Le principal résultat de ce travail a conduit à l'élaboration de trois documents :
- un rapport présentant les travaux réalisés, les techniques utilisées, les principaux résultats, ainsi que leur interprétation en termes de dynamique. Ces résultats sont comparés à ceux acquis sur le site depuis 1988
- une carte morpho-bathymétrique, établie d'après la couverture EM 2040 réalisée en avril - mai 2014
- une carte des formations superficielles à l'échelle de 1/10 000
COMPARTIMENT SEDIMENTOLOGIQUE
Le levé réalisé en 2014 confirme et précise les principales caractéristiques mises en évidence lors des levés précédents, ainsi que les mécanismes sédimentaires, naturels ou anthropiques, mis en jeu. Les facteurs naturels influant sur le site sont :
- la morphologie du substrat rocheux,
Aux deux extrémités du site, dans les secteurs de Dieppe-Belleville (secteur occidental), et Neuvillette - Mesnil-en-Caux (secteur oriental), le platier rocheux d'estran se prolonge en mer jusqu'à des distances importantes, particulièrement dans le secteur occidental (« platier de Dieppe »).
Entre ces deux promontoires rocheux, de Belleville à Neuvillette (secteur central), le platier rocheux se termine à faible profondeur par un abrupt de hauteur variable.
Un peu plus au large, le modelé de la roche laisse apercevoir :
- des dépressions, parfois délimitées par des pentes marquées, notamment dans le secteur oriental,
- des reliefs (ressauts), notamment au droit de Neuvillette, où une zone de roche sub-affleurante (« platier de Neuvillette ») est observée. Ce platier a une orientation oblique à la côte, qui correspond à celle des transports sédimentaires, et présente une dissymétrie transversale nette ; son flanc nord exposé aux houles et courants, est surélevé d'environ 2 m par rapport au fond meuble environnant, alors que son flanc sud est en continuité avec le fond sableux.
A l'échelle de la zone cartographiée, la morphologie du substrat a une influence directe sur l'épaisseur et le modelé de la couverture sédimentaire :
- une couverture sédimentaire grossière domine dans les secteurs de reliefs rocheux (platier de Dieppe),
- une couverture sableuse continue mais probablement peu épaisse caractérise les secteurs de roche sub-affleurante et à très faible relief (en particulier dans le compartiment oriental),
- cette couverture sableuse devient plus épaisse dans les secteurs déprimés (base de l'abrupt rocheux de Penly, ridins de Mesnil-en-Caux dans le secteur oriental)
- Dans le compartiment central, la continuité sédimentologique et morphologique observée à l'Ouest de la centrale (« plage Saint-Martin ») contraste avec l'abrupt rocheux observé plus à l'Est, qui limite les échanges entre estran et petits fonds.
Ce contraste marque l'influence de la centrale dont les ouvrages externes « bloquent » les sables en amont (plage Saint-Martin et petits fonds marins).
Cette influence des ouvrages externes de la centrale est très visible à basse mer, sous la forme d'un important estran sableux, totalement inexistant sous sa forme actuelle jusqu'au milieu des années 80.
Jusqu'à 2m de profondeur, l'influence des ouvrages se marque par des fonds sableux à l'ouest des ouvrages et face au canal d'amenée, contrastant avec les fonds rocheux à l'est des jetées. Cet ensablement peut alors impacter le canal d'amenée par un phénomène de sur-ensablement.
Au-delà de 3 m de profondeur, les fonds deviennent sableux de part et d'autre de l'ouvrage, ce qui traduit un transfert des sédiments de part et d'autre de l'ouvrage, sans perturbation apparente.
- les facteurs météo-océaniques
Les figures sédimentaires observées sur le fond, et la dispersion des silts indiquent clairement que le site est un site de transfert de sédiment. Celui-ci s'effectue à la fois sous l'influence des courants de marée, dont la résultante porte vers le NE, et lors des tempêtes, sous celle de la houle, orientée du large vers la côte, avec une incidence variable selon l'orientation du vent.
Du SW au NE du site, on observe successivement :
- deux directions d'apport sédimentaire, l'une parallèle de la côte et proche de celle-ci (« apport côtier », vers 3 à 5 m de profondeur), l'autre plus éloignée de la côte et oblique (« apport du large », vers 10 m de profondeur).
Ces deux directions convergent progressivement, à partir du flanc oriental du platier de Dieppe. Au-delà, vers le NE, les directions de transport indiquées par les figures sédimentaires deviennent progressivement parallèles à la côte, avec un sens résultant vers le NE.
