L'équipe à terre a pu faire son travail dans de bonnes conditions et conseiller le bateau dans le choix d'une région dédiée pour y réaliser un suivi méso-échelle. Des réanalyses des courants océaniques (à partir de l'altimétrie régionale) sont en cours (CLS), ainsi que des réanalyses de salinité de surface (SMOS-Aquarius, au LOCEAN), qui devraient permettre de mieux tester l'aptitude de la méthode utilisée (rétro-trajectoiers, FSLE) à simuler les champs de surface.
Figure 1 : Analyse quasi-Lagrangienne du champ de salinité au 20 août 2012. Ces champs utilisent l'estimation grande échelle de salinité de la salinité de surface fin juillet (Aquarius) et les courant hebdomadaires issus des produits altimétriques, à partir d'une analyse quasi-Lagrangienne, non-divergente.
Un suivi a alors été réalisé en combinant stations CTDs et traits de scanfish, ainsi que par deux gliders (profilant de la surface à 300 m). Il a mis en évidence la présence d'eau douce de surface dans le coin nord-est associée à des courants assez faibles et a identifié une veine de forte salinité d'une bonne dizaine de kms de large, orientée dans la direction nord-est/sud-ouest, séparant une région de plus forts courants portant plutôt au sud-est et au sud dans l'autre moitié du domaine échantillonné (Figure 2). Cette veine en bord d'un petit tourbillon cyclonique a entrainé sur son flanc nord un filament d'eau très salée vers le sud sur plus de 100 km (Reverdin et al., 2014).
Figure 2 : Suivi méso-échelle de salinité de surface (TSG du NO Thalassa, des bouées dérivantes et données de surface de la CTD des gliders). Les flèches correspondent aux vecteurs de la vitesse journalière de dérive des bouées (vitesses maximales de 20 cm/jour dans la partie sud-ouest du domaine, en bordure d'un tourbillon).
Ce suivi a donné lieu au déploiement de plus de vingt bouées dérivantes dont 10 équipées de capteurs de salinité, ainsi que d'un prototype de flotteur-profilant profond, l'Arvor-3500, le voilier Vaimos du LPO, et le profileur autonome ASIP (ces deux derniers instruments ont été récupérés ensuite après une mission de 2 jours ; le voilier malheureusement n'a pas donné de bonnes données dans les déploiements suivants du fait d'une voie d'eau ; par contre, ASIP a été redéployé régulièrement avec succès pendant la suite de la campagne). Un des deux gliders a aussi dû être récupéré après 8 jours à la mer, ce qui n''a pas permis un suivi suffisant des `frontières' du domaine, durant les semaines suivantes sur site. Les bouées équipées de capteurs de salinité ont toutes fonctionné de façon satisfaisante pendant au moins trois mois, et ont formé une des bases de la raison d'observation de la salinité de surface du c?ur du gyre subtropical nord Atlantique lors de SPURS.
À l'issue du suivi méso-échelles, 4 stations longues ont été réalisées sur des sites retenus pour :
1 : être dans l'eau douce du nord proche du front de salinité ;
2 : se placer au sein d'un filament (identifié un peu plus au sud) ;
3 : se placer au sein du gradient de salinité à l'ouest du filament ;
4 : un site loin de tous fronts.
Les opérations au sein de ces stations se sont déroulées comme prévu, et l'instrumentation mise en oeuvre a dans l'ensemble fonctionné à notre satisfaction (à l'exception du voilier Vaimos).
Nous avons pu identifier un cycle diurne de SSS sur le site 4 (et 3), mais pas de variations diurnes marquées du vent de surface (Reverdin et al., 2013). Les mesures de flux air-mer faites par la plateforme Ocarina montrent d'intéressantes relations entre les flux air-mer de quantité de mouvement et les états de mer (Cambra, 2014). Par ailleurs, les stations réalisées avec le profileur de microstructure ASIP et avec le trèfle (pour les profils de courant) ont permis de qualifier le cycle diurne du mélange vertical (Sutherland et al., 2016a) et d'identifier un jet de surface diurne dans des conditions de vents d'alizé assez modestes (Sutherland et al., 2016b) (Figure 3). Des mesures de la salinité de surface par des conditions diurnes de vent très faibles et de fort réchauffement diurne de surface ont aussi montré une augmentation très importante de la salinité de surface, suggérant une évaporation non négligeable (Asher et al., 2014).
Figure 3 : Moyennes de jour (rouge) et de nuit de (a) température, (b), module de la vitesse, (c) l'énergie turbulente (e), (d), une version normalisée de cette quantité, (e) le nombre de Richardson (Sutherland et al., 2016).
Les couches de surface très oligotrophes ont souvent été le site de petites éfflorescences de plancton diazotrophe, mais il ne semble pas y avoir eu d'évènement de forte déposition saharienne (Jacq, 2014). La production primaire était assez faible et était carencée en phosphate et fer. Les différentes données biogéochimiques ont été dépouillées, et ces mesures de DIC, pH, O2 et pCO2 des couches de surface océanique indiquent aussi l'absence de production importante, si ce n'est épisodiquement dans des eaux un peu moins salées de la partie sud-ouest du domaine (la production y est peut-être régénérée). Les données de pigments par HPLC ont permis de convertir les mesures des capteurs de fluorescence de la sonde CTD et du glider. Par ailleurs, les prélèvements d'oxygène ont permis de qualifier un premier flotteur Arvor-Deep français, flotteur qui a produit des données intéressantes d'oxygène dissous (ainsi que de T et S) pendant quelques mois. Les différentes données biogéochimiques (qui sont disponibles par la base de données LEFE/CYBER pour ce qui vient de la France) n'ont cependant pas donné lieu à une valorisation sous forme de publications, en dehors de thèses. Ceci est en partie le résultat (côté français) de manque de moyens financiers pour continuer ces analyses (le projet n'avait pas été retenu par LEFE/CYBER).
