Évolution architecturale du système turbiditique du Congo depuis 210 ka : preuve d'un contrôle externe de la sédimentation

L'analyse des données géophysiques des campagnes Reprezaï a permis, en complément des données ZaiAngo, l'élaboration d'une carte exhaustive des systèmes chenal-levées-lobe pour l'édifice turbiditique Axial du Congo (derniers 200 ka) (Fig. 4).

Figure 4 : Carte des chenaux de l'édifice Axial du système turbiditique du Congo (données ZaiAngo et Reprezaï) (Picot, 2015 et Picot et al., 2016).

Afin de mieux contraindre les facteurs de contrôle de la sédimentation turbiditique (auto vs allogéniques), une étude quantitative a été menée à partir de la carte des chenaux pour construire des diagrammes de Progradation/Rétrogradation de ces chenaux basés sur l'évolution temporelle de paramètres architecturaux tels que longueur des chenaux et distance des points d'avulsion par rapport à un point de référence (Fig. 5) (Picot, 2015; Picot et al., 2016). Les résultats montrent que des cycles de Progradation/Rétrogradation sont délimités par une avulsion des chenaux localisée très en amont du système ceci nécessitant probablement des conditions exceptionnelles en terme d'apports sédimentaire ou de charge sableuse (facteur externe). Les sous-cycles, individualisés par des bifurcations intermédiaires dans la partie médiane du système, peuvent s'expliquer par la compensation topographique (facteur interne).

Un calage chronostratigraphique des cycles architecturaux à partir de données de ¹⁸O et ¹⁴C sur les carottes Reprezaï a été réalisé et confronté à une étude multi-proxies sur la carotte de référence KZaï-02 (Fig. 1) (Picot, 2015) dans le but de relier les décharges sédimentaires (tracées par le rapport Kaolinite/smectite) aux signaux paléoclimatiques (pollens), paléoenvironnementaux (granulométrie, diatomées entre autres) et orbitaux (précession des équinoxes qui contrôle la mousson avec une période d'environ 20 ka).

Figure 5 : Corrélation entre les paramètres architecturaux de l'édifice turbiditique axial (longueur des chenaux, distance des points d'avulsion par rapport au point source) calé dans le temps grâce aux carottes, l'étude multi- proxies sur KZaï-02 (pollen - Dalibard et al., 2014 ; rapport kaolinite/smectite - Sionneau, 2010 ; rapport Zr/Rb - Picot, 2015), la courbe LR04 (Lisiecki et Raymo, 2005) et le cycle de la mousson ouest-africaine (Caley et al., 2011). Modifiée d'après Picot, 2015.

À partir de ces observations, un scénario de la construction du système axial depuis 40 ka (période la mieux calée dans le temps) a été proposé à l'issue des travaux de Sionneau (2010) et Picot (2015). Celui-ci met en relation les grandes phases de progradation et rétrogradation du système avec les variations climatiques humides et arides à terre (Fig. 5) avec une anti-corrélation entre la quantité d'apports sédimentaires et le débit liquide au cours des différents cycles climatiques :

• Les périodes arides, avec un faible débit (faibles précipitations) et une forte charge sédimentaire (prédominance de l'érosion mécanique), sont caractérisées par une faible capacité de transport du flux turbiditique. On observerait alors une aggradation des chenaux et donc une rétrogradation générale du système ;
• Aux transitions aride/humide, la décharge fluviatile est importante et la charge sédimentaire encore forte due à l'augmentation des précipitations sur un sol nu de végétation (Sionneau, 2010). Ces conditions favorisent alors les avulsions très en amont du système ;
• Enfin, en période humide, le fort débit liquide (fortes précipitations) et la faible charge sédimentaire (intensification de l'érosion chimique) conduisent à une capacité de transport élevée du flux et donc à la progradation du système.

Figure 6 : Modèle géologique représentant l'intensité du flux sédimentaire vers le bassin sédimentaire du Congo (flèche marron) en fonction des changements climatiques dans le bassin versant pendant les alternances glaciaires/interglaciaires (Sionneau, 2010; Picot, 2015).

Les travaux actuels portent sur la modélisation stratigraphique 3D (logiciel DionisosFlow de IFP-EN) de l'architecture de l'édifice Axial afin de hiérarchiser les facteurs contrôlant la sédimentation (volumes, timing des cycles sédimentaires) (D. Laurent, post-doc en cours). Ce travail est couplé à la modélisation hydrogéologique du bassin versant du Congo (logiciel HydroTrend de l'INSTAAR, Colorado et coll. IRD) pour mieux quantifier les flux sédimentaires en entrée du modèle DionisosFlow (S. Molliex, post-doc en cours).

L'objectif est d'aboutir à une modélisation couplée Terre-Mer (Source-To-Sink) pour le système sédimentaire du Congo. Cette modélisation Terre-Mer servira de cadre à la modélisation de la distribution de la matière organique (collaboration en cours de montage avec l'université UPMC-Istep et l'IFP-EN), ceci permettant d'approcher non seulement l'architecture d'un "réservoir" mais aussi son potentiel futur en hydrocarbure et de quantifier l'impact de ce système sur le cycle Terre-Mer du carbone dans le bassin du Congo.