Rappelons brièvement que la circulation de la zone d'étude, localisée sur le plateau continental du golfe du Lion (Figure 1), est soumise à divers forçages: la circulation à grande échelle présente avec le Courant Nord (CN), longeant le plateau continental; de forts vents et des apports fluviaux. Pour LATEX, une configuration optimisée du modèle Symphonie a été mise en place pour la simulation numérique tridimensionnelle de la circulation de la Méditerranée nord- occidentale (résolution 3km), avec un emboitement à haute résolution (1 km) pour la zone du golfe (Hu et al., 2009). Une simulation réaliste a été effectuée sur 10 ans, de 2001 à 2010. La méthode de détection des tourbillons de Doglioli et al. (2007) est utilisée, mettant en valeur le contour des tourbillons sur les cartes de vorticité relative et permettant leur suivi dans le temps et l'espace. Elle a permis de caractériser des tourbillons anticycloniques côtiers et de comprendre leurs possibles processus de génération. Le processus de génération le plus commun est dû à un effet combiné de forçage du vent (forte tramontane durant plus de 3 jours, Figure 1) et de forte stratification (Hu et al., 2011b). Quand la stratification n'est pas assez forte, le tourbillon peut se former mais il reste transitoire, au sens où il dure moins de 15 jours. Cette limite de 15 jours a été choisie après divers tests de sensibilité; elle représente une échelle typique en dessous de laquelle, dans la zone et en période stratifiée, les structures sont considérées comme (sub)mésoéchelle à la fois temporellement et spatialement.

Figure 1 : Schéma de formation d'un tourbillon anticyclonique (Hu et al., 2011a). Une forte tramontane produit un upwelling au sud de Cap d'Agde. Les eaux superficielles se déplaçant vers le large sont déviées sur la droite (vers le sud-est) par la force  de Coriolis. Elles s'entassent autour de Cap Creus. Cela provoque une  différence  de  niveau de mer qui génère un jet côtier vers le nord tendant à effacer ce gradient. Le jet côtier est dévié vers l'est par la topographie et la force de Coriolis. La circulation se referme formant un tourbillon anticyclonique. La flèche grise longeant le plateau continental est le Courant Nord (CN).

Il existe cependant un second processus de génération qui implique la présence d'une circulation anticyclonique assez importante (entre 3° et 4° de longitude est et 42° à 43° de latitude nord) et un comportement méandreux du CN (Figure 2). Celui-ci « pousse » la structure anticyclonique vers la côte. Celle-ci se retrouve pincée entre la topographie du Cap Creus et le méandre du CN et se sépare en deux tourbillons, l'un au nord, ici appelé le tourbillon Latex et l'autre au sud dans le bassin catalan, par la suite appelé tourbillon catalan.

Lors de la campagne 2010, il n'y avait pas de tourbillon dans la zone d'étude. Le traceur passif SF6 a été injecté avec une démarche lagrangienne combinant un algorithme développé au MIO et l'utilisation d'une bouée Iridium avec communication en temps réel  (Doglioli  et  al., 2013). Des expériences guidées par une analyse FSLE (Finite Size Lyapunov Exponents) des champs altimétriques AVISO-NRT (near real time) en temps quasi-réel (F. d'Ovidio et F. Nencioli) a permis de tester une stratégie adaptative de lancer de flotteurs lagrangiens.

Figure 2 : Séquence temporelle numérique de la formation d'un tourbillon en quatre étapes les 20 juillet, 8, 16 et 27 août 2009 (Kersalé et al., 2013).

L'analyse des sorties numériques journalières  montre que, sur la période de 10 ans de 2001  à 2011, 11 tourbillons anticycloniques de longévité supérieure à 15 jours ont existé (Tableau 1).  Ils ne sont présents que durant la période stratifiée de juillet à octobre.

Tableau 1 : Les flèches indiquent les durées de vie des tourbillons, de la date de leur naissance au jour de leur disparition, avec, inscrit dans la flèche, leur nom et le nombre de jours de leur durée. La notation est en noir pour les tourbillons générés par le premier processus et en bleu pour celui généré par le deuxième processus.

On rencontre, suivant la combinaison de force/durée du vent et intensité de la stratification, les différents cas de figures suivants:

• Années avec 1 tourbillon (2001, 2002, 2006, 2008 et 2010),
• Années avec 2 tourbillons (2003, 2005 et 2009),
• Années sans tourbillon (en 2004 les tourbillons ne durent jamais plus de 15 jours; en 2007, une large circulation anticyclonique est présente mais pas de tourbillon).

Sur ces 11 tourbillons, seul un a été formé par le deuxième processus (Kersale et al., 2013), alors que les 10 autres sont expliqués par le processus de génération mis en évidence par Hu et al. (2011b). Par la suite, les tourbillons sont appelés LatexAi_YY, avec un A pour spécifier que le tourbillon est anticyclonique, un i pour indiquer que c'est le ième tourbillon de l'année YY.

