La campagne PARISUB devait avoir lieu en 2004, a été annulée deux mois avant le départ, et a été ensuite réalisée en 2010. Elle a eu lieu entre le 18 mars et le 17 avril 2010 et était dédiée à l'étude  du système d'interaction entre le point chaud des Mathématiciens et la ride Est-Pacifique entre 16 et 17° nord (Fig 1). 24 plongées par  submersible  Nautile  et  20  plongées  AUV  (ASTER  X)  ont  été  réalisées, principalement le long de trois profils d'environ de 7 à 20 km de long : un longitudinal et deux orthogonaux à l'axe de la dorsale. Plus de 200 échantillons de basalte ont été prélevés et des données géophysiques de fond de haute précision (gravimétrie, magnétisme, bathymétrie et bathymétrie haute résolution par AUV) ont été acquises.

Figure 1 : Localisation de la zone d'étude.

1. Levés géophysiques de surface

L'intégralité du secteur d'étude (Fig 2) a été couverte par des navigations en profils serrés localisés sur la carte Figure 2. Des mesures bathymétriques, magnétiques et gravimétriques ont été réalisées au cours de ces trajets. Les données bathymétriques, acquises à une vitesse de 4-5 noeuds avec le sondeur de coque EM122 utilisé en mode faisceaux serrés sont représentées par la figure 2. Elles constituent un complément important aux données préexistantes et ont servi de base pour la programmation et la réalisation des plongées Nautile et AUV.

Figure 2 : Carte bathymétrique obtenue à partir des données de surface. En traits La route de l'Atalante.

2. Plongées Nautile

Sur les 24 plongées Nautile réalisées (Fig 3a), 23 plongées réussites ont permis l'exploration, l'échantillonnage et l'acquisition de données géophysiques de fond sur l'ensemble du secteur d'étude. Les plongées ont été concentrées principalement le long de deux transversales longs  de  20  km  environ (l'un longitudinal, l'autre orthogonal à la ride); mais également plus à l'écart de l'axe, sur le flanc ouest de la dorsale (deux plongées) ainsi qu'au niveau de la faille transformante Orozco. Les trajets réalisés lors des plongées sont illustrés Figure 3a.

Au total 209 échantillons de lave basaltique (dont 150 comprenant du verre) et 6 échantillons de cheminées hydrothermales ont été prélevés. La position des prélèvements est représentée sur la Figure 3b.

Figure 3a : Carte de localisation des 23 plongées réalisées.

Figure 3b : Carte de position des échantillons.

3. Plongées AUV

18 plongées de l'AUV Aster X ont permis de couvrir l'ensemble du secteur d'étude (Figure 4) en naviguant à 70 mètres au-dessus du fond. Au cours des plongées, les systèmes d'acquisitions embarqués ont permis l'acquisition de données micro-bathymétriques, magnétiques, néphélométriques et de températures. Deux plongées complémentaires, orthogonales à l'axe de la dorsale, ont été réalisées à 120m d'altitude afin d'acquérir des profils magnétiques longs et continus allant jusqu'au domaine hors axe.

Figure 4 : Localisation des 18 trajets réalisés à 70m d'altitude par l'AUV AsterX lors de la campagne PARISUB. Les deux trajets orthogonaux à l'axe ne sont pas représentés.
Figure 5a : Représentation des données microbathymétriques acquises lors des 8 plongées AUV réalisées.

Les mesures bathymétriques réalisées lors des plongées AUV permettent la réalisation de cartes à haute précision (~2 mètre en horizontal x 80 cm en verticale) (Figure 5). Sur la Figure 5b, on distingue des fissures et des failles de l'ordre du mètre ainsi que des coulées et des zones d'effondrements de chenaux et de lacs de laves.

Figure 5b : Détail des données microbathymétriques acquises dans la partie centrale de la zone d'étude.

4. Principaux résultats

Cette campagne permet d'analyser en détail les processus tectoniques et volcaniques le long du segment de la dorsale Est Pacifique localisé entre 15°22'N et 16°15'N, et d'étudier l'interaction de ce segment avec le point chaud des Mathématicien situé environ 20 km à l'Ouest de l'axe d'accrétion.

L'analyse morpho-structurale (Le Saout Morgane, Deschamps Anne, Gente Pascal) a permis l'analyse de la segmentation du fossé sommital en regard avec la distribution des faciès volcaniques, des structures tectoniques et de la géométrie de la chambre magmatique sous-jacente, ainsi que de bien identifier la répartition des faciès volcaniques (laves en coussin, laves lobées, chenaux et lacs de laves effondrés et laves d'inflation) et des structures tectoniques (failles et fissures) le long de l'axe. Ces observations permettent d'aborder les variations des processus d'accrétion le long de l'axe et d'associer les différences de largeur du fossé sommital à des différences dans l'activité éruptive (Le Saout et al., submitted).

