L'exploitation des mesures obtenues pendant Pandora est loin d'être terminée, que ce soit en physique ou en géochimie :

• Les mouillages de physique (hydrologie, courants) ont été renouvelés en mars 2014 lors de la campagne MoorSPICE (R/V Thomas G. Thomson, collaboration Scripps-LEGOS), et finalement relevés pendant la campagne CASSIOPEE (N.O. L'Atalante) en août 2015 ; le traitement de ces données a commencé début 2016.
• À partir des échantillons récoltés, un nombre impressionnant d'éléments trace sont en cours d'analyses  dans une dizaine de laboratoires spécialisés en Europe et aux Etats-Unis dans le cadre de la collaboration GEOTRACES. Ces analyses prennent normalement beaucoup de temps, et l'interprétation des résultats prendra encore de nombreuses années.

On présente ci-après quelques résultats de travaux terminés ou en cours, représentatifs des différentes disciplines qui peuvent être abordées à partir des données de Pandora. Les références renvoient à la liste en fin de fiche.

1. Les transports des courants à travers la Mer des Salomon

La figure ci-dessus montre les principaux courants de la Mer des Salomon et alentours : GPC: Golf of Papua Current; NVJ: North Vanuatu Jet; NGCU: New Guinea Coastal Undercurrent; NBCU: New Britain Coastal Undercurrent; NICU: New Ireland Coastal Undercurrent ; SEC : South Equatorial Current.

Pour Pandora, un modèle inverse spécifique a été utilisé pour contraindre les calculs de transports à partir des mesures ADCP en respectant la conservation de plusieurs traceurs hydrologiques entre entrée et sorties de la Mer des Salomon. Les figures à droite montrent les composantes de courant issues du modèle perpendiculaires à la section Sud et aux sorties Nord, par les détroits de Salomon/St Georges et Vitiaz, avec certaines isopycnes superposées (en blanc).

À l'entrée Sud, le transport intégré 0-1000m est de 36 ± 3 Sv, dont la moitié par le NGCU avec un coeur à plus de 50 cm/s à 500m le long de la côte de Papouasie-Nouvelle Guinée. A 159-160E, on distingue le flux vers le Nord du NVJ, mais à faibles vitesse, 10- 20cm/s, ainsi qu'un flux vers le Sud en profondeur.

Au nord de la Mer une partie des eaux du NGCU se dirige vers Salomon/St Georges, par le NBCU et se divise entre ces 2 détroits, avec un flux maximum à 200-400m. Dans le détroit des Salomon (Est de 153E) on observe une entrée d'eau notable vers le Sud en surface. Le bilan de transport pour les 2 détroits est de 18 ± 2 Sv vers le Nord.

Dans le détroit de Vitiaz, le flux du NGCU s'accélère et dépasse 1.10 m/s à 200m pour un transport total de 19 ± 1 Sv.

Pendant la campagne MoorSPICE en mars 2014 les transports mesurés sont beaucoup plus faibles, d'un facteur 3 pour le transport total. Les échelles de variabilité interannuelle et saisonnière peuvent être à l'origine de ces différences : Pandora s'est déroulé en période quasiment neutre d' ENSO (El Niño Southern Oscillation) et en hiver austral, et MoorSPICE pendant un début de phase ENSO chaude et en été austral. Les modèles et les quelques observations existantes indiquent un flux vers le Nord plus fort durant la phase chaude de ENSO et l'hiver austral ; les observations contrastées de Pandora et MoorSPICE sont donc probablement plutôt liées au cycle saisonnier. Les données de mouillages obtenues dans les détroits permettront de préciser les mécanismes de variabilité des transports. (Germinaud et al., JPO, 2016 ; Ganachaud et al., Elementa, 2017 ;  Alberty et al., JGR, 2018).

2. Premiers résultats sur la distribution des Terres Rares en Mer de Corail

Dans l'océan, les concentrations et rapports isotopiques des Terres Rares (REE, Rare Earth Elements) sont des paramètres importants pour comprendre les interactions dissous/particulaire et caractériser les masses d'eau ainsi que leurs échanges avec les marges. Pendant Pandora des échantillons ont été recueillis sur la colonne d'eau à 22 stations. Les premières analyses effectuées concernent les 3 stations dans la Mer de Corail (St. 4, 10, 82) ; les méthodes d'analyses ont dû être perfectionnées au préalable pour améliorer la précision des mesures de certains éléments comme Eu.

La figure présente les concentrations des principales REE aux 3 stations citées, ainsi que celles de l'unique échantillonnage effectué précédemment dans la région, noté SA-7 ; pour chaque station sont tracés les profils verticaux de concentrations de 5 REE, et les valeurs à chaque niveau des 14 REE analysées, après normalisation par rapport aux concentrations moyenne de la croûte terrestre.

À l'exception du Cerium (Ce) les profils montrent des concentrations augmentant régulièrement avec la profondeur. Ceci est cohérent avec une adsorption des REE en surface sur des particules, et leur libération en profondeur, et ce type de profil a été observé ailleurs dans l'océan et à la station SA-7. Ces mesures confirment que les eaux de la Mer de Corail ne sont que peu influencées par les apports des marges continentales. Cependant, en ce qui concerne les pics de Ce a 1000-1500m de profondeur on peut faire l'hypothèse d'apports latéraux provenant des marges volcaniques du Vanuatu, ce qui reste à confirmer par d'autres analyses.