Les données in situ ont montré que ces tourbillons sont baroclines ayant la profondeur de la couche de mélange local (environ 30 m) et généralement elliptiques (Hu et al., 2011a, Kersalé et al., 2013). Ils ont un diamètre d'environ 20 km, une vitesse tangentielle de l'ordre de 0,3-0,4 m/s sur le bord externe, le tour de celui-ci étant effectué en ~3 jours. La partie de rotation du corps en bloc ("solid-body rotation") est estimée grâce à l'analyse des vitesses tangentielles en s'éloignant du centre. Les caractéristiques des tourbillons modélisés ont pu être comparées avec celles mesurées et ont montré un très bon accord (Hu et al., 2011a; Kersale et al., 2013).

Tableau 2 : Exemple de comparaison des caractéristiques du tourbillon LatexA2_09 dans les résultats numériques et les mesures in situ (Kersalé, 2013, soutenance de thèse).

Généralement, les tourbillons sont associés à une rétention d'eau; cependant des structures transitoires peuvent aussi se détacher d'eux et sortir rapidement du golfe. En 2009, un flotteur lagrangien s'est détaché du tourbillon LatexA2_09, s'est déplacé vers le sud en effectuant des rotations anticycloniques et est allé rejoindre le tourbillon catalan (Figure 3). Les rotations, quoique dans le sens des aiguilles d'une montre, n'étaient pas dues à des oscillations d'inertie. L'analyse des sorties numériques a montré une structure transitoire se détachant du tourbillon LatexA2_09 et allant « nourrir » le tourbillon Catalan. Après s'être détachée du tourbillon LatexA2_09, cette structure représente le tiers du  tourbillon initial en masse;  celui-ci  accusant une perte de ~ 40% de sa masse lors du détachement.

Cette analyse FSLE, quoique fondée sur l'altimétrie dont on connait les limitations en zone côtière, accompagnée des trajectoires de flotteurs Lagrangiens, et corrigée par la vitesse horizontale des courants mesurée à partir de l'ADCP (Acoustic Doppler Current  Profiler)  de coque du Téthys II, a permis de localiser et de suivre avec succès des LCSs (structures cohérentes Lagrangiennes) à partir des observations in situ pendant deux semaines. Les LCSs dérivées de mesures in situ ont permis d'identifier un front entre les eaux côtières plus froides et les eaux plus chaudes du Courant Nord, zone formant une sorte de corridor côtier par lequel les eaux côtières s'échappent du golfe du Lion. Cette étude a aussi montré l'existence d'un point hyperbolique, et d'en suivre le faible déplacement (Nencioli et al., 2011). Néanmoins, la comparaison des LCSs obtenues en utilisant les mesures in situ (trajectoires des bouées et courants) avec  les  LCS dérivées de l'altimétrie montre des incohérences importantes, indiquant  que  la  nouvelle génération d'algorithmes et l'arrivée du capteur altimétrique SWOT (prévue pour 2020) seront les bienvenus afin d'améliorer la précision de la représentation des structures de circulation côtière et de leur évolution temporelle.

Figure 3 : Vorticité relative modélisée et flèches des courants horizontaux à 20 m de profondeur, (gauche) cas de rétention d'eau dans le tourbillon Latex A1_2008, le 22 juillet 2008; (droite) cas d'une structure transitoire se détachant du tourbillon LatexA2_09 et allant « nourrir » le tourbillon Catalan, image du 3 septembre 2009 (Kersalé et al., 2013).

Figure 4 : de gauche à droite a) structures cohérentes lagrangiennes dérivées de l'altimétrie et position d'un lâcher de flotteurs; b) courants ADCP , trajectoires des flotteurs et structures cohérentes Lagrangiennes dérivées des mesures in situ; c) image de quasi- SST avec trajectoires des flotteurs; d) interprétation des structures cohérentes Lagrangiennes avec les températures types des masses d'eau et direction du départ des eaux du golfe du Lion (Nencioli et al., 2011).

L'estimation de la diffusivité turbulente horizontale reste une gageure avec des données in situ. Lors de Latex, elle a pu être effectuée de deux façons différentes:
i) combinant le taux de déformation avec les gradients de température, on obtient :

avec gamma le taux de déformation calculé avec l'analyse des exposants Lyapunov des flotteurs lagrangiens et C₃ estimé par les profils horizontaux de température (ou salinité) à travers le front (direction x) approximés avec la fonction :

[Nencioli et al., 2013; cet article a été retenu pour être un « Spotlight » EOS et deux de ces figures ont été mises dans le carousel d'images du site de JGR-Oceans]:

ii) en faisant la cartographie de la dispersion du traceur passif SF₆, on obtient avec d le taux de déformation (fonction de l'étirement du patch de traceur) et la largeur du patch [Kersale et al., enrevision]. Les valeurs moyennes obtenues avec ces deux méthodes sont respectivement: i) 4,06 m².s^-1 ii) 7,6 m²s^-1. Elles correspondent à des valeurs associées à des distances de l'ordre de la largeur du patch ou du front considéré (ici inférieures à 5 km).

