Les écosystèmes marins sont parmi les plus productifs de la planète (Poore & Wilson 1993) dont ils recouvrent 75% de la surface. Leur importance dans la régulation des grands cycles est enfin bien reconnue et il s'agit sans nul doute là d'un des services importants produit par ces écosystèmes tout comme par exemple la production de biomasse alimentaire (Costanza et al. 1997). La biodiversité des écosystèmes marins, et tout particulièrement des écosystèmes côtiers, est maintenant clairement menacée par des processus (liste hélas non limitative !) tels que l'eutrophisation (Diaz & Rosenberg 1995), l'apport massif de contaminants (Dauvin 1998), la surpêche (Pauly et al. 1998, Jackson et al. 2001) ou bien la perte d'habitats (Fortes 1988, Short & Wyllie-Echeverria 1996). Les menaces écologiques évoquées ci-dessus sont particulièrement durement ressenties par les espèces benthiques qui sont pour la plupart sédentaires ou bien peu mobiles, ne pouvant donc éviter ces sources de perturbation (Solan et al. 2004). Ces organismes ne sont que peu directement responsables des transformations subies par la matière organique sédimentée. Ils jouent par contre un rôle écologique majeur dans les étapes initiales de sa dégradation via le contrôle qu'ils exercent sur les microorganismes (i.e., processus de bioturbation). De ce fait, la faune benthique contrôle largement les flux d'oxygène et d'éléments biogènes au travers de l'interface eau-sédiment des sédiments côtiers qui contribuent pour 90% de la minéralisation réalisée au sein du sédiment marin (Wollast 1998). Ceci explique que les recherches concernant l'impact de la diversité sur le fonctionnement des écosystèmes marins se sont principalement focalisées sur les systèmes benthiques (Duffy & Stachowicz 2006) et ont principalement utilisé des flux d'éléments biogéniques à l'interface en tant que fonctions.

Différentes approches ont été utilisées pour étudier cette question (Bulling et al. 2006), allant de la simple compilation de littérature (e.g. Duarte 2000) à la modélisation (e.g. Solan et al. 2004). L'approche expérimentale est toutefois de loin dominante. Elle consiste à comparer des fonctions écologiques ciblées pour des assemblages d'espèces reconstitués et de complexités croissantes (Biles et al. 2003, Mermillod-Blondin et al. 2005, Norling et al. 2007). Cette manière de procéder se traduit en général par une forte variabilité inter-réplicats si bien que l'effet de la biodiversité sur les flux de matière biogène à l'interface s'avère en général faible et surtout imprédictible. Une autre limitation réside dans l'impossibilité d'évaluer la contribution relative de la diversité de la faune par rapport à celles d'autres facteurs (e.g., paramètres abiotiques). Enfin, la minéralisation de la matière organique et les flux totaux d'oxygène à l'interface des sédiments cohésifs ne sont clairement pas uniquement contrôlés par la seule diversité de la faune benthique mais également par des facteurs physiographiques (e.g., la profondeur) ou abiotiques (e.g., la température) ainsi que par les caractéristiques quantitatives et qualitatives de la matière organique sédimentée).

Une limitation majeure de l'approche expérimentale réside donc dans le fait qu'elle ne permet pas d'évaluer la proportion de la variance de ces flux qui, dans le milieu naturel, est effectivement expliquée par des variations de la diversité de la faune benthique. Le projet BIOMIN vise à compléter les études expérimentales existantes par la mise en ?uvre d'une approche hiérarchique, qui considérera successivement l'effet des variables abiotiques, des caractéristiques de la matière organique et enfin de la diversité de la macrofaune (Figure 1). Cette approche intégrée va permettre l'étude du déterminisme de plusieurs fonctions (e.g. bioturbation, flux à l'interface) associées à la minéralisation de la matière organique dans les sédiments superficiels. Cette stratégie nécessite de documenter une large variété de situations écologiques. Ceci nous a naturellement conduit à centrer le projet BIOMIN sur l'étude des parties internes de deux marges océaniques qui, tout en restant suffisamment accessibles, offrent la particularité de présenter une large variété de combinaisons en termes :

• de proximité/éloignement des grands fleuves qui constituent une source de fertilisation importante,
• de transits particulaires préférentiels dans des canyons sous- marins,
• et de productivité et confinement.

En pratique, nous avons retenu 5 zones ateliers :
(1) le prodelta du Rhône qui fait l'objet de cette campagne,
(2) l'extrémité de la zone de dilution de ce même fleuve,
(3) le Bassin d'Arcachon,
(4) la Vasière Ouest Gironde,
(5) et la partie interne de la Marge aquitaine.

Les sites ateliers ont été sélectionnés pour refléter une large gamme de conditions écologiques. Trois d'entre eux ont été notamment définis en fonction de leur niveau de proximité (ou d'éloignement) de deux grands fleuves au fonctionnement très différent: le Rhône et la Gironde. La comparaison des fonctions mesurées sur ces trois sites particuliers documentera par conséquent : (1) les effets des apports du Rhône sur les fonctions de l'écosystème benthique mesurées (comparaison entre les sites prodelta et extrémité de la zone de dilution du Rhône), et (2) les effets induits par deux fleuves aux débits et aux régimes de crues très différents (comparaison entre les sites prodelta du Rhône et la Vasière Ouest Gironde).

Figure 1 : Le projet BIOMIN était basé sur une approche hiérarchique consistant à prendre successivement en compte les effets d'une série de variables indépendantes (en rouge) sur un ensemble de variables dépendantes en bleu. Il reposait également sur l'utilisation de la modélisation pour la quantification et l'étude des modalités de la minéralisation de la matière organique. MO : matière organique, E/S : eau-sédiment.