L'influence des facteurs météorologiques est probablement importante, comme en atteste l'observation de rides de houle, surimposées aux rides de courant.
Le couplage des données bathymétriques et de l'imagerie acoustique donne des informations indirectes sur l'épaisseur des sédiments, notamment des sables superficiels :
- des sables ridés indiquent une épaisseur, et donc un volume significatif de sédiment disponible, d'autant plus important que la longueur d'onde des rides est importante,
- les secteurs de roche sub-affleurante, indiquent un volume sableux limité.
Par ailleurs, on connaît l'épaisseur d'ordre métrique des sables fins dans très petits fonds du secteur central, qui constituent une zone abritée entre les deux promontoires rocheux du platier de Dieppe et des roches du Muron dans le sens longitudinal, et entre l'abrupt de pied d'estran et les amas caillouteux dans le sens transversal.
Les évolutions constatées par rapport aux levés antérieurs concernent essentiellement deux domaines :
- La présence quasi-systématique de silts dans les sédiments. Le levé de 2014 met en évidence des teneurs en silts importantes, sur la quasi-totalité des sédiments prélevés. Cette fraction silteuse est présente sur sables fins à moyens des très petits fonds, sur les amas caillouteux, (qui étaient dépourvus de couverture sédimentaire en 2008), sur des vagues de sable plus au large, et même sur un échantillon de la plage,
- Le modelé de la couverture sédimentaire, et en particulier le fort développement des mégarides de courant, ainsi que la présence conjointe de figures de courant (qui façonnent les sables superficiels) et de structures liées à la houle, qui façonnent les sables grossiers, voire les graviers. Ces deux types de structures sont localement imbriqués.
- Influence possible de l'immersion de sédiments sur le site de Dieppe
La présence de teneurs en silts élevées dans des sables « mobiles », mis en mouvement par les courants et les houles, sur la majeure partie de la zone n'a pas une origine naturelle, et semble liée, au moins en partie, aux clapages de sédiments portuaires, effectués avant et pendant la mission. La distribution des silts est plus large, et les teneurs plus élevées qu'au cours de l'ensemble des levés précédents. Ce résultat s'accorde bien avec le suivi du site de rejet de Dieppe, qui indique que seulement 14% du sédiment reste sur place à moyen terme, et que le site est « très dispersif ».
La dispersion des sables clapés ne peut être mise en évidence, ceux-ci ne pouvant être différenciés des sédiments naturels avec les méthodes utilisées ici.
Les caractéristiques de la zone en 2014 et en particulier le développement important des mégarides de courant, se rapprochent du levé de 1996, où un développement analogue avait été observé.
L'évolution du site ou plutôt la « variabilité » de la couverture sédimentaire n'est pas un phénomène continu au cours du temps, et les variations se produisent probablement en un laps de temps assez court, de l'ordre de quelques jours (effet des tempêtes ou d'un clapage important) à quelques mois (mécanismes d'accumulation par beau temps).
Les levés antérieurs avaient mis en évidence :
- L'influence hydrodynamique sur la répartition des sédiments, notamment un hydrodynamisme atténué dans les très petits fonds, à moins de 10 m de profondeur,
- L'influence météorologique, notamment sur la structuration verticale de la colonne sédimentaire.
Le levé actuel met en plus en évidence l'influence au moins temporaire de l'immersion de sédiments à Dieppe sur les sédiments de la zone cartographiée. Cet impact anthropique se cumule avec les impacts naturels, météo-océaniques. Il souligne également l'importance des fluctuations à court terme, qu'elles soient météo-océaniques ou anthropiques.
Il est probable que les caractéristiques de chaque levé morpho-sédimentaire soient influencées par les évènements les plus récents, et que les évolutions constatées entre deux levés maintenant espacés de 6 ans soient discontinues.
COMPARTIMENT FAUNISTIQUE
Tous les prélèvements réalisés au cours de la campagne Morcaux ont été triés puis analysés au laboratoire. Au total, 8028 individus ont été comptabilisés.
La densité faunistique est légèrement supérieure à celle enregistrée lors de la campagne précédente et reste néanmoins inférieure à celles de 1996, 2000 et 2004. Cette observation illustre l'importante variabilité naturelle des densités.
Les abondances les plus importantes sont enregistrées aux deux extrémités occidentale et orientale de la zone d'étude.
