué plus haut demeure une très bonne signature des apports détritiques depuis la partie émergée de l'île et qu'il peut être très bien corrélé avec les variations de la susceptibilité magnétique volumique des sédiments qui signent les mêmes types d'apports. Dans l'intervalle 3-10 cm, les pics du rapport Ti/Ca semblent être composites et suggèrent la superposition de deux horizons distincts.
L'analyse pétrographique des dépôts de la carotte SPT-CA08 permet de compléter la connaissance des caractéristiques des intervalles événementiels (Fig. 10).
Fig. 10. Microphotographies des différents dépôts présents dans la carotte SPT-CA08. À gauche : photographie de la carotte et profil du rapport Ti/Ca. Au milieu : interprétation des microphotographies. À droite : microphotographies des dépôts en lumière polarisée non analysée (à gauche) et en lumière polarisée analysée (à droite). Noter les structures de cisaillement à la base des dépôts les plus grossiers (Riou et al., 2020b).
Sans entrer dans les détails, on constate que les dépôts associés aux pics du rapport Ti/Ca renferment des particules volcanoclastiques associées à des fragments de plantes, alors que le bruit de fond sédimentaire est principalement carbonaté avec des fragments de coquilles dispersés. De plus, les dépôts associés aux rapports Ti/Ca élevés montrent des structures de cisaillement basal. Par conséquent, la mise en place des intervalles sédimentaires discrets résulte d'un écoulement gravitaire au niveau du fond ayant entraîné une perturbation des sédiments sous-jacents. De toute évidence, ces intervalles sont associés à des backwashs de tsunamis. De plus, on constate que l'intervalle discret supérieur correspond en fait à la superposition de deux niveaux, eux-mêmes marqués par deux pics successifs de valeurs élevées du rapport Ti/Ca. De toute évidence, il s'agit ici de l'enregistrement sédimentaire de deux backwashs successifs d'un unique tsunami. Pour autant, il est important de noter que les seules données granulométriques (Fig. 8) ne permettaient pas la caractérisation de ces intervalles événementiels particuliers.
Au regard de l'ensemble des données obtenues à partir de l'analyse détaillée de la carotte SPT-CA08, il est a priori possible d'identifier deux dépôts successifs de backwash. Cependant, les signatures sédimentaires des dépôts de backwash ne sont que « chimiques ». Aucun intervalle caractéristique n'est identifiable à l'?il nu. On suppose que l'essentiel des sédiments détritiques transportés depuis le domaine émergé inondé au cours du tsunami vers la baie au cours du backwash a dû être piégé dans les dépressions entre les monticules (argileux ?) dans la partie la plus interne de la baie qui sont demeurées difficilement accessibles à un échantillonnage pertinent.
L'absence de ce second intervalle inférieur de type « backwash » dans la carotte SPT-CA07 (Fig. 8) doit probablement être à mettre en relation avec la longueur insuffisante de cette carotte qui n'a pu atteindre ce niveau inférieur. En effet, ce dernier a été identifié dans d'autres carottes courtes (prélevées au carottier-boîte de type « Amaury ») dans la baie, mais uniquement dans sa partie la plus interne (Fig. 11).
Fig. 11. Corrélations établies entre 9 carottes courtes prélevées dans la baie de Pago Pago. On remarque que la superposition de deux intervalles événementiels discrets n'a été identifiée que dans la zone la plus interne de la baie. Ces intervalles disparaissent distalement en direction du large (Riou et al., 2020b).