• Segmentation :

Le dôme axial est parcouru par plusieurs fossés sommitaux de largeur et profondeur très variables (Fig 6). Ces fossés sont plus segmentés et caractérisés par de plus grandes variations de leur géométrie (largeur et profondeur) que ceux des autres segments de l'EPR. Par exemple, le long du segment 9°N de l'EPR, cinq discontinuités d'ordre 3 et cinq discontinuités d'ordre 4 sont observées sur près 90 km, alors que le même nombre de discontinuités est observé sur une distance de 30 km le long du segment 16°N. Ceci, ainsi que l'orientation très variable (~9°) des fossés pourraient refléter une instabilité plus importante, avec des intrusions successives de dyke moins localisées, des processus le long du segment 16°N que le long des autres segments de l'EPR qui n'interagissent pas avec un point chaud.

Elle met également en évidence l'influence du point chaud sur la distribution en échelon des segments du fossé sommital. Le fait que les segments d'ordre 3 se disposent en échelon de façon à accommoder la forme arquée du dôme axial en direction le point chaud refléterait aussi son influence. Cette forme arquée résulte probablement d'un magmatisme plus intense depuis 85 à 105 milliers d'années sur le flanc Ouest de l'axe, ce qui est cohérent avec la présence d'une chambre magmatique anormalement large (~1300 m au lieu de 500 à 1000 m sous les autres segments de l'EPR) sous toute la moitié Ouest du plateau sommital.

Figure 6 : Identification des segments d'accrétion (en noir) à fine échelle, en lien direct avec les processus éruptifs.

• Processus éruptifs :

L'analyse morphologique ainsi que l'étude des faciès de lave (Fig 7a, b et c) ont permis de montrer que les laves en coussin se mettent généralement en place sous la forme de monticules de quelques mètres à quelques dizaines de mètres de hauts et jusqu'à quelques centaines de mètres de diamètres et sont caractérisé par une rugosité relativement élevé alors que les laves en nappe se mettent en place sur des surfaces généralement sub-horizontales et présentent une morphologie très lisse sur les cartes bathymétriques. Les laves lobées sont caractérisées par une morphologie intermédiaire aux laves en coussin et laves en nappe et sont souvent associées à la présence de chenaux de laves et de lac de laves effondrés bien visibles sur nos cartes.

Figure 7 : a) répartition générale des facies de laves le long du segment central de la zone ; b) un exemple détaillée de répartition de différents faciès liés à une coulée volcanique ; c) photographies du submersible Nautile des différents faciès de laves dans la zone d'étude.

Cette étude a également permis de mieux comprendre les conditions et le mode de mises en place des coulées d'inflation en milieu immergé (Fig 8). Ces coulées d'inflation ont été comparées avec des structures similaires observées à terre (Hawaii, La Réunion, Oregon, Idaho, Islande). Cette comparaison a mis en évidence deux grands types de structures d'inflation. Des structures d'inflation mises en place en milieu aérien (Hawaii et La Réunion) et des structures mises en place en milieu aqueux, c'est dernières étant 10 à 15 fois plus large et 2 à 3 fois plus haute (Deschamps et al., submitted).

Figure 8 : Un exemple de coulée d'inflation en milieu Immergé de la zone d'étude.

L'analyse de ces coulées au niveau du segment 16°N montre également qu'elles sont systématiquement situées à l'aplomb de laves en coussin suggérant que ces laves sont issues d'une même éruption. Cette relation opposée à ce qui est attendu dans l'évolution de la morphologie des laves au sein d'une même éruption (normalement les laves en coussin arrivent en dernier) doit être analysée plus en détail.

• Chronologie des éruptions volcaniques :

L'analyse de la chronologie relative permet d'aborder les variations temporelles des processus d'accrétion non plus le long de l'axe, mais transversalement à l'axe. L'analyse conjointe des cartes et des vidéos a permis d'établir une chronologie relative de la zone d'étude. Ce travail est basé sur l'analyse des relations des coulées entre elles et des relations entre les structures tectoniques et les coulées. Ce travail a été reporté sous la forme d'une carte de chronologie relative. De nombreux points reste toutefois incertain, localement la présence de deux grabens éruptifs parallèles rend difficile l'établissement de la chronologie sans outils complémentaires pouvant nous fournir des indications sur la fraîcheur des laves, la localisation de l'activité magmatique principal... De tels renseignements pourraient provenir de données magnétiques haute résolution (actuellement en cour de traitement à l'IPGP).