- L'abondance maximale observée au nord de Dieppe s'explique par les densités élevées des mollusques gastéropodes Crepidula fornicata et des crustacés cirripèdes Balanus crenatus.
- De même, la partie orientale demeure dense comme en 2008. En 2014, l'explication tient à la présence importante de polychètes, en particulier de Lanice conchilega, et de bivalves, essentiellement Abra alba.
Sur l'ensemble de la zone d'étude, les polychètes sont plus nombreux lors de cette mission Morcaux. Leur densité est nettement supérieure à celle de 2008.
Les mollusques, bien représentés également, sont aussi plus abondants que lors de la mission précédente. Comme en 2008, Crepidula fornicata reste le gastéropode le plus dense. La présence d'Abra alba, bivalve le plus fréquent sur toute la zone d'étude, est aussi nettement plus importante que celles observées lors des trois campagnes précédentes. Parmi les crustacés, le petit Pisidia longicornis reste l'espèce la plus abondante. A noter la présence de Balanus crenatus dans les substrats de blocs, galets et cailloutis. Jusqu'à 200 espèces différentes ont été recensées sur la zone d'étude lors de la mission Morcaux. Cette diversité est supérieure à celles observées lors des missions précédentes. Elle est plus importante chez les annélides polychètes, 92 espèces ont été dénombrées.
La biomasse de matière organique totale atteint une valeur légèrement plus forte qu'en 2004. Elle est composée essentiellement par celles des mollusques suspensivores Glycymeris glycymeris et Crepidula fornicata.
L'analyse faunistique de cette campagne confirme l'organisation des différents peuplements en lien avec la granulométrie du substrat. Ainsi les 23 stations ont été regroupées en quatre unités :
- le peuplement des cailloutis à Balanus crenatus, Crepidula fornicata, Notomastus latericeus et Pisidia longicornis composé de cinq stations dont quatre situées au nord de Dieppe et d'une station située dans la partie orientale de la zone d'étude.
- le peuplement des sables fins à moyens plus ou moins envasés à Abra alba regroupant 11 stations se succédant le long de la zone côtière.
- le peuplement des sables moyens à Ophelia borealis rassemblant cinq stations situées à l'ouest de la centrale.
- le peuplement des sables grossiers hétérogènes à Branchiostoma lanceolatum et Glycymeris glycymeris réunit deux stations plus au large.
Comme en 2008, la faune reste plus abondante dans les substrats de cailloutis et de sable fins. C'est également dans ces peuplements que la diversité demeure la plus forte, notamment chez les annélides polychètes. Les sables moyens, plus mobiles, restent les substrats les plus pauvres.
L'analyse des prélèvements réalisés en 2014 indique une augmentation des densités de polychètes et de bivalves. Cette hausse peut être mise en relation avec la présence de sables fins plus importante que lors des missions précédentes. Le protocole de surveillance du compartiment bio-morpho-sédimentaire du domaine marin côtier entre Dieppe et Criel-sur-Mer, mis en oeuvre à partir du printemps 1988, avait pour objectifs de confirmer les principales biocoenoses subtidales décrites dans le milieu des années 1970 (Cabioch & Glaçon, 1977), d'en observer les évolutions, d'en préciser les variations pluriannuelles, et de détecter les impacts des rejets thermiques et chlorés de la centrale sur la faune benthique.
Les résultats obtenus des observations réalisées entre 1975 et 2014 dans ce secteur côtier :
- Permettent de constater une certaine stabilité des principales biocénoses subtidales : peuplement des sables fins à fins plus ou moins envasés à Abra alba ; peuplement des sables fins à moyens propres dunaires à Ophelia borealis ; peuplement des sables grossiers à Branchiostoma lanceolatum (ex Amphioxus lanceolatus), tout en observant l'importante variabilité naturelle des densités ou des biomasses. Cette importante variabilité naturelle est illustrée par le comportement des polychètes Lanice conchilega, bien représentés sur ce secteur du Pays de Caux, mais qui avaient quasiment disparu lors de la campagne de 1992. Leur présence actuelle, à des densités similaires à celles notées dans les années 70-80, permet d'attribuer une partie de leur disparition en 1992 à des phénomènes météorologiques. La série de résultats ainsi acquise depuis 1975 permet également de confirmer et de quantifier la prolifération, toujours active, de Crepidula fornicata.
- Ne permettent pas de déceler, depuis 1990, un quelconque impact des rejets de la centrale sur la faune benthique. Autrement dit, si cet impact existe, il est masqué par celui plus important de la variabilité naturelle.