Les dépôts grossiers
Les dépôts des faciès B et C (Fig. 7) sont présents dans les unités sismiques U3, U5 et U7. Les particules coralliennes (coraux d'eau peu profonde) ont subi une fragmentation intense donnant naissance à des fragments aux arêtes acérées qui ne dénotent pas des effets d'une usure au cours d'un transport bref qui est par conséquent demeuré très limité dans l'espace. Ces particules coralliennes sont également mélangées à des fragments d'algues calcaires (genre Halimeda). Cependant, ces processus de fragmentation témoignent de l'action de phénomènes de haute énergie. Deux hypothèses alternatives peuvent être proposées pour expliquer l'origine de ces dépôts grossiers : (1) l'action de vagues de tempêtes ou (2) de vagues de tsunami susceptibles de briser les coraux et de mobiliser les particules bioclastiques formées. La seconde hypothèse est cependant privilégiée pour expliquer l'origine des dépôts des faciès B et C en raison de la morphologie de la baie de Pago Pago qui est profonde et protégée, c'est-à-dire qui offre un contexte qui facilite la dissipation des ondes de tempêtes, ce qui n'est pas le cas des ondes de tsunami dans la même situation physiographique. De plus, la forme en « entonnoir » de la baie est favorable à l'amplification des ondes de tsunami. Les observations réalisées lors du tsunami de 2009 ont montré que l'amplitude des vagues, lors de l'arrivée d'une onde de tsunami dans la baie, était de 1 mètre à l'entrée de la baie pour atteindre 7 à 8 mètres dans son domaine le plus interne. L'absence de fragments coralliens dans l'Unité sismique 8, la plus récente, résulte très probablement de l'anthropisation de la baie avec le développement des activités portuaires depuis 150 ans et la disparition corrélative d'importantes colonies de coraux dans la zone, y compris au niveau de la barrière récifale située à la sortie de la baie. Cette hypothèse est confirmée par la datation de la limite entre l'U7 et l'U8 (cf. infra). Parallèlement, l'anthropisation de la baie a conduit à une augmentation très nette de la sédimentation silteuse.
Il n'a pas été possible de déterminer si les dépôts grossiers (faciès B et C) sont liés à des backwashs de tsunami. L'abondance de matériaux bioclastiques marins plaide plutôt en faveur de leur accumulation directement lors de l'entrée des ondes de tsunami dans la baie de Pago Pago après que ces dernières aient érodé la barrière récifale externe.
c. Datation des dépôts de la baie de Pago Pago
La Figure 12 présente un exemple de résultats de datations à l'aide des radioisotopes à très courte durée de vie de la carotte SPT-CA08. À partir des mesures de l'activité du 210Pbex, il est possible de déterminer un taux de sédimentation de l'ordre de 6 mm.an-1. Les mesures de l'activité du 137Cs ont permis de confirmer la présence de deux discontinuités stratigraphiques dans l'enregistrement sédimentaire qui correspondent chacune à la présence d'un intervalle de dépôt caractérisé par des valeurs élevées du rapport Ti/Ca. Les données indiquent que l'intervalle supérieur est daté de 2009 et correspond donc au Tsunami du Pacifique Sud (SPT) et que l'âge de l'intervalle inférieur daté de 1960 correspond a priori aux effets du télétsunami associé au Grand Séisme du Chili de 1960 (Mw 9.6), le séisme le plus violent jamais enregistré depuis que des mesures instrumentales sont réalisées.
Fig. 12. Résultats de datations par les radioisotopes à très courte durée de vie de la carotte SPT-CA08. Deux interruptions dans la sédimentation sont mises en évidence par les activités du 210Pbex et du 137Cs. Elles correspondent pour la plus sommitale au tsunami SPT-2009 et pour la seconde au tsunami lié au Grand Séisme du Chili de 1960 (Riou et al., 2020b).
La Figure 13 résume l'ensemble des données radiochronologiques (14C et radioisotopes à très courte durée de vie) obtenues sur les carottes prélevées dans la baie de Pago Pago. Sur cette figure sont également reportés les résultats des datations au radiocarbone réalisées sur les bioclastes carbonatés. Les unités sismiques correspondantes aux différents intervalles sédimentaires des carottes concernées sont dessinées. Les niveaux bioclastiques grossiers (faciès B et C) reconnus dans les carottes et corrélés aux profils de sismique réflexion peuvent être potentiellement associés aux effets de tsunamis plus anciens. L'âge le plus ancien déterminé pour les dépôts est d'environ 6200 ans BP (sommet d'un intervalle du faciès C ; carotte SPT-K04). Par conséquent, le remplissage sédimentaire de la baie de Pago Pago permet d'accéder à l'enregistrement d'événements successifs sur plusieurs milliers d'années.