Le travail de modélisation couplé physique-biogéochimie mis en oeuvre dans le cadre de la thèse de Rose Campbell (soutenue en décembre 2012) et récemment publié (Campbell et al.,  2013) a permis d'élaborer un schéma d'influence des tourbillons anticycloniques de méso-échelle sur la répartition des nutriments et du plancton dans la partie ouest du golfe du Lion (Fig. 5) . Un épisode persistant de forts vents d'ouest induit un intense processus d'upwelling le long de la côte languedocienne. Ce processus d'upwelling permet la remontée de  grandes  quantités  de nutriments qui amènent à l'efflorescence de phytoplancton de grande taille en quelques jours (panel 1,Fig. 5). Si l'épisode de vent se maintient, cela provoque la formation d'un tourbillon anticyclonique selon le mécanisme décrit par Hu et al. (2011b). L'advection des courants liée à la mise en place du tourbillon permet le transport de l'efflorescence vers le sud. Dans le même  temps, le bord côtier (ouest) du tourbillon montre des vitesses verticales ascendantes qui permettent l'enrichissement en sels nutritifs dans cette zone. A l'opposé, la zone centrale du tourbillon montre une dynamique très différente de celle observée sur les bords du tourbillon : les résultats numériques indiquent un approfondissement de la nutricline et un fort déficit en phosphate par rapport aux autres nutriments (panel 2, Fig. 5). Par la suite, l'advection  et  les faibles températures ne permettent pas d'efflorescences phytoplanctoniques le long de la côte du Roussillon mais cette efflorescence se produit dans une zone située au nord du cap Leucate (panel 3, Fig. 5). Les efflorescences induites par le vent et par la présence du tourbillon se rejoignent  pour former une zone riche en plancton qui est transporté vers le large par l'advection du tourbillon. Ce filament est observé dans les données satellitales de couleur de l'océan mais jamais au sud de 43°N. Le modèle retrouve la présence de ce tourbillon et permet d'expliquer pourquoi la signature de surface du tourbillon disparaît dans une certaine zone (panel 4, Fig. 5). Cette disparition serait essentiellement due à des interactions trophiques entre proies et prédateurs.

Figure 5 : Séquence schématique des répartitions en nutriments et en plancton influencées par la présence d'un tourbillon anticyclonique côtier. H(L)N : Fortes (faibles) concentrations en nutriments. H(L)P : Forte (faible) biomasse phytoplanctonique, HZ : forte biomasse zooplanctonique, MicroP : microphytoplancton. Les zones en rouge, vert et brun sont respectivement les zones où la concentration en nutriments, phytoplancton et zooplancton est forte. D'après Campbell et al. (2013).

Données liées à la dynamique des flux de CO₂ à l'interface air-mer (bouée CARIOCA).

Le déploiement d'une bouée CARIOCA au cours de la campagne LATEX2010 a permis d'obtenir des informations sur un rythme horaire à 2m de profondeur concernant la fugacité du CO₂ (fCO₂) avec une précision inférieure à 3µatm, la température et salinité de l'eau, la fluorescence liée à la présence de phytoplancton et la concentration en oxygène dissous à l'aide d'un optode. La trajectoire de la bouée (panel A, Fig. 6) est représentative de la dérive des  courants à 15m de profondeur. Le panel A ci-contre surimpose à la trajectoire de la bouée les valeurs de la fugacité du CO₂. Les premiers résultats indiquent plutôt des faibles valeurs (<350µatm) au nord de la zone échantillonnée en début de campagne puis des valeurs augmentant jusqu'à presque 400µatm dans la zone sud en fin de mission.

Lorsqu'on porte sur un diagramme (Panel B, Fig. 6) la vitesse du vent et la fugacité du CO₂ en fonction du temps on s'aperçoit qu'un fort coup de vent débutant le 12 septembre et durant un jour et demi a fortement influencé à la hausse la fugacité. D'une manière générale et pendant au moins les trois-quarts de la campagne, la dynamique des masses d'eau domine le signal de fCO₂. Aucun cycle diurne de la fugacité (à salinité constante) lié aux processus de photosynthèse et respiration n'a pu être mis en évidence. Le flux de CO₂ air-mer calculé à partir des données de fugacité de la bouée CARIOCA (panel C, Fig. 6) montre des valeurs la plupart du  temps  négatives indiquant que la zone étudiée est plutôt une zone puits vis-à-vis du CO₂.

Figure 6 : Trajectoire de la bouée CARIOCA codée en couleur selon les valeurs de fCO₂ (Panel A) ; Mesures CARIOCA fCO₂ et vitesse du vent à 2m (panel B), Flux de CO2 air-mer recalculé à partir des données de fugacité et flux moyen et écart-type (Panel C).