• Magnétisme de fond (Jérôme Dyment et Florent Szitkar (IPGP)) :

Les travaux menés en magnétisme de fond à ce jour ont surtout porté sur les données collectées par l'AUV AsterX. Ces travaux ont permis de reconnaître un ensemble d'anomalies magnétiques négatives qui suit les grabens axiaux relevés sur la micro-bathymétrie. Ce type de signature magnétique, déjà identifiée sur d'autres parties de la dorsale est-pacifique, marque la présence d'une anomalie thermique axiale associée à l'intrusion de dykes (Fig 9). Les variations de largeur et d'intensité des anomalies observées reflètent probablement les variations de température et la diffusion thermique associées à l'arrivée puis au refroidissement de ces dykes et devrait donc permettre une chronologie relative des intrusions et peut-être des éruptions associées. Certaines zones semblent présenter deux anomalies parallèles (et les grabens axiaux associés) sans qu'il ne soit possible de distinguer si cette observation témoigne de la grande instabilité géographique d'un graben axial qui se déplacerait au sommet de l'immense dôme hyper- magmatique qui marque la dorsale dans la région d'étude; ou si la présence de plusieurs grabens axiaux contemporains fonctionnant simultanément doit être envisagée, qu'ils soient associés à une même chambre magmatique très large ou à plusieurs chambres magmatiques de plus petite taille. Les réponses à ces questions se trouvent, pour les données existantes, dans la réflectivité (pour tenter d'évaluer l'âge relatif des coulées observées) et dans la pétrologie et la géochimie (pour tenter de distinguer si les produits d'une même zone peuvent être les produits de chambres magmatiques distinctes). La réalisation de profils sismiques, destinés à cartographier les chambres magmatiques, devrait être envisagée. En tout état de cause, ces observations soulignent le caractère exceptionnel de la zone d'étude, qui apparaît comme l'un des segments de dorsale les plus magmatiques actuellement actifs sur notre planète. Nous travaillons actuellement sur un projet de publication dédié aux données magnétiques de l'AUV et à leurs conséquences, à soumettre à G3 ou JGR.

Figure 9 : À gauche, anomalies déduites des données magnétiques de l'AUV, brutes et interprétées; les lignes jaunes soulignent les anomalies négatives associées à des intrusions magmatiques axiales; à droite, micro-bathymétrie collectée par l'AUV, brute et interprétée; les lignes noires marquent les grabens axiaux, les lignes jaunes sont déduites du magnétisme et marquent les intrusions magmatiques axiales.

Une première tentative de traitement des données magnétiques acquises par le Nautile a été réalisée mais les résultats sont très décevants, probablement faute d'un retraitement adéquat des navigations des plongées. Il conviendra de reprendre cet exercice avec les navigations corrigées et validées. Ces travaux ont été réalisés à bord puis à l'IPGP, d'abord (fin 2010) par Jérôme Dyment et plus récemment (2013 et 2014) par Florent Szitkar en marge d'un contrat post-doctoral.

• Géochimie du manteau (Mougel Bérengère, Agranier Arnaud, Hémond Christophe) :

Le segment 16°N de la dorsale Est-Pacifique (EPR) interagit avec le point chaud des Mathématiciens (PCM). A partir de l'analyse géochimique de 120 échantillons de verres basaltiques prélevés avec le submersible Nautile coulée par coulée, une étude à très petite échelle de l'hétérogénéité chimique du manteau sous quelques kilomètres de dorsale (15°37'N et 15°47'N) a pu être menée. Les résultats obtenus témoignent d'une variabilité géochimique jamais observée à si petite échelle sous une dorsale. Le degré d'hétérogénéité du manteau dans cette zone est comparable à celui de l'ensemble de l'EPR. Cette diversité est le produit du mélange entre trois sources mantelliques principales, caractérisant l'influence et l'hétérogénéité du point chaud. La densité de l'échantillonnage offre une résolution spatiale en adéquation avec les données bathymétriques, ce qui a permis de coupler les deux approches et faire une reconstruction spatio-temporelle de l'évolution géochimique et morphologique du système EPR/PCM. Celle-ci commence il y a environ 600ka par le gonflement du segment et un changement général dans la composition du manteau ambiant, suivi de deux sauts d'axe successifs en direction de la chaîne il y a 250 et 150 ka. Lors de cette phase de rapprochement de nouvelles signatures géochimiques émergent ponctuellement dans les MORB. Parmi elles, une signature relique de manteau appauvri régional, une autre d'hétérogénéité enrichie locale, et enfin celle de deux types d'hétérogénéités contenues dans la source du PCM. Cette dernière, n'apparaît dans les MORB qu'au cours des 100 dernières années autour de 15°44'N, et constitue une signature géochimique inédite pour des MORB. Ce nouveau composant a la particularité d'avoir du Pb très peu radiogénique ("Unradiogenic Lead Component", ULC) associé à des signatures isotopiques en Sr, Nd et Hf enrichies. Les compositions en éléments majeurs, traces et isotopes (Sr, Nd, Hf, Pb et He) suggèrent l'implication de matériel métagabbroique, ancien (>2Ga) à affinité continentale. La présence de sulfures dans la source permettrait d'expliquer le Pb peu radiogénique. Le recyclage dans le manteau supérieur de pyroxénites à sulfures, provenant de la partie profonde d'anciens arcs continentaux permettrait d'expliquer l'origine de ULC. Les basaltes ULC seraient donc les témoins volcaniques de la fusion de ce réservoir discret qui contribue à résoudre le paradoxe du Pb (Mougel, 2013, Mougel et al., in press).