Enfin, les mesures des isotopomères de la vapeur d'eau dans l'air ont pu être acquises en continu avec une installation dédiée sur le toit de la timonerie lors de la campagne et sont de bonne qualité. Ces données suggèrent des signaux en `Deuterium excess' qui correspondent au premier ordre à ce que l'on attend d'un équilibre cinétique de la couche de surface atmosphérique avec l'océan (Benetti et al., 2014) (Figure 4a), et ce malgré un important mélange avec l'air de la basse troposphère qui impacte fortement par moments la composition isotopique de la couche de surface océanique, en particulier pour le dD (Benetti et al., 2015, figure 4b). Ces données d'isotopie et de météorologie ont été combinées aux observations de quatre autres campagnes dans l'Atlantique nord pour avoir une vision plus grande échelle et saisonnière des conditions d'évaporation et de ce que cela implique en terme de sources isotopiques pour l'atmosphère (Benetti et al., 2016). Dans cette région du gyre sub-tropical, cette comparaison montre une variabilité importante des propriétés de l'air évaporé, en bonne part du fait de variations saisonnières de la température de surface. Enfin les mesures isotopiques des eaux de surface de cette campagne et d'une dizaine d'autres campagnes océanographiques ou de bateaux de commerce, ont été analysées en combinant avec les mesures isotopiques dans l'atmosphère, afin de mieux appréhender à partir d'une approche isotopique le rapport entre évaporation (E) et précipitation (P). Cette estimation est soumise à de fortes incertitudes, mais suggère dans le gyre sub-tropical (région de la campagne Strasse) un rapport E/P de l'ordre de 2 (Benetti et al., en cours).
Figure 4a : En noir, série du D-excess mesuré à partir des mesures des isotopomères de la vapeur d'eau. En jaune, l'estimation du modèle local (vents faibles), et en rouge du modèle par vents forts en faisant une hypothèse d'équations de fermeture (Merlivat et Jouzel, 1978). Les périodes de vent faible sont indiquées avec fond vert, alors qu'il y a une période de convection atmosphérique autour du 1/09 avec fond rouge (Benetti et al., 2014).
Figure 4b : Diagramme de dispersion de dD en fonction de d18O présentant l'ensemble des mesures atmosphériques (rouge) et d'eau de mer (bleu). Vert (cyan) correspond à un calcul des propriétés estimées de la vapeur d'eau évaporée (selon Craig et Gordon, 1965), et le trait noir présente les propriétés simulées de la vapeur d'eau de la basse troposphère (790 hPa).
Les principales données d'océanographie physique de la campagne Strasse ont été retransmises en temps réel, et ont pu être interfacées avec le reste de l'expérience SPURS, le RV Knorr ayant été sur le site SPURS le mois suivant notre campagne, ce qui a permis de compléter le réseau grande échelle de bouées dérivantes et de récupérer le deuxième glider, tout en mettant en place d'autres instrumentations, et le NO Gamboa de Sarmiento réalisant une campagne complémentaire de Strasse au mois d'avril 2013.
Par ailleurs, l'ensemble des données des bouées déployées dans les différentes campagnes a été validée (Reverdin et al., 2014 ; Hormann et al., 2014). Ces données ont permis une évaluation d'une part de l'advection par les tourbillons (Centurioni et al., 2014), mais aussi de vérifier différents produits de salinité de surface issus des mesures satellitarie par la radiométrie en bande L (SMOS) (Hernandez et al., 2014 ; Sommer, 2015) et des simulations PSY2V4 réalisées par Mercator (Sommer, 2016). Les données des bouées ont aussi servi à valider un produit régional de courants à méso-échelle construit à partir des données de l'altimétrie satellitaire (CLS). Ces produits ont ensuite été utilisés pour établir un bilan saisonnier de la salinité de surface dans le gyre subtropical nord Atlantique (Sommer et al., 2015). Ces analyses suggèrent un rôle assez important du mélange horizontal par les tourbillons à méso-échelle sur le bilan de salinité de surface saisonnier, mais qui n'est pas forcément reproduit par les produits utilisant les données satellitaires (Figure 5).
Figure 5 : Comparaison du terme d'advection horizontale dans le bilan de salinité de surface de la région de forte salinité au centre du gyre subtropical (21-30°N/50-26°W). Les courbes en trait continu correspondent à des estimations du terme d'advection horizontale (y compris les grandes échelles et Ekman), alors que les courbes en traits tiretés donnent la contribution du terme turbulent (contribution des méso-échelles et des échelles de temps sub-saisonnières, principalement par les tourbillons). En rouge, dans les simulations PSY2V4 (Mercator), et en noir avec une version V5 de SMOS (analyse objective de N. Kolodziejczyk). Noter dans cette dernière, les faibles valeurs du terme turbulent. Pour comparaison, le terme dominant du bilan (celui des échanges E-P avec l'atmosphère) se moyenne autour de 1.2 pss/year.