Fig. 13. Coupes interprétatives (avec représentation des faciès) des carottes prélevées dans la zone interne de la baie de Pago Pago (à gauche : domaine proximal ; à droite : domaine distal) et les corrélations établies. Les âges obtenus par les datations au radiocarbone et les taux de sédimentation (estimés par les activités du 210Pb) sont également représentés.
L'interprétation qui est donnée à la succession des intervalles sédimentaires du remplissage de la baie de Pago Pago est la suivante. Les tsunamis anciens qui se sont produits au cours des derniers milliers d'années ont donné naissance aux dépôts grossiers riches en matériel bioclastique corallien (faciès B et C), alors que les tsunamis les plus récents (depuis la fin du XIXe siècle) n'ont conduit qu'au dépôt des intervalles discrets. En effet, depuis l'anthropisation de la baie, la barrière récifale située à sa sortie a subi une forte régression. Par conséquent, le passage des ondes de tsunami à son niveau n'a plus pu produire une intense érosion et une remobilisation de volumes conséquents de matériel bioclastique ; seuls les coraux situés à l'intérieur de la baie ont pu subir un démantèlement lors de l'entrée des tsunamis dans la baie.
Des corrélations précises ont pu être établies entre des carottes courtes et longues prélevées dans la zone la plus interne de la baie de Pago Pago (Fig. 14). Ces corrélations permettent de préciser l'enregistrement des intervalles événementiels associés à des tsunamis successifs en se basant sur les datations chronologiques obtenues sur les sédiments. Il apparaît qu'il est a priori possible de distinguer les enregistrements de trois tsunamis : le Tsunami du Pacifique Sud de 2009 (2009 SPT), le tsunami lié au Grand Séisme du Chili de 1960 (1960 GCET) et, possiblement, le Tsunami des îles Aléoutiennes de 1868 (1868 SAT). Les dépôts de ce dernier tsunami sont préservés à l'interface entre les unités sismiques U7 et U8.
Fig. 14. Corrélations entre les carottes SPT-CA04, CA06, K05 et K06 prélevées dans la zone la plus interne de la baie de Pago Pago (Riou, 2019).
d. Conclusions
Les données acquises dans la baie de Pago Pago lors de la campagne SAMOA-SPT ont permis de mettre en évidence deux types de dépôts associés à des tsunamis. Les dépôts discrets se limitent aux enregistrements les plus récents alors que les dépôts grossiers sont a priori les témoins des événements de tsunamis les plus anciens. Il a pu être démontré ici que les dépôts discrets correspondent à l'enregistrement des backwashs de tsunamis (2009 et 1960).
La Figure 15 présente un modèle explicatif conceptuel qui résume l'ensemble des observations réalisées sur les dépôts de backwash associés au tsunami de 2009 et la formation du doublet supérieur observé dans les carottes.
Fig. 15. Modèle explicatif de la formation des dépôts de backwash associés au tsunami de 2009 dans la baie de Pago Pago (Riou et al., 2020b).
Pour autant, il est possible de mettre en évidence des périodes marquée par l'arrivée de tsunamis (dépôt d'intervalles bioclastiques grossiers) alternant avec des périodes de calme caractérisées par le dépôt de sédiments fins (faciès A). Cependant, nos données, en particulier fournies par la sismique réflexion, n'ont pas permis de mettre en évidence ou non la succession de plusieurs enregistrements de tsunamis successifs dans les intervalles grossiers ; l'enregistrement demeure donc faiblement discrétisés. Au final, il est cependant possible, au premier ordre, d'identifier la succession de périodes d'activité tsunamigénique d'une durée pouvant atteindre 2000 ans alternant avec des périodes de quiétude à sédimentation de basse énergie d'une durée approximative de 1000 ans. L'alternance de ces phases donne potentiellement accès au cycle sismique de grande ampleur au niveau de la fosse de subduction des Tonga où se produisent des séismes de forte magnitude susceptibles de déclencher des tsunamis pouvant atteindre les côtes de l'île de Tutuila.
2. Résultats des travaux menés dans les baies de Masefau et Fagafue
a. Bathymétrie générale des baies
Les baies de Masefau et Fagafue, situées le long de la côte nord de l'île de Tutuila (Fig. 2) ont constitué les deux autres cibles principales de la campagne SAMOA-SPT.