Les valeurs normalisées pour les 14 REE sont toutes très inférieures à 1, donc aux valeurs de la croûte, ce qui est cohérent avec leur comportement en milieu marin. Cependant le détail des distributions pour chaque élément n'est pas totalement similaire, ce qui peut être interprété par la présence de matériel d'origine continentale, issu d'eaux continentales, de poussières volcaniques ou de sources hydrothermales. La comparaison avec d'autres éléments traces (Ba,ect) et le traitement des stations restantes, en particulier en sortie des détroits, permettront de préciser ces points (Q.V. Pham, Master's Thesis, USTH/LEGOS).

3. L'aluminium, un exemple de traceur des apports lithogéniques

Les concentrations en Aluminium total dissous (Al) sont prises ici comme exemple de traceur des apports lithogéniques dans la Mer des Salomon. La figure ci-dessus montre les profils verticaux de Al (en rouge) à plusieurs stations de Pandora. Le profil vertical noir (5nM/L) représente la concentration moyenne dans l'océan ouvert.

À l'Est des Iles Salomon, à la station 13 (mais aussi aux stations 4 et 10 plus au sud, non montrées) les concentrations en Al sont très proches de la moyenne océanique. Dès l'entrée en Mer des Salomon (St. 21) on constate un fort enrichissement sur toute la colonne d'eau, qui témoigne des apports lithogéniques au passage des courants à travers les îles. A l'intérieur de la Mer (St. 79 et autres, non montrées) on observe un enrichissement plutôt en surface et un « scavenging » en profondeur (adsorption de Al sur matériel particulaire). Aux sorties nord de la Mer (détroit des Salomon, St. 42, et de Vitiaz, St. 77) l'enrichissement en Al des courants s'écoulant vers le nord est confirmé ; on note un enrichissement de surface supplémentaire à Vitiaz, probablement associé à un fort ruissellement sur les pentes abruptes de la Papouasie-Nouvelle Guinée. Il reste à comprendre le détail des profils verticaux et les rôles respectifs des différentes masses d'eau, du mélange vertical et du scavenging, en lien avec les mesures de physique de la campagne (S. Michael, Master's Thesis, U. of Washington, 2017).

4. Mercure et méthyl-mercure en Mer des Salomon

C'est dans sa forme méthylée (MeHg) que le mercure se concentre par bio-accumulation dans les organismes des prédateurs supérieurs, notamment les thons. Cependant les processus de méthylation ne sont pas complètement connus : MeHg est-il formé principalement dans la colonne d'eau ou est-il produit par des processus internes aux sédiments sur les marges et ensuite entrainé vers l'océan ouvert ?

Pendant Pandora, 9 profils verticaux de mercure total (tHg, en noir sur la figure) et MeHg (en blanc) ont été obtenus, à la fois dans l'océan ouvert et dans la Mer des Salomon. Les profils de tHg sont très similaires pour toutes les stations (~1pM) et ne montrent pas d'enrichissement en surface ni au contact des marges, contrairement à ce qui a été observé pour Al par exemple (ci-dessus). Les concentrations en MeHg sont aussi similaires à toutes les stations, avec de faibles valeurs en surface (~0.04pM) et une augmentation graduelle en profondeur jusque vers 400m (~0.3pM). Les distributions de tHg et MeHg sont donc relativement homogènes dans toute la région malgré une forte dynamique océanique et des apports lithogéniques importants, et comparables à ce qui a été mesuré ailleurs dans le Pacifique Equatorial. Ces observations suggèrent donc que MeHg est plutôt formé in-situ dans la colonne d'eau, et que les échanges avec les marges n'ont que peu ou pas d'influence sur le cycle du mercure océanique (L.E. Heimburger et al., confs. int., 2013).

5. La diazotrophie en Mer des Salomon et de Corail

La diazotrophie représente l'ensemble des processus qui permettent à certaines catégories de phytoplancton d'utiliser directement les molécules d'azote N2 dissous dans l'océan. C'est un mécanisme important pour le cycle du carbone dans les zones oligotrophes de l'océan mondial, où les éléments nutritifs sont présents en faible quantité.

Les mesures faites pendant Pandora à certaines stations sont présentées ci-dessus, avec en abscisse les numéros de stations concernées, et en A) et B) les taux de fixation de N2 totaux et sur la fraction inférieure à 10 µm . Les autres panneaux montrent les abondances de 8 phylotypes diazotrophes clés: en C) de cyanobactéries Trichodesmium , en D) de deux diatomées, en E), F), G), de différents groupes de cyanobactéries unicellulaires, et en H) d'une protéobactérie hétérotrophe gamma.

Ces données ont été comparées en particulier à celles obtenues un mois après en Mer de Corail au cours de la campagne Bifurcation. Les taux de fixation de N2 pendant Pandora étaient d'un ordre de grandeur supérieur à ceux de la Mer de Corail, et indiquent que la Mer des Salomon a un des taux les plus élevés de l'océan global. En Mer des Salomon, les abondances de Trichodesmium et UCYN-B sont dominantes et bien corrélées avec les taux de fixation, alors qu'en Mer de Corail ce sont les cyanobactéries du groupe A et la protéobactérie qui dominent et sont corrélées à la fixation N2. Ces résultats permettent aussi d'estimer que la diazotrophie est très importante pour la production primaire en Mer des Salomon, au contraire de la Mer de Corail. Les fortes abondances de Trichodesmium associées à cette production pourraient être liées à une combinaison de facteurs, incluant la température élevée des eaux, de fortes concentrations en phosphate et des apports terrigènes de métaux traces (S. Bonnet et al., GBC, 2015).