L'approche opératique que nous avons adoptée pour étudier le remplissage sédimentaire de ces deux baies a été identique à celle pour la baie de Pago Pago. La Figure 16 illustre les données bathymétriques des deux baies et la localisation des carottes qui y ont été prélevées.
À la différence de la baie de Pago Pago qui était très étroite et très protégée du fait de sa forme coudée, la baie de Masefau est linéaire et relativement étroite. Un seuil bathymétrique de 5 à 10 m de haut protège l'entrée de la baie et isole une dépression favorable à la préservation de l'enregistrement sédimentaire.
La baie de Fagafue possède une morphologie beaucoup plus ouverte. Elle est cependant préservée de l'action des vagues par la présence d'une barrière récifale externe. Vers le côté externe de la baie, une dépression bathymétrique est présente et est favorable à la préservation de l'enregistrement sédimentaire. C'est dans cette zone que les carottes sédimentaires ont été prélevées.
Fig. 16. Cartes bathymétriques des baies de Masefau (c) et de Fagafue (d) et localisation des carottes prélevées (Riou, 2019).
b. Enregistrement sédimentaire dans la baie de Masefau
Nous présentons ci-dessous les résultats analytiques obtenus lors de l'étude de la carotte longue SPT-K16 (Fig. 17 ; voir localisation sur la Figure 16c). On observe des variations de la granularité des sédiments qui demeurent cependant difficilement corrélables à des variations nettes du rapport Ti/Ca, mis à part pour l'intervalle 95-135 cm. Ces intervalles correspondent à des dépôts discrets difficilement reconnaissables à l'?il nu. Cependant, le dosage de l'activité des radioisotopes à très courte durée de vie (210Pbex et 137Cs) permet de mettre des interruptions dans l'enregistrement sédimentaire et l'existence de 4 intervalles de dépôt distincts qui coïncident généralement avec une augmentation de la granularité des sédiments, plus rarement à des valeurs élevées du rapport Ti/Ca.
Fig. 17. Résultats des analyses multiproxies et des dosages de l'activité des radioisotopes à très courte durée de vie (210Pbex et 137Cs) de la carotte SPT-K16 (baie de Masefau ; Riou, 2019).
Les âges qui peuvent être déduits des données permettent de distinguer ces 4 intervalles sédimentaires. Le plus ancien renferment des éléments bioclastiques carbonatés dont l'âge donnée par le radiocarbone est compris entre AD 1470 et AD 1580. Cependant, les sédiments du sommet de cet intervalle, obtenu à partir du 210Pbex est AD 1875±25. Par conséquent, les bioclastes présents dans cet intervalle et qui ont un âge beaucoup plus ancien ont été remobilisés depuis des formations plus anciennes. En définitive, les 4 intervalles superposés peuvent correspondre respectivement, du haut vers le bas, à des dépôts associés aux tsunamis suivants :
- Le tsunami du Pacifique Sud de 2009 (2009 SPT).
- Le tsunami associé au Grand Séisme du Chili de 1960 (1960 GCET).
- Le tsunami de la fosse de subduction des Tonga de 1917.
- Le tsunami des îles Aléoutiennes du Sud de 1868 (?).
c. Enregistrement sédimentaire dans la baie de Fagafue
Les résultats des analyses réalisées sur la carotte longue SPT-K08 sont présentés sur la Figure 18.
Fig. 18. Résultats des analyses multiproxies et des dosages de l'activité des radioisotopes à très courte durée de vie (210Pbex et 137Cs) de la carotte SPT-K08 (baie de Fagafue ; Riou, 2019).
Comme dans le cas de la carotte prélevée dans la baie de Masefau, des intervalles sédimentaires événementiels sont identifiés grâce à des variations nettes de granularité. Cette fois, ces variations sont clairement corrélées à des valeurs élevées des rapports Ti/Ca, marqueurs d'apports depuis le domaine émergé de l'île, a priori au cours des épisodes de backwashs de tsunamis. Un total de 3 intervalles est présent. Leur datation sur la base combinée des radioisotopes à très courte durée de vie et du radiocarbone et de l'interprétation de ces âges suggèrent que ces dépôts seraient associés respectivement, du sommet vers la base de la carotte, aux tsunamis suivants :
- Le tsunami du Pacifique Sud de 2009 (2009 SPT).
- Le tsunami associé au Grand Séisme du Chili de 1960 (1960 GCET).
- Le tsunami des îles Aléoutiennes du Sud de 1868 (?).
Par conséquent, dans la baie de Fagafue, plus ouverte, il n'y aurait pas d'enregistrement du tsunami des îles Aléoutiennes du Sud de 1917 comme le montrent les corrélations établies entre les carottes SPT-K16 et SPT-K08 (Fig. 19).
Fig. 19. Corrélations établies entre les carottes SPT-K16 (baie de Masefau) et SPT-K08 (baie de Fagafue ; Riou, 2019).
3. Conclusions générales
Les travaux menés au cours de la campagne SAMOA-SPT ont permis de démontrer clairement que les ondes de tsunamis produisent des enregistrements sédimentaires dans les petits fonds. Ces dépôts sont en particulier liés aux phénomènes de backwashs. Il s'agissait, à ce jour, de la première campagne océanographique consacrée à l'analyse et à la reconnaissance de ces types de dépôts menée sur l'ensemble de la périphérie d'une île océanique dans l'océan Pacifique Sud.
La démarche opératique adoptée combinant des analyses bathymétriques, de sismique réflexion et de carottes sédimentaires a permis d'atteindre pleinement les objectifs énoncés dans la demande de campagne.
Les résultats saillants sont les suivants :
- Les dépôts de backwashs de tsunamis se préservent idéalement dans les baies profondes et étroites. Plus elles sont étroites, meilleure est la préservation.
- On distingue des dépôts discrets qui peuvent passer totalement inaperçus sans une étude détaillée et des dépôts grossiers qui attestent des effets du passage des ondes des tsunamis au niveau des barrières récifales situées à l'entrée des baies.
- L'analyse détaillée des dépôts discrets montre qu'ils peuvent être soulignés par de discrètes variations granulométriques ou, le plus souvent, uniquement par des anomalies géochimiques (apports détritiques depuis les domaines émergés de l'île). Des structures de cisaillement situées à la base de ces intervalles montrent qu'ils se sont déposés à la faveur d'écoulements gravitaires, les véritables signatures sédimentaires des backwashs associés au déferlement des vagues des tsunamis au fond des baies.
- Dans l'ensemble des baies étudiées, nous avons pu mettre en évidence des signatures sédimentaires associées aux tsunamis suivants : (1) Tsunami du Pacifique Sud de 2009 (2009 SPT), (2) tsunami associé au Grand Séisme du Chili de 1960 (1960 GCET), (3) par endroits, le tsunami de la fosse des Tonga de 1917 (1917 TTT) et (4) tsunami des îles Aléoutiennes du Sud (1868).
- Dans la baie de Pago Pago où l'enregistrement sédimentaire apparaît être le plus complet, des dépôts très probables de tsunami plus anciens ont été identifiés sur une période de l'ordre de 7000 ans, mais n'ont pu être corrélés à des événements précis. Cependant, une cyclicité d'activité tsunamigénique de l'ordre de 2000 ans alternant avec des périodes de quiescence de 1000 ans a été identifiée et pourrait correspondre, au premier ordre à un mégacycle sismique au niveau de la proche fosse des Tonga.
Références
Riou B. (2019). Shallow marine sediment record of tsunamis : analysis of the sediment-fill of the bays of Tutuila (American Samoa) and backwash deposits of the 2009 South Pacific Tsunami. Thèse de Doctorat, Université de La Rochelle, 189 p.
Riou B., Chaumillon E., Schneider J.-L., Corrège T., Chagué C. (2020a). The sediment-fill of Pago Pago Bay (Tutuila Island, American Samoa) : New insights on the sediment record of past tsunamis. Sedimentology, 67, 1577-1600.
Riou B., Chaumillon E., Chagué C., Sabatier P., Schneider, J.-L., Walsh J.-P., Zawadzki A., Fierro D. (2020a) Backwash sediment record of the 2009 South Pacific Tsunami and 1960 Great Chilean Earthquake Tsunami. Nature, Scientific Reports, 10, 4